Civilité, incivilités - Revue des sciences sociales
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Filles et garçons<br />
en école d’ingénieurs<br />
Les trajets sociaux et scolaires<br />
<strong>des</strong> élèves de l’Institut National<br />
<strong>des</strong> Télécommunications.<br />
D epuis<br />
le début <strong>des</strong> années 1970, les<br />
jeunes filles investissent progressivement<br />
les écoles d’ingénieurs.<br />
Cependant, il faut souligner la lenteur de<br />
cette progression : la part <strong>des</strong> filles est passée<br />
de 6 % en 1972 à 22,2 % en 1998 (source<br />
DPD). Actuellement, les écoles d’ingénieurs<br />
connaissent le taux de féminisation<br />
le plus faible de l’enseignement supérieur.<br />
Qui sont donc ces filles qui se hasardent<br />
dans ces bastions masculins ? Quels sont<br />
les processus qui les amènent à s’engager<br />
dans ce type de formation en sachant<br />
qu’une telle orientation si elle n’est plus<br />
exceptionnelle, demeure peu probable pour<br />
le sexe féminin ?<br />
Peu de travaux ont jusqu’à présent cherché<br />
à comprendre ce qui poussait les filles<br />
à choisir <strong>des</strong> orientations sexuellement<br />
atypiques. En effet, cette question a seulement<br />
été étudiée pour <strong>des</strong> BTS et IUT<br />
CHRISTINE FONTANINI<br />
École Nationale de Formation Agronomique<br />
(ENFA), Toulouse<br />
CERF (EA 2182),<br />
Équipe Mixité Scolaire et Démocratie,<br />
IUFM Midi-Pyrénées<br />
Équipe Simone SAGESSE (EA 3053),<br />
Université Toulouse le Mirail<br />
christine.fontanini@free.fr<br />
industriels (AM. Daune-Richard et<br />
C. Marry, 1987), pour certaines écoles<br />
d’ingénieurs (C. Marry, 1987, 1992, 1995),<br />
pour l’École Nationale <strong>des</strong> Ponts et Chaussées<br />
(N. Sutour et R. Pozzi, 1997) et pour<br />
les classes préparatoires scientifiques à<br />
dominante mathématiques et physique (C.<br />
Fontanini, 1999).<br />
L’intérêt de telles étu<strong>des</strong> est de mieux<br />
comprendre ces exceptions statistiques aux<br />
lois de la reproduction sociale (JP. Terrail,<br />
1985 ; JP. Laurens, 1991). Selon P. Bouffartigue<br />
(1994), ces exceptions « informent<br />
sur la nature et la force <strong>des</strong> obstacles<br />
sociaux et culturels que les personnes<br />
concernées ont dû franchir, et aident de ce<br />
fait à mettre en lumière les micro-processus<br />
d’accumulation de ressources <strong>sociales</strong><br />
et de mobilisation psychologique qui ont<br />
rendu possible l’improbable ».<br />
Par conséquent, de telles recherches<br />
Christine Fontanini Filles et garçons en école d’ingénieurs<br />
permettent de mieux percevoir les facteurs<br />
favorables à la diversification <strong>des</strong> choix<br />
d’orientation féminins et donc mieux combattre<br />
la persistance de la division sexuée<br />
<strong>des</strong> filières de formation et <strong>des</strong> professions.<br />
Dans cette optique, nous avons mené<br />
une recherche sur les élèves ingénieurs<br />
féminines de l’Institut National <strong>des</strong> Télécommunications<br />
(INT) pour appréhender<br />
les facteurs pouvant rendre compte de leur<br />
parcours d’orientation scolaire post-baccalauréat<br />
et les raisons de leur choix pour<br />
cette école d’ingénieurs. Toutefois, pour<br />
mieux saisir la spécificité éventuelle de<br />
cette population féminine, nous l’avons<br />
comparée à celle <strong>des</strong> garçons.<br />
1 - Présentation de l’INT<br />
et de la méthodologie ■<br />
L’INT est membre du Groupe <strong>des</strong> Télécommunications<br />
(GET) et de la Conférence<br />
<strong>des</strong> Gran<strong>des</strong> Écoles. C’est un établissement<br />
public sous la tutelle du<br />
