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Civilité, incivilités - Revue des sciences sociales

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136<br />

Filles et garçons<br />

en école d’ingénieurs<br />

Les trajets sociaux et scolaires<br />

<strong>des</strong> élèves de l’Institut National<br />

<strong>des</strong> Télécommunications.<br />

D epuis<br />

le début <strong>des</strong> années 1970, les<br />

jeunes filles investissent progressivement<br />

les écoles d’ingénieurs.<br />

Cependant, il faut souligner la lenteur de<br />

cette progression : la part <strong>des</strong> filles est passée<br />

de 6 % en 1972 à 22,2 % en 1998 (source<br />

DPD). Actuellement, les écoles d’ingénieurs<br />

connaissent le taux de féminisation<br />

le plus faible de l’enseignement supérieur.<br />

Qui sont donc ces filles qui se hasardent<br />

dans ces bastions masculins ? Quels sont<br />

les processus qui les amènent à s’engager<br />

dans ce type de formation en sachant<br />

qu’une telle orientation si elle n’est plus<br />

exceptionnelle, demeure peu probable pour<br />

le sexe féminin ?<br />

Peu de travaux ont jusqu’à présent cherché<br />

à comprendre ce qui poussait les filles<br />

à choisir <strong>des</strong> orientations sexuellement<br />

atypiques. En effet, cette question a seulement<br />

été étudiée pour <strong>des</strong> BTS et IUT<br />

CHRISTINE FONTANINI<br />

École Nationale de Formation Agronomique<br />

(ENFA), Toulouse<br />

CERF (EA 2182),<br />

Équipe Mixité Scolaire et Démocratie,<br />

IUFM Midi-Pyrénées<br />

Équipe Simone SAGESSE (EA 3053),<br />

Université Toulouse le Mirail<br />

christine.fontanini@free.fr<br />

industriels (AM. Daune-Richard et<br />

C. Marry, 1987), pour certaines écoles<br />

d’ingénieurs (C. Marry, 1987, 1992, 1995),<br />

pour l’École Nationale <strong>des</strong> Ponts et Chaussées<br />

(N. Sutour et R. Pozzi, 1997) et pour<br />

les classes préparatoires scientifiques à<br />

dominante mathématiques et physique (C.<br />

Fontanini, 1999).<br />

L’intérêt de telles étu<strong>des</strong> est de mieux<br />

comprendre ces exceptions statistiques aux<br />

lois de la reproduction sociale (JP. Terrail,<br />

1985 ; JP. Laurens, 1991). Selon P. Bouffartigue<br />

(1994), ces exceptions « informent<br />

sur la nature et la force <strong>des</strong> obstacles<br />

sociaux et culturels que les personnes<br />

concernées ont dû franchir, et aident de ce<br />

fait à mettre en lumière les micro-processus<br />

d’accumulation de ressources <strong>sociales</strong><br />

et de mobilisation psychologique qui ont<br />

rendu possible l’improbable ».<br />

Par conséquent, de telles recherches<br />

Christine Fontanini Filles et garçons en école d’ingénieurs<br />

permettent de mieux percevoir les facteurs<br />

favorables à la diversification <strong>des</strong> choix<br />

d’orientation féminins et donc mieux combattre<br />

la persistance de la division sexuée<br />

<strong>des</strong> filières de formation et <strong>des</strong> professions.<br />

Dans cette optique, nous avons mené<br />

une recherche sur les élèves ingénieurs<br />

féminines de l’Institut National <strong>des</strong> Télécommunications<br />

(INT) pour appréhender<br />

les facteurs pouvant rendre compte de leur<br />

parcours d’orientation scolaire post-baccalauréat<br />

et les raisons de leur choix pour<br />

cette école d’ingénieurs. Toutefois, pour<br />

mieux saisir la spécificité éventuelle de<br />

cette population féminine, nous l’avons<br />

comparée à celle <strong>des</strong> garçons.<br />

1 - Présentation de l’INT<br />

et de la méthodologie ■<br />

L’INT est membre du Groupe <strong>des</strong> Télécommunications<br />

(GET) et de la Conférence<br />

<strong>des</strong> Gran<strong>des</strong> Écoles. C’est un établissement<br />

