Le sage et le fou Invité de La Folle Histoire, T<strong>art</strong>ar(e) invente sa vie, puis nous la fait p<strong>art</strong>ager. L’écrivain voyageur se contente de très peu, mais sait devenir généreux quand il se donne en spectacle et s’attache à dépeindre une humanité aussi attachante que désespérante. Texte : Fred Kahn • Photo : MO Lo cicero Pour faire le portrait de T<strong>art</strong>ar(e), il faut d’abord s’armer de patience. Car, en ce début de printemps frileux, notre homme est au fin fond du Burkina Faso, sous un soleil avoisinant les 40°. Pourtant, grâce aux technologies de la communication, la distance n’est plus un problème. Nous avons donc rendezvous, via Skype, à onze heures du matin… Il est un peu plus de 15 heures quand, enfin, il se connecte. Mais impossible de lui faire remarquer le « léger » retard. Son sourire désarmant vaut toutes les excuses du monde. Qu’il soit à des milliers de kilomètres, en Afrique, en Amazonie, en Inde, ou juste devant vous sur la scène d’un festival européen, impossible de ne pas sentir à quel point les contingences matérielles ont peu de prise sur lui. Ce jour-là, il est hébergé chez un ami, dans un village africain dont on n’arrivera pas à retenir le nom. Il est face à l’écran, vêtu d’un slip. Autres signes distinctifs de pauvreté revendiquée : la tignasse grisonnante tombante sur les épaules et, surtout, une barbe d’une longueur impressionnante. Attribut de la sagesse ou de la folie ? Les deux évidemment. L’être là T<strong>art</strong>ar(e) est avant tout auteur de sa vie. Ne lui dites pas qu’il est conteur, il vous répondra avec un grand éclat de rire qu’il « Aller toujours plus vers l’économie de moyen et de mots… Jusqu’au silence » déteste ce mot. « Dans mon dernier spectacle, je les insulte pendant trente minutes. Jean-Claude Carrière dit qu’un conteur ne parle jamais de lui. Or, je ne parle que de moi ». S’il faut à tout prix lui mettre une étiquette, il choisit celle d’écrivain : « J’écris comme une petite fille tient son journal intime. J’ai des kilos de cahiers à p<strong>art</strong>ir desquels je fabrique ma confiture ». Au commencement était donc le verbe. T<strong>art</strong>ar(e) écrit des histoires inspirées de la « vie du monde » et il les transforme en spectacle. Il a ainsi commis, entre autres, une série intitulée AAAA, Afrique, Asie, Amérique, Ailleurs. Du bout du monde ou du coin de la rue, il assemble des bouts de conversation, mixe des émotions, entremêle le discours politique, la pensée philosophique et la fulgurance poétique. Il est passionné par le comment de l’existence, mais se fout de savoir le pourquoi des choses : « On se cherche une destination, alors que c’est la vie qui nous porte à agir ». Déraciné depuis l’enfance, T<strong>art</strong>ar(e) est un enfant de la DASS : « Les gens qui se sont occupés de moi m’ont donné énormément d’amour et m’ont appris que rien ne m’app<strong>art</strong>enait sauf le monde ». Il revendique d’ailleurs ses origines éminemment populaires. Avec son sens inimitable de la formule, il résume son CV en trois phrases : « J’ai toujours vu des tracteurs, j’ai rêvé d’être acteur, je suis devenu détracteur ». On pourrait alors croire que notre personnage 44 8 e <strong>art</strong> magazine • mai-juin 2013
LA FOLLE HISTOIRE DES ARTS DE LA RUE TARTARE 8 e <strong>art</strong> magazine • mai-juin 2013 45