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Civilité, incivilités - Revue des sciences sociales

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vidualistes. Les Français <strong>des</strong> classes<br />

populaires, qui veulent se distinguer en<br />

s’assimilant au modèle social immédiatement<br />

supérieur du pavillonnaire bourgeois,<br />

refusent la stigmatisation sociale<br />

par l’habitat, en particulier celui du logement<br />

collectif aidé qui exacerbe les<br />

révoltes contre l’exclusion qu’il semble<br />

signifier.<br />

Le livre de Marie-Geneviève Dezès<br />

<strong>des</strong>sine une chronologie sur le long terme<br />

d’une idéologie et d’une politique qui sont<br />

à l’origine d’un modèle spécifique d’habitat<br />

populaire et d’une tradition française<br />

du pavillon de banlieue. Au-delà, les<br />

statistiques, souvent peu exploitables dans<br />

le cadre de son étude, lui ont néanmoins<br />

permis de tracer l’évolution du rapport<br />

entre habitat individuel et collectif dans<br />

les départements français et les gran<strong>des</strong><br />

villes, dont la région parisienne, entre<br />

1870 et 1914, 1915 et 1939, 1940 et<br />

1954, preuves irréfutables s’il en est, et<br />

région par région, de l’impact <strong>des</strong> politiques<br />

d’habitat sur les modèles qui se<br />

sont développés.<br />

Au carrefour de l’histoire, de la science<br />

politique et de la sociologie, « La politique<br />

pavillonnaire » retrace la genèse et<br />

la mise en oeuvre <strong>des</strong> réflexions sur l’habitat<br />

populaire en France depuis le milieu<br />

du XIXème siècle.<br />

Sur le même thème, on lira aussi avec<br />

intérêt dans la même collection, le livre<br />

de Nicole Haumont, Les pavillonnaires,<br />

qui essaye, à partir d’une enquête auprès<br />

d’habitants de maisons individuelles,<br />

mais aussi de logements collectifs, de<br />

comprendre le goût <strong>des</strong> Français pour<br />

l’habitat pavillonnaire.<br />

Marie-Noële Denis<br />

CNRS, Strasbourg<br />

164 <strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales, 2002, n° 29, civilité, <strong>incivilités</strong><br />

