Bulletin de liaison et d'information - Institut kurde de Paris

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Russie : Moscou expulse ses Caucasiens
La lutte contre la criminalité prend une orientation de plus en plus ,«ethnique»
MOSCOU
de notre envoy~ spdcial
« On a pourtant tous fait la
guerre ,ensemlJ/e!» Il ne comprend
pas, Rufat, marchand de
fleurs sur le marché central de
Moscou, «pourquoi ils ne nous
aiment pas et nous traitent
comme des animaux». Mercredi
'matin, une ,quinzaine d'OMaN,
troupes spéciales du ministère de
l'intérieur, matraque à la main, le
visage recouvert de passe-montagne
noirs, ont débarqué,
comme ils le font régulièrement
depuis l'instauration de l'état
d'urgence en Russie, sur le marché.
« Ils nous ont frappés,
raconte Rufat en montrant son
dos couvert d'ecchymoses. Ils
nous ont demandé nos papiers, et
quand ils ont vu que nous étions
en règle, ils les ont déchirés. 1/s
ont emmené dix d'entre nous à la
gare et les ont mis dans le train
pour Bakou.» A 11 heures du
soir, la routine, les OMaN sont
revenus, ont de nouveau distibué
des coups de matraque: « Ça
vous apprendra à parler aux journalistes
!» Rurat a décidé de partir.
« Pourtant, j'habitais ici
depuis quinze ans. »
Cette chasse aux tchornye (les
«culs noirs»), ou aux tchourki les
«( bûches») - comme on désigne
vulgairement ici les habitants du
Caucase ou des pays d'Asie centrale
- a commencé aussitôt assurée
la « victoire» de Boris Eltsine
sur les rebelles de la « Maison
Blanche». Profitant de la loi sur
l'état d'urgence et de l'instauration
du couvre-feu dans la capitale,
la mairie « démocrate »,
après avoir fait la chasse aux derniers
« fascistes» retranchés dans
les immeubles autour du siège du
Parlement, décide de se lancer
dans un «nettoyage» de la ville
de tous ses éléments « criminels
». Très vite, cette opération
tourne purement et simplement à
la chasse aux Caucasiens, qui
« tiennent» la plupart des marchés
de fruits et de légumes de la
capitale. On les bat, on leur vole
leurs marchandises, leur argent,
jusqu'à leur balance ou leur étal,
S'ils ne sont pas en règle, c'est-àdire
s'ils ne peuvent pas montrer
leur propiska, ou permis de résidence,
on les met dans le premier
train pour Bakou, Tbilissi ou
Erevan. Et peu importe si nombre
d'entre eux étaient des réfugiés,
venant notamment de l'Abkhazie
en guerre, qui, enregistrés
à ce titre par les autorités locales,
n'avaient pas besoin de ce permis
de résidence à Moscou.
Cette propiska a, toute une histoire.
Instaurée par Staline en
1932--pour empêcher les paysans,
ruinés et affamés, p~r la, réformç
agraire, de venir se réfugier dans '
les grandes villes, il fallut attendre
1991, et la première conférence
de la CSCE organisée en
URSS, pour que Mikhan Gorbatchev
annonce sa prochaine suppr'esslOn,
conformément à la
législation internati~nale sur la
liberté de mouvements. Cet été,
le Soviet suprême de la Fédération
dè Russie, celui-là même qui
a été dissous par Boris Eltsine,
adopte enfin une loi concrétisant
cette promesse. Loi contre
laquelle la mairie de Moscou fait ,
immédiatement appel. Aujourd'hui,
pour justifier le maintien
de cette âutorisation de résidence,
délivrée, par la police, les
autorités arguent du fait que
Boris, Eltsine n'avait pas signé la
loi votée par, les parlementaires.
Selon. la police, 4 805 personnes,
dont 90 % de Caucasiens,
auraient ainsi été expulsées, faute
de propiska -en règle. Chiffre
sQrement en dessous de la réalité,
compte tenu de tous ceux qui
sont partis, ou veulent le faire
«de leur propre gré », pour fuir -
une situation intenable. Les
ambassades des pays concernés, -
l'Azerbaïdjan et l'Arménie
notamment, ont fait part de leurs
inquiétudes auprès du ministère
russe des affaires étrangères.
« Compte tenu de l'état d'urgence,
il est difficile de recueillir des
témoignages, des certificats médicaux
prouvant les agressions dont
sont victimes nos compatriotes »,
confiait un diplomate azerbaïdjanais,
qui ajoutait, amer (ou
naiO : «Nous ne pensions pas que
la victoire de la Russie démocratique
se traduirait comme cela,
nous pensions que c'était le Parlement
qui était nationaliste.» Des
mouvements russes de défense
de,S droits de l'homme, comme
Mémorial ou Amnesty International,
ont écrit à Boris Eltsine pour
",Ii signaler, témoignages à l'ap-,
pui, un certain nombre d'exactions,
et lui demandant d'intervenir.
Pour le moment, _lesautorités
n'ont pas réagi. Le général.
Alexandre l