Ministère de l’Industrie. Il forme <strong>des</strong> ingénieurs<br />
généralistes du monde <strong>des</strong> technologies<br />
de l’information et de la communication.<br />
L’INT est situé en Ile de France et<br />
plus précisément à Evry dans l’Essonne.<br />
Le concours d’entrée en première année<br />
est ouvert aux élèves <strong>des</strong> classes préparatoires<br />
scientifiques mathématiques - physique<br />
(MP), physique - chimie (PC), physique<br />
- <strong>sciences</strong> de l’ingénieur (PSI) et<br />
physique – technologie (PT) 1 .<br />
Cette école présente la particularité<br />
d’accueillir depuis 1992 une proportion de<br />
filles beaucoup plus élevée (entre 21 et<br />
30 %) que l’ensemble <strong>des</strong> écoles Grands<br />
Concours (dont elle fait partie) où la part<br />
<strong>des</strong> filles atteint 13 % (CEFI – 1995) et que<br />
ses deux consœurs : les Écoles Nationales<br />
Supérieures <strong>des</strong> Télécommunications de<br />
Paris et Bretagne qui n’ont intégré respectivement<br />
que 13,6 % et 11,5 % d’élèves<br />
féminines entre 1997 et 1999 (Chiffres<br />
concours écoles du GET – 1998).<br />
La méthodologie adoptée pour l’enquête<br />
est un questionnaire semi ouvert. Il<br />
a été soumis aux 129 élèves (29 filles et<br />
100 garçons) de première année courant<br />
novembre 1999. 91 étudiants dont 23<br />
filles et 68 garçons ont répondu à ce<br />
questionnaire qui était anonyme. Les<br />
résultats ci-après concernent donc ces 91<br />
répondant(e)s.<br />
Étant donné la taille restreinte de la<br />
population de notre enquête, les résultats<br />
du questionnaire n’ont bien sûr qu’une<br />
valeur indicative. Néanmoins, nous les<br />
présenterons sous forme de pourcentage<br />
pour afficher un ordre de grandeur qui nous<br />
permette de les comparer avec les résultats<br />
d’autres recherches.<br />
2 - Les trajectoires<br />
<strong>sociales</strong> <strong>des</strong> élèves<br />
de l’INT ■<br />
Toutes les recherches portant sur les<br />
élèves dans <strong>des</strong> écoles d’ingénieurs (F.<br />
Pigeyre, 1986; C. Marry 1987 et 1992) ont<br />
mis en évidence une certaine sur-sélection<br />
sociale <strong>des</strong> filles par rapport aux garçons à<br />
l’exception de l’école Polytechnique (C.<br />
Marry, 1995).<br />
Qu’en est-il pour les filles de l’INT ?<br />
La moitié <strong>des</strong> garçons (51 %) et les<br />
deux tiers <strong>des</strong> filles (66 %) de première<br />
année ont un père qui exerce une profession<br />
supérieure (profession libérale, cadre<br />
de la fonction publique ou d’entreprise,<br />
enseignant dans le secondaire ou le supérieur,<br />
chercheur ou ingénieur). Le recrutement<br />
social <strong>des</strong> élèves de l’INT par leurs<br />
pères est donc assez sélectif puisque les<br />
pourcentages <strong>des</strong> pères <strong>des</strong> filles et <strong>des</strong> garçons<br />
appartenant à la CSP Cadres et Professions<br />
intellectuelles supérieures est<br />
beaucoup plus forte par rapport à celle de<br />
l’ensemble <strong>des</strong> hommes actifs en 1998 qui<br />
est de 14,7 % (INSEE, Enquêtes emploi –<br />
1998).<br />
On peut donc déjà noter que les filles de<br />
l’INT ont un recrutement social par leurs<br />
pères plus élevé que les garçons. En outre,<br />
elles ont plus souvent que leurs homologues<br />
masculins un père ingénieur<br />
puisque que c’est le cas de plus d’un tiers<br />
<strong>des</strong> filles (35 %) et d’environ un garçon sur<br />
huit (12 %).<br />
Les filles de l’INT sont aussi plus nombreuses<br />
(60 %) proportionnellement à leurs<br />
homologues masculins (45 %) à avoir une<br />
mère active exerçant une profession supérieure<br />
(médecin, cadre de la fonction<br />