PIERRE ERNY<br />

Contes, mythes, mystères.<br />

Éléments pour une mystagogie<br />

Paris, L’Harmattan, 2000, 252 p.<br />

Cet ouvrage reprend, tout en lui donnant<br />

plus d’ampleur, la thématique d’un<br />

enseignement sur les contes <strong>des</strong> frères<br />

Grimm que Pierre Erny a dispensé à<br />

l’université Marc Bloch de Strasbourg. Il<br />

y présente le problème du conte, sa relation<br />

avec le mythe, son interprétation<br />

ainsi que son objectif de socialisation<br />

juvénile.<br />

L’auteur; en ethnologue, ne se contente<br />

pas d’analyser les contes européens,<br />

mais cherche aussi à montrer, à partir <strong>des</strong><br />

mythes et contes dogons et à partir <strong>des</strong><br />

contes européens, l’existence d’une filiation<br />

que W. Propp avait suggéré dès 1946,<br />

mais que Wilhelm Grimm pressentait en<br />

1856 : il comparait « ... le mythe à un diamant<br />

qui a éclaté en mille morceaux et<br />

dont les débris sont reconnaissables<br />

aujourd’hui à leurs scintillements au<br />

milieu <strong>des</strong> prés » (p 84). « Ainsi les<br />

anciens mythes de l’Allemagne, que l’on<br />

croyait oubliés et disparus, survivent<br />

encore obscurément dans les contes ». Le<br />

conte véhicule donc <strong>des</strong> mythèmes plus<br />

anciens, éléments d’un ensemble originel<br />

plus vaste et essentiellement religieux.<br />

Pierre Erny pense qu’il existe un mouvement<br />

identique de diffusion pour les<br />

mythes et contes dogons. Il s’appuie<br />

essentiellement sur les travaux de Geneviève<br />

Calame-Griaule et de Dominique<br />

Zahan. Il présente d’abord le mythe de<br />

création du monde par le Dieu Amma,<br />

puis s’appuie sur dix contes dogons qui<br />

mettent en scène le lièvre et l’hyène, le<br />

chien et le crocodile (pour expliquer leur<br />

hostilité puisque le crocodile mange généralement<br />

tout chien venant au bord de<br />

l’eau), le bœuf, les chasseurs, etc. Il opère<br />

une interprétation, que Dominique Zahan<br />

aurait qualifié de structurale, pour montrer<br />

l’existence de mon<strong>des</strong> parallèles et de<br />

systèmes opposés, et, établissant <strong>des</strong> équivalents<br />

entre les bestiaires du mythe et<br />

ceux du conte, il vérifie que ces récits<br />

peuvent être réinterprétés (puisqu’ils doivent<br />

l’être deux fois), selon quelques<br />

couples d’opposition opératoires : le sauvage<br />

et le village, l’ombre et la lumière,<br />

le sec et l’eau etc. Par la pratique d’inter-<br />

prétations successives, il nous amène à un<br />

système de correspondances entre le<br />

mythe et le conte, qui n’apparaît pas de<br />

prime abord.<br />

L’auteur ne nous présente pas une nouvelle<br />

interprétation <strong>des</strong> contes <strong>des</strong> frères<br />

Grimm (son interprétation de Blanche<br />

Neige se trouve en annexe), il s’intéresse<br />

bien plus à leur cheminement intellectuel<br />

(chapitre III). La <strong>des</strong>cription de cet itinéraire<br />

intellectuel s’appuie sur une connaissance<br />

approfondie de l’époque, <strong>des</strong> mentors<br />

<strong>des</strong> frères, et notamment de Friedrich<br />

Karl von Savigny. Ils furent ainsi amenés<br />

à voir dans l’épopée une nature divine que<br />

le conte va éparpiller sous une forme<br />

lyrique plus obscure, plus variée mais plus<br />

populaire.« …c’est un même cœur qui<br />

bat… » (p. 79). Par cette présentation érudite<br />

<strong>des</strong> auteurs <strong>des</strong> recueils qui allaient<br />

devenir si populaires, Pierre Erny nous<br />

invite à partager ses modalités d’interprétation<br />

<strong>des</strong> contes. Bien que Bruno<br />

Bettelheim soit cité et commenté, l’auteur<br />

ne cédera pas à une interprétation de type<br />

psychanalytique, et la référence au créateur<br />

de l’école orthogénique, Sonia<br />

Shankman, de l’université de Chicago,<br />

reste d’ordre essentiellement pédagogique<br />

: Pierre Erny souligne l’importance<br />

que le psychanalyste attachait aux<br />

contes dans la formation de l’individu, et<br />

le rôle de récit ouvert qu’ils jouent, en<br />

permettant <strong>des</strong> transferts de significations<br />

et de signifiés. Ainsi l’enfant<br />

apprend du conte son rôle sexuel, les<br />

aspects du bien et du mal, de la peur et de<br />

la confiance ; il est initié à ce qui est<br />

secret et obscur, il participe à l’ambiguïté<br />

<strong>des</strong> êtres et à leur duplicité ainsi qu’au<br />

plaisir d’une fin heureuse, alors que les<br />

périls semblent effrayants.<br />

L’interprétation de Pierre Erny se fait<br />

autant selon les modalités définies par la<br />

spécialiste du langage <strong>des</strong> Dogons que<br />

selon celles <strong>des</strong> frères philologues. C’est<br />

le religieux qui donne la clef de la compréhension<br />

<strong>des</strong> mythes et <strong>des</strong> récits<br />

épiques et c’est donc selon cette lecture –<br />

mystagogique et christique – que l’auteur<br />

interprète le merveilleux. Par exemple,<br />

Blanche Neige se décline en fonction <strong>des</strong><br />

nombres trois et sept. Trois gouttes de<br />

sang ont été répandues, trois oiseaux<br />

montent la garde autour du cercueil. Ces<br />

tria<strong>des</strong> se réfèrent à la fois à la composition<br />

de la personne mais aussi à la Triade<br />

divine (p. 242). Blanche Neige est jetée<br />

