26.06.2013 Views

Civilité, incivilités - Revue des sciences sociales

Civilité, incivilités - Revue des sciences sociales

Civilité, incivilités - Revue des sciences sociales

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

La première partie de l’ouvrage se<br />

centre sur les attitu<strong>des</strong> <strong>des</strong> Suisses. Elle<br />

présente les principaux résultats de la<br />

comparaison entre les enquêtes de 1969<br />

et 1995, ainsi que sur les résultats<br />

convergents d’étu<strong>des</strong> complémentaires<br />

sur la représentation <strong>des</strong> étrangers dans le<br />

discours <strong>des</strong> médias et les liens entre le<br />

traditionalisme et la xénophobie. Tout en<br />

gardant à l’esprit qu’il peut y avoir <strong>des</strong><br />

écarts importants entre les réponses à un<br />

questionnaire et les conduites réelles<br />

dans une situation concrète, cet ensemble<br />

de travaux quantitatifs est très intéressant<br />

car il met en évidence la continuité et les<br />

ruptures dans les attitu<strong>des</strong>.<br />

La présence <strong>des</strong> étrangers continue à<br />

être perçue comme un problème, la pratique<br />

religieuse reste corrélée avec le<br />

rejet de l’étranger, malgré les efforts <strong>des</strong><br />

églises qui s’impliquent fortement dans la<br />

solidarité avec les étrangers. La nouveauté<br />

vient d’une relative ouverture à<br />

« l’étranger proche ». L’Italien est aujourd’hui<br />

bien vu et sa culture est valorisée.<br />

Mais l’étranger originaire du Tiers-Monde<br />

cristallise les peurs et fait figure de<br />

repoussoir.<br />

La deuxième partie traite de la<br />

« deuxième génération », c’est-à-dire ici<br />

<strong>des</strong> jeunes adultes nés en Suisse de parents<br />

italiens ou turcs. Elle présente et confronte<br />

les résultats de deux enquêtes récentes<br />

réalisées à l’Institut de Sociologie de Zurich.<br />

La première, quantitative, s’inscrit<br />

directement dans le sillon ouvert par Hoffmann-Nowotny.<br />

La seconde, réalisée par<br />

deux jeunes chercheuses, fait une analyse<br />

qualitative d’entretiens biographiques.<br />

L’étude quantitative montre que la<br />

deuxième génération est très consciente<br />

de subir <strong>des</strong> discriminations et d’avoir <strong>des</strong><br />

obstacles à surmonter avant de trouver sa<br />

place dans la société suisse. Les auteurs<br />

voient dans ces résultats la confirmation<br />

de la théorie de la désintégration structurelle,<br />

élaborée par Hoffmann-Nowotny.<br />

Cette théorie distingue deux formes de<br />

désintégration, ou d’anomie. L’anomie<br />

par manque de repères (Orientierungsanomie),<br />

empruntée à Durkheim, et l’anomie<br />

par manque de ressources (Deprivationsanomie),<br />

empruntée à Merton.<br />

L’enquête montre que les jeunes résidents<br />

étrangers en Suisse sont confrontés à ces<br />

deux formes d’anomie qui se renforcent<br />

mutuellement.<br />

Mais l’étude qualitative introduit de<br />

166 <strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales, 2002, n° 29, civilité, <strong>incivilités</strong><br />