publique, enseignante dans le secondaire<br />
ou le supérieur, chercheur). On peut<br />
d’ailleurs remarquer que le pourcentage<br />
<strong>des</strong> mères <strong>des</strong> filles de l’INT dans la CSP<br />
Cadres et Professions intellectuelles supérieures<br />
est plus de 6 fois la part de la population<br />
féminine occupée dans cette caté-<br />
gorie sur le plan national en 1998 (9,3 %)<br />
et celui <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> garçons, environ 5<br />
fois (INSEE, Enquêtes emploi – 1998).<br />
En examinant l’ensemble <strong>des</strong> mères<br />
(actives et inactives), on observe toujours<br />
que les mères <strong>des</strong> filles appartiennent un<br />
peu plus à la CSP Cadres et Professions<br />
intellectuelles supérieures puisque cela<br />
concerne 39 % <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> filles et 31 %<br />
<strong>des</strong> mères <strong>des</strong> garçons.<br />
Suite à ces résultats, on peut relever une<br />
certaine sur-sélection sociale <strong>des</strong> filles de<br />
l’INT par rapport à leurs condisciples<br />
masculins.<br />
Nous signalons que les taux d’activité<br />
professionnelles <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> étudiants<br />
<strong>des</strong> deux sexes sont voisins étant donné que<br />
74 % <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> filles et 72 % <strong>des</strong><br />
mères <strong>des</strong> garçons occupent un emploi au<br />
moment de l’enquête. Précisons que seulement<br />
26 % <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> filles et 28 %<br />
<strong>des</strong> mères <strong>des</strong> garçons n’ont jamais travaillé<br />
ou se sont arrêtées lors de leur<br />
mariage ou de la naissance d’un enfant.<br />
L’activité professionnelle <strong>des</strong> mères <strong>des</strong><br />
étudiantes a sans doute eu une influence sur<br />
l’orientation de leurs filles car d’après M.<br />
Duru Bellat et JP. Jarousse (1996) : « Les<br />
mères actives prôneraient pour leurs filles<br />
un modèle éducatif assez proche de celui<br />
valorisé en moyenne pour les garçons,<br />
notamment eu égard à <strong>des</strong> qualificatifs<br />
comme l’ambition ou le dynamisme ».<br />
Par ailleurs, les élèves de l’INT ont<br />
majoritairement <strong>des</strong> parents assez richement<br />
dotés scolairement puisque plus <strong>des</strong><br />
trois quart <strong>des</strong> pères <strong>des</strong> filles (78 %) et 7<br />
pères <strong>des</strong> garçons sur 10 (69 %) sont<br />
diplômés de l’enseignement supérieur ;<br />
c’est le cas également de 65 % <strong>des</strong> mères<br />
<strong>des</strong> filles et de 70 % de celles <strong>des</strong> garçons.<br />
De plus, près de la moitié <strong>des</strong> pères <strong>des</strong><br />
garçons (47 %) et <strong>des</strong> filles (48 %) a atteint<br />
un niveau bac + 5 et plus. Les mères sont<br />
moins nombreuses à avoir ce niveau<br />
d’étu<strong>des</strong> supérieures mais c’est tout de<br />
même le cas d’un quart <strong>des</strong> mères <strong>des</strong> filles<br />
(26 %) et d’environ un cinquième <strong>des</strong><br />
mères <strong>des</strong> garçons (22 %).<br />
On ne constate donc pas de différence<br />
notoire entre les niveaux de diplômes <strong>des</strong><br />
parents <strong>des</strong> filles et <strong>des</strong> garçons de l’INT.<br />
On relève toutefois que la part <strong>des</strong><br />
mères exerçant une profession nécessitant<br />
<strong>des</strong> connaissances scientifiques (médecin,<br />
pharmacienne, professeur dans une discipline<br />
scientifique) est faible pour les garçons<br />
(1 sur 10) mais n’est pas négli-<br />
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