dans le monde, elle erre dans la nature et<br />

s’y perd, elle devient la servante <strong>des</strong> sept<br />

nains et meurt après trois tentations ; elle<br />

renaît enfin pour devenir une épouse<br />

royale. A l’instar du cheminement christique,<br />

le conte apprend à son auditeur que<br />

l’on peut être sauvé malgré les difficultés<br />

de l’existence et l’éloignement engendré<br />

par le parcours de sept montagnes. Le<br />

conte se lit comme un récit d’initiation, de<br />

transformation et de résurrection.<br />

Dans un style toujours limpide, Pierre<br />

Erny élabore en onze chapitres son analyse<br />

<strong>des</strong> mystères. Son explication va à<br />

l’essentiel, sans négliger certaines formes<br />

d’érudition. On aurait pu penser que les<br />

contes, les mythes et les mystères avaient<br />

fourni leur lot de significations ésotériques<br />

et exotériques ; Pierre Erny ne nous<br />

propose pas un nouveau type d’interprétation,<br />

mais opère une excellente synthèse<br />

de données éparses. Il place sur le<br />

même plan les contes dogons et les contes<br />

<strong>des</strong> Grimm, montrant par là qu’il s’agit du<br />

même type de Naturpoesie, du même<br />

type de cognition populaire. Que ce soit<br />

dans la Forêt Noire ou dans la forêt plus<br />

profonde du Harz sur le mont Brocken, la<br />

cabane de la sorcière de Haensel et Gretel<br />

trouve facilement sa place, tandis que<br />

sur les falaises de Bandiagara la lutte du<br />

lièvre et de l’hyène retracent l’ordre et la<br />

création du monde.<br />

Suzie Guth<br />

Université Marc Bloch, Strasbourg2.<br />

HANS-JOACHIM<br />

HOFFMAN-NOVOTNY (HRSG.)<br />

Das Fremde in der Schweiz<br />

Zurich, Seismo, 2001, 303 p.<br />

Le titre de cet ouvrage n’est pas facile<br />

à rendre en français. Il ne s’agit pas de<br />

l’étranger (der Fremde), mais de « l’étrangeté<br />

» (das Fremde), dans ce qu’elle a de<br />

menaçante. En s’inspirant de Jacques Prévert,<br />

on pourrait dire : « Etranges étrangers<br />

en Suisse (allemande) ».<br />

Ce livre présente les travaux récents de<br />

l’Institut de Sociologie de l’Université de<br />

Zurich. Ce n’est pas le fruit du hasard si<br />

cet institut héberge depuis trente ans le<br />

centre de recherche dirigé par Hans-Joachim<br />

Hoffmann-Nowotny. Il a acquis une<br />

réputation internationale dans le domaine<br />

de l’immigration et <strong>des</strong> relations entre<br />

autochtones et étrangers. Il y a deux raisons<br />

majeures à cela. D’abord, l’importance<br />

de la population étrangère qui,<br />

depuis les débuts de l’industrialisation de<br />

la Suisse au milieu du 19° siècle, a toujours<br />

été élevée. En 1914 comme en 1970,<br />

il y avait 15 % d’étrangers en Suisse (deux<br />

fois plus qu’en France) et près de 20 %<br />

aujourd’hui. Zurich, la capitale économique,<br />

approche les trente pour cent.<br />

Mais surtout, même si elle est une nécessité<br />

économique, cette présence étrangère<br />

est mal tolérée. Une fraction non négligeable<br />

de Suisses a peur de « l’invasion<br />

par les étrangers » (Ueberfremdung), car<br />

elle entraînerait la perte de l’identité<br />

nationale.<br />

Toute l’Europe a connu, à <strong>des</strong><br />

moments différents, <strong>des</strong> mouvements<br />

xénophobes. L’extrême droite a durablement<br />

construit son fonds de commerce<br />

sur la peur de l’étranger. Dans le cas de<br />

la Suisse, ce mouvement a culminé à la<br />

fin <strong>des</strong> années 1960. Max Frisch (1967)<br />

a dénoncé cette peur de façon lapidaire<br />

(et malheureusement peu connue en France)<br />

: « Un petit peuple de seigneurs se<br />

voit en danger : on a fait appel à de la<br />

force de travail, et <strong>des</strong> êtres humains sont<br />

venus ». C’est à la même période<br />

qu’Hoffmann-Nowotny a réalisé, en<br />

1969, sa première grande enquête sur les<br />

perceptions et les attitu<strong>des</strong> <strong>des</strong> Suisses à<br />

l’égard <strong>des</strong> étrangers.<br />

Or cette enquête a pu être répliquée et<br />

le phénomène est suffisamment rare en<br />

<strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong> pour mériter d’être sou-<br />

Lu, à lire<br />

ligné. Avec <strong>des</strong> adaptations mineures, le<br />

même questionnaire a été administré à un<br />

échantillon identique au premier, de façon<br />

à pouvoir mesurer les changements intervenus<br />

dans les attitu<strong>des</strong> à l’égard <strong>des</strong><br />

étrangers en un quart de siècle. Les résultats<br />

de cette deuxième enquête, la comparaison<br />

avec la première, mais aussi <strong>des</strong><br />

étu<strong>des</strong> complémentaires, récemment terminées<br />

ou en voie d’achèvement à l’Institut<br />

de Sociologie de Zurich, ont été présentés<br />

et discutés lors d’un colloque en<br />

1999. Le livre qui en est issu s’efforce de<br />

restituer la forme interactive <strong>des</strong><br />

échanges : chaque communication est<br />

suivie <strong>des</strong> commentaires d’un discutant et,<br />

éventuellement, de la réplique de l’auteur.<br />

Hoffmann-Nowotny se met en retrait et<br />

il laisse ses jeunes collaborateurs s’exprimer.<br />

Mais il donne en introduction un<br />

cadre théorique général. Il s’inspire librement<br />

<strong>des</strong> « Digressions sur l’étranger » de<br />

Georg Simmel qui notait (en 1908) le<br />

paradoxe de l’étranger qui est à la fois à<br />