public sous la tutelle du<br />

Ministère de l’Industrie. Il forme <strong>des</strong> ingénieurs<br />

généralistes du monde <strong>des</strong> technologies<br />

de l’information et de la communication.<br />

L’INT est situé en Ile de France et<br />

plus précisément à Evry dans l’Essonne.<br />

Le concours d’entrée en première année<br />

est ouvert aux élèves <strong>des</strong> classes préparatoires<br />

scientifiques mathématiques - physique<br />

(MP), physique - chimie (PC), physique<br />

- <strong>sciences</strong> de l’ingénieur (PSI) et<br />

physique – technologie (PT) 1 .<br />

Cette école présente la particularité<br />

d’accueillir depuis 1992 une proportion de<br />

filles beaucoup plus élevée (entre 21 et<br />

30 %) que l’ensemble <strong>des</strong> écoles Grands<br />

Concours (dont elle fait partie) où la part<br />

<strong>des</strong> filles atteint 13 % (CEFI – 1995) et que<br />

ses deux consœurs : les Écoles Nationales<br />

Supérieures <strong>des</strong> Télécommunications de<br />

Paris et Bretagne qui n’ont intégré respectivement<br />

que 13,6 % et 11,5 % d’élèves<br />

féminines entre 1997 et 1999 (Chiffres<br />

concours écoles du GET – 1998).<br />

La méthodologie adoptée pour l’enquête<br />

est un questionnaire semi ouvert. Il<br />

a été soumis aux 129 élèves (29 filles et<br />

100 garçons) de première année courant<br />

novembre 1999. 91 étudiants dont 23<br />

filles et 68 garçons ont répondu à ce<br />

questionnaire qui était anonyme. Les<br />

résultats ci-après concernent donc ces 91<br />

répondant(e)s.<br />

Étant donné la taille restreinte de la<br />

population de notre enquête, les résultats<br />

du questionnaire n’ont bien sûr qu’une<br />

valeur indicative. Néanmoins, nous les<br />

présenterons sous forme de pourcentage<br />

pour afficher un ordre de grandeur qui nous<br />

permette de les comparer avec les résultats<br />

d’autres recherches.<br />

2 - Les trajectoires<br />

<strong>sociales</strong> <strong>des</strong> élèves<br />

de l’INT ■<br />

Toutes les recherches portant sur les<br />

élèves dans <strong>des</strong> écoles d’ingénieurs (F.<br />

Pigeyre, 1986; C. Marry 1987 et 1992) ont<br />

mis en évidence une certaine sur-sélection<br />

sociale <strong>des</strong> filles par rapport aux garçons à<br />

l’exception de l’école Polytechnique (C.<br />

Marry, 1995).<br />

Qu’en est-il pour les filles de l’INT ?<br />

La moitié <strong>des</strong> garçons (51 %) et les<br />

deux tiers <strong>des</strong> filles (66 %) de première<br />

année ont un père qui exerce une profession<br />

supérieure (profession libérale, cadre<br />

de la fonction publique ou d’entreprise,<br />

enseignant dans le secondaire ou le supérieur,<br />

chercheur ou ingénieur). Le recrutement<br />

social <strong>des</strong> élèves de l’INT par leurs<br />

pères est donc assez sélectif puisque les<br />

pourcentages <strong>des</strong> pères <strong>des</strong> filles et <strong>des</strong> garçons<br />

appartenant à la CSP Cadres et Professions<br />

intellectuelles supérieures est<br />

beaucoup plus forte par rapport à celle de<br />

l’ensemble <strong>des</strong> hommes actifs en 1998 qui<br />

est de 14,7 % (INSEE, Enquêtes emploi –<br />

1998).<br />

On peut donc déjà noter que les filles de<br />

l’INT ont un recrutement social par leurs<br />

pères plus élevé que les garçons. En outre,<br />

elles ont plus souvent que leurs homologues<br />

masculins un père ingénieur<br />

puisque que c’est le cas de plus d’un tiers<br />

<strong>des</strong> filles (35 %) et d’environ un garçon sur<br />

huit (12 %).<br />

Les filles de l’INT sont aussi plus nombreuses<br />

(60 %) proportionnellement à leurs<br />

homologues masculins (45 %) à avoir une<br />

mère active exerçant une profession supérieure<br />

(médecin, cadre de la fonction<br />

publique, enseignante dans le secondaire<br />

ou le supérieur, chercheur). On peut<br />

d’ailleurs remarquer que le pourcentage<br />

<strong>des</strong> mères <strong>des</strong> filles de l’INT dans la CSP<br />

