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L’Estaque,<br />
qu<strong>art</strong>ier de rêve<br />
Biennale d’<strong>art</strong> contemporain créée en 2007 dans la Médina de Tunis, Dream City débarque<br />
à l’Estaque. Née comme une utopie défiant le régime de Ben Ali, la manifestation invite<br />
les <strong>art</strong>istes à s’emparer de l’espace public pour penser autrement leur rapport au territoire,<br />
à sa population et à la démocratie. Béatrice Dunoyer, un des piliers de l’association tunisienne<br />
L’Art Rue, qui fait vivre la biennale, retrace l’histoire douloureuse d’une émergence <strong>art</strong>istique.<br />
Propos recueillis par Jean-Pierre Vallorani • Photo : Orkhan Turki<br />
Quelle est la genèse de Dream City ?<br />
Le premier Dream City a eu lieu en 2007, à l’initiative des<br />
danseurs chorégraphes Selma et Sofiane Ouissi, qui se sont<br />
retrouvés un jour à la radio tunisienne pour déplorer, en<br />
pleine dictature, le fait que le statut d’<strong>art</strong>iste n’existait pas<br />
en Tunisie. Suite à leur appel aux <strong>art</strong>istes pour une marche<br />
pacifique, la radio a aussitôt<br />
été censurée par le pouvoir.<br />
Mais la réflexion a débouché<br />
sur la volonté de s’emparer<br />
de l’espace public. L’idée<br />
de cette première édition<br />
est née, sans autorisation<br />
aucune, rassemblant des<br />
<strong>art</strong>istes qui étaient jusquelà<br />
tenus à la marge, sans<br />
moyens ni lieux pour travailler. Ils ont investi la Médina,<br />
le cœur historique et <strong>art</strong>istique de Tunis, avec ses maisons<br />
splendides et délaissées. À p<strong>art</strong>ir de là, les choses ont pu<br />
s’installer politiquement : tout d’abord la mise en place d’un<br />
travail dans la durée avec les <strong>art</strong>istes, des spécialistes de<br />
l’espace public et surtout la population de la Médina, qui a<br />
été sollicitée pour héberger les œuvres.<br />
Dream City a vite regardé au-delà des frontières tunisiennes...<br />
Les deux premières éditions ont eu lieu sous le régime de Ben<br />
Ali, elles ont permis aux <strong>art</strong>istes de respirer et de se fédérer.<br />
« Les deux premières éditions<br />
ont eu lieu sous le régime de Ben<br />
Ali, elles ont permis aux <strong>art</strong>istes<br />
de respirer et de se fédérer. »<br />
Le seul moyen de vaincre ce non-statut de l’<strong>art</strong>iste, c’était<br />
de se serrer les coudes et d’apprendre à travailler ensemble,<br />
y compris <strong>art</strong>istiquement. C’est ce qui a fait la magie et l’essor<br />
des <strong>art</strong>s de la rue aux USA et en Europe : les disciplines<br />
explosent, l’amalgame et l’osmose deviennent possibles. En<br />
Tunisie, le régime voulait absolument isoler les <strong>art</strong>istes, il<br />
s’agissait bien de créer un<br />
contre-pouvoir. Dès la deuxième<br />
édition, Dream City<br />
s’est appuyé sur la présence<br />
d’<strong>art</strong>istes méditerranéens et<br />
de compagnies européennes<br />
pour mettre en lumière les<br />
<strong>art</strong>istes tunisiens qui étaient<br />
très peu connus à l’étranger,<br />
puisqu’ils n’avaient pas de<br />
passeport pour voyager ! Certains ont réellement une fatwa<br />
sur la tête. Pouvoir être montrés ou vivre à l’étranger leur<br />
donne une force en Tunisie, même si elle n’est que psychologique,<br />
et peut-être un semblant de protection pour eux et<br />
leur famille.<br />
Pourquoi cette installation à l’Estaque ?<br />
Les premiers contacts avec l’équipe de MP2013 ont eu lieu dès<br />
2010. Plusieurs idées ont été lancées, jusqu’à ce que Karwan<br />
vienne assister à l’édition 2012, et propose d’accueillir Dream<br />
City au sein de La Folle Histoire des Arts de la rue. Dream<br />
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8 e <strong>art</strong> magazine • mai-juin 2013