très sérieuses nuances. L’outil statistique<br />

impose une logique binaire, singulièrement<br />

réductrice d’une réalité sociale<br />

autrement plus complexe. Certes, les<br />

jeunes résidents étrangers sont conscients<br />

de subir <strong>des</strong> discriminations. Mais, pour<br />

la plupart, ils ne se posent pas en victimes<br />

et ils considèrent leur multilinguisme et<br />

leur double culture comme une ressource<br />

et non comme un handicap. Ils se voient<br />

volontiers comme <strong>des</strong> médiateurs et <strong>des</strong><br />

passeurs de frontières. Les auteurs de<br />

l’étude quantitative en conviennent et<br />

leurs conclusions sont d’une grande<br />

mo<strong>des</strong>tie : « les problèmes mentionnés ne<br />

doivent pas être surestimés ni, surtout,<br />

abusivement pathologisés » (p.195, ma<br />

traduction). Mais ils ne semblent pas se<br />

rendre compte que leurs définitions<br />

(désintégration, anomie) favorisent ce<br />

genre d’extrapolation.<br />

La troisième et dernière partie est plus<br />

brève et plus théorique. Implicitement, les<br />

concepts de culture et de société sont<br />

presque toujours référés au niveau national.<br />

C’est pourquoi on a longtemps considéré<br />

que l’intégration <strong>des</strong> étrangers passe<br />

par l’adoption de la culture du pays d’accueil.<br />

C’est la position de la CDU allemande<br />

aujourd’hui, qui a soulevé un tollé<br />

en voulant introduire la prise en compte<br />

d’une mystérieuse Leitkultur (culture de<br />

référence) dans la procédure de naturalisation.<br />

A l’opposé, les tenants du multiculturalisme<br />

voient l’intégration <strong>des</strong><br />

étrangers comme une cohabitation de cultures<br />

qui entrent dans une dynamique<br />

d’échange par hybridation et métissage.<br />

Les auteurs qui en débattent ici, Gaetano<br />

Romano et Hartmut Esser, ont de nombreux<br />

points de désaccord et ils laissent le<br />

débat ouvert. Ils se référent tous deux à la<br />

tradition sociologique, de Durkheim et<br />

Weber à Parsons et Luhmann. Mais ils en<br />

font <strong>des</strong> lectures différentes et je ne peux<br />

résumer leur propos en quelques lignes.<br />

Dans l’ensemble, les auteurs de ce<br />

livre usent et abusent du jargon sociologique.<br />

Paradoxalement, ce jargon étant<br />

international, les sociologues francophones<br />

n’auront pas trop de difficultés à<br />

le lire. Mais il est dommage qu’un tel<br />

ouvrage ne s’adresse qu’à une communauté<br />

scientifique restreinte, car son message<br />

concerne tout autant les élus et les<br />

citoyens. Il est aussi une illustration exemplaire<br />

<strong>des</strong> vertus du pluralisme et il en<br />

montre la fécondité. Il met très concrète-<br />

ment en oeuvre le pluralisme méthodologique.<br />

Pour faire bref, il apporte la preuve<br />

que les partisans du quantitatif et du<br />

qualitatif peuvent non seulement cohabiter<br />

dans le même centre de recherche<br />

mais, surtout, opérer <strong>des</strong> fertilisations<br />

croisées. Il montre aussi que les désaccords<br />

théoriques n’excluent pas le dialogue,<br />

ni à l’intérieur d’une discipline<br />

comme la sociologie, ni entre les disciplines<br />

: outre la sociologie, l’histoire, la<br />

philosophie et même la théologie sont ici<br />

convoquées.<br />

Référence<br />

Frisch M., « Ueberfremdung », in : Oeffentlichkeit<br />

als Partner, Frankfurt am Main, Suhrkamp,<br />

1967.<br />

Maurice Blanc<br />

Université Marc Bloch, Strasbourg2.<br />

STÉPHANE LARDY<br />

Les syndicats français<br />

faceaux nouvelles formes<br />

de rémunération.<br />

Le cas de l’individualisation<br />

Paris, L’Harmattan, 2000, 346 p.<br />

Stéphane Lardy, juriste en droit du travail<br />

et docteur en sociologie, présente une<br />

analyse à la fois empirique et théorique<br />

portant sur les réactions syndicales face<br />

aux nouvelles formes, individualisées, de<br />