Cadres et Professions intellectuelles supérieures<br />

est plus de 6 fois la part de la population<br />

féminine occupée dans cette caté-<br />

gorie sur le plan national en 1998 (9,3 %)<br />

et celui <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> garçons, environ 5<br />

fois (INSEE, Enquêtes emploi – 1998).<br />

En examinant l’ensemble <strong>des</strong> mères<br />

(actives et inactives), on observe toujours<br />

que les mères <strong>des</strong> filles appartiennent un<br />

peu plus à la CSP Cadres et Professions<br />

intellectuelles supérieures puisque cela<br />

concerne 39 % <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> filles et 31 %<br />

<strong>des</strong> mères <strong>des</strong> garçons.<br />

Suite à ces résultats, on peut relever une<br />

certaine sur-sélection sociale <strong>des</strong> filles de<br />

l’INT par rapport à leurs condisciples<br />

masculins.<br />

Nous signalons que les taux d’activité<br />

professionnelles <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> étudiants<br />

<strong>des</strong> deux sexes sont voisins étant donné que<br />

74 % <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> filles et 72 % <strong>des</strong><br />

mères <strong>des</strong> garçons occupent un emploi au<br />

moment de l’enquête. Précisons que seulement<br />

26 % <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> filles et 28 %<br />

<strong>des</strong> mères <strong>des</strong> garçons n’ont jamais travaillé<br />

ou se sont arrêtées lors de leur<br />

mariage ou de la naissance d’un enfant.<br />

L’activité professionnelle <strong>des</strong> mères <strong>des</strong><br />

étudiantes a sans doute eu une influence sur<br />

l’orientation de leurs filles car d’après M.<br />

Duru Bellat et JP. Jarousse (1996) : « Les<br />

mères actives prôneraient pour leurs filles<br />

un modèle éducatif assez proche de celui<br />

valorisé en moyenne pour les garçons,<br />

notamment eu égard à <strong>des</strong> qualificatifs<br />

comme l’ambition ou le dynamisme ».<br />

Par ailleurs, les élèves de l’INT ont<br />

majoritairement <strong>des</strong> parents assez richement<br />

dotés scolairement puisque plus <strong>des</strong><br />

trois quart <strong>des</strong> pères <strong>des</strong> filles (78 %) et 7<br />

pères <strong>des</strong> garçons sur 10 (69 %) sont<br />

diplômés de l’enseignement supérieur ;<br />

c’est le cas également de 65 % <strong>des</strong> mères<br />

<strong>des</strong> filles et de 70 % de celles <strong>des</strong> garçons.<br />

De plus, près de la moitié <strong>des</strong> pères <strong>des</strong><br />

garçons (47 %) et <strong>des</strong> filles (48 %) a atteint<br />

un niveau bac + 5 et plus. Les mères sont<br />

moins nombreuses à avoir ce niveau<br />

d’étu<strong>des</strong> supérieures mais c’est tout de<br />

même le cas d’un quart <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> filles<br />

(26 %) et d’environ un cinquième <strong>des</strong><br />

mères <strong>des</strong> garçons (22 %).<br />

On ne constate donc pas de différence<br />

notoire entre les niveaux de diplômes <strong>des</strong><br />

parents <strong>des</strong> filles et <strong>des</strong> garçons de l’INT.<br />

On relève toutefois que la part <strong>des</strong><br />

mères exerçant une profession nécessitant<br />

<strong>des</strong> connaissances scientifiques (médecin,<br />

pharmacienne, professeur dans une discipline<br />

scientifique) est faible pour les garçons<br />

(1 sur 10) mais n’est pas négli-<br />

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