rémunération pratiquées dans le cadre de<br />

rapports salariaux réaménagés.<br />

Dans un premier volet de son étude,<br />

Stéphane Lardy propose au lecteur un survol<br />

<strong>des</strong> doctrines <strong>des</strong> trois confédérations<br />

syndicales Force Ouvrière, CFDT et CGT,<br />

en mettant surtout l’accent sur les deux<br />

premières et en passant nettement plus<br />

vite sur les positions de la dernière nommée.<br />

Sa position de permanent au siège<br />

confédéral de Force Ouvrière est par<br />

ailleurs perceptible à travers un certain<br />

nombre d’appréciations qu’il donne. Ainsi<br />

la doctrine de Force Ouvrière a-t-elle à la<br />

fois droit à une présentation plus ample<br />

que celle <strong>des</strong> deux autres centrales syndicales<br />

étudiées, et est analysée d’une<br />

manière donnant l’impression d’une cohérence<br />

idéologique et stratégique beaucoup<br />

plus grande. La présentation de la<br />

CGT, de l’autre côté, apparaît comme<br />

presque caricaturale concernant certaines<br />

pério<strong>des</strong>.<br />

Par la suite, l’auteur étudie successivement<br />

les doctrinales syndicales et patronales<br />

en matière de rémunération <strong>des</strong><br />

salariés. Dans un premier temps, S. Lardy<br />

qualifie la vision syndicale de la rémunération<br />

de « salaire externalisé », dans la<br />

mesure où celui-ci est déterminé sur la<br />

base de critères extérieurs à l’entreprise.<br />

Elle repose selon lui sur trois piliers : le<br />

salaire de garantie, le salaire de qualification<br />

et le salaire de croissance. La première<br />

fonction consiste à assurer au salarié<br />

la satisfaction de ses besoins les plus<br />

impératifs, et a été consacrée à travers <strong>des</strong><br />

acquis comme le SMIG (plus tard le<br />

SMIC) et la mensualisation <strong>des</strong> salaires.<br />

La deuxième repose sur l’idée de la reconnaissance<br />

<strong>des</strong> qualités inhérentes au salarié,<br />

les organisations syndicales étant attachées<br />

à la rémunération en fonction <strong>des</strong><br />

qualités et capacités propres au salarié, et<br />

non pas du poste occupé par celui-ci dans<br />

la division du travail au sein de l’entreprise.<br />

(Une approche qui, par ailleurs,<br />

risque d’être détournée par un nouveau<br />

discours patronal, basé sur l’évaluation<br />

<strong>des</strong> « compétences » <strong>des</strong> salariés et non<br />

plus sur la qualification inhérente à leurs<br />

postes dans une organisation de travail<br />

donnée, ce qui a pour effet entre autres de<br />

brouiller les repères collectifs jusqu’ici<br />

existant et d’introduire une nouvelle<br />

forme d’individualisation).<br />

Le troisième volet, enfin, du « salaire<br />

externalisé » repose sur la fonction<br />

macro-économique du salaire comme instrument<br />

éventuel d’une politique de relance<br />

par la consommation. L’auteur note <strong>des</strong><br />

différences fondamentales entre les<br />

approches <strong>des</strong> confédérations suivant les<br />

trois critères prédéfinis. Ainsi la CFDT<br />

aurait-elle longtemps été marquée par un<br />

discours anti-hiérarchique, demandant la<br />

réduction de l’éventail entre bas et hauts<br />

salaires, qu’elle a abandonné au cours de<br />

son évolution ultérieure. Aujourd’hui, la<br />

demande de hausses salariales (générales)<br />

aurait complètement disparu <strong>des</strong> priorités<br />

de cette centrale syndicale, au profit de la<br />

RTT (réduction du temps de travail) choisie<br />

comme vecteur de création d’emplois,<br />

quitte à faire <strong>des</strong> concessions sur le « front<br />

salarial » 1 . Par ailleurs, l’auteur ayant<br />

esquissé au début du livre l’évolution<br />

doctrinale de la centrale syndicale, il<br />

posera à un moment plus tard (p. 235) la<br />

question : « En fonction de ses origines<br />

chrétiennes, la CFDT n’aurait-elle pas un<br />

rapport compliqué à l’argent (...) ? », ceci<br />

en privilégiant l’affirmation de « valeurs»<br />

ou d’un « intérêt général de la société » à<br />

travers son action syndicale, au détriment<br />

de l’intérêt particulier <strong>des</strong> salariés si ce<br />

dernier est défini de manière purement<br />

matérielle.<br />

A l’inverse, FO aurait toujours privilégié<br />

le bulletin de salaire. Des hausses<br />

(générales) sont ainsi perçues comme<br />

« arme anti-crise ». Cette centrale syndicale<br />

reste méfiante vis-à-vis <strong>des</strong> discours<br />

anti-hiérarchie-<strong>des</strong>-salaires. La CGT se<br />

situe entre ces deux conceptions opposées,<br />

demandant pendant longtemps l’instauration<br />

de grilles uniques allant « de l’ouvrier<br />

jusqu’à l’ingénieur, ou jusqu’au cadre »<br />

tout en privilégiant elle aussi les revendications<br />

d’augmentation généralisée <strong>des</strong><br />

salaires.<br />

Les employeurs, au contraire, cherchent<br />

à privilégier le « salaire internali-<br />

Lu, à lire<br />

sé », au sens où il conviendrait de subordonner<br />

l’évolution <strong>des</strong> rémunérations aux<br />

résultats de l’entreprise, mais aussi à la<br />

contribution que chaque salarié pris individuellement<br />

apporte à la réalisation de<br />

ces résultats.<br />

Après avoir dressé un tableau <strong>des</strong><br />

conséquences résultant du bouleversement<br />

actuel du rapport salarial fordiste<br />

(marqué entre autres par une flexibilité<br />

accrue de la force de travail, la recherche<br />

d’une implication maximale du personnel<br />

dans son travail et d’un report <strong>des</strong> risques<br />

sur les salariés), l’auteur propose une<br />

typologie <strong>des</strong> formes d’individualisation<br />

<strong>des</strong> rémunérations. Il existerait ainsi trois<br />

types de base de ce processus :<br />

- une individualisation marchande :<br />

elle consiste simplement en la recherche,<br />

par l’employeur, d’une réduction <strong>des</strong><br />

côuts, les salaires n’étant considérés qu’en<br />

termes de coûts à court terme ;<br />

- une individualisation technico-organisationnelle<br />

: elle lie <strong>des</strong> augmentations<br />

éventuelles de la rémunération à la promotion<br />

professionnelle individuelle, afin<br />

d’inciter les salariés à acquérir ou se<br />

familiariser avec <strong>des</strong> nouvelles techniques<br />

de production ;<br />

- enfin une individualisation « idéologique<br />

et culturelle ». Cette dernière a<br />

pour but d’inculquer aux salariés un<br />

ensemble de valeurs et / ou de comportement,<br />

que les dirigeants cherchent à<br />

« leur faire partager ».<br />

Mais ce modèle socio-culturel peut, en<br />

même temps, être également porté par certaines<br />

couches ou une certaine génération<br />

du personnel ; dans un exemple cité dans<br />

l’ouvrage, c’était le cas <strong>des</strong> jeunes diplômés<br />

d’une école de commerce embauchés<br />

comme employés dans une entreprise.<br />

Dans une importante partie empirique<br />

de l’ouvrage, S. Lardy analyse les résultats<br />

obtenus à l’aide d’un questionnaire<br />

distribué à <strong>des</strong> responsables syndicaux de<br />

différents niveaux. Il répartit les réponses<br />

recueillies au niveau <strong>des</strong> sections syndicales<br />

d’entreprise en quatre types de base.<br />

Ainsi, face à la problématique de l’individualisation<br />

<strong>des</strong> rémunérations dans leur<br />

entreprise, certains militants syndicaux se<br />

positionnent par « choix idéologique ».<br />

Cet idéal-type est résumé dans ces propos<br />

tenus par un délégué FO de la métallurgie<br />

: « Je suis pour un syndicalisme de<br />

négociation (....) Je suis pour la négociation<br />

quelle qu’elle soit. » Un deuxième<br />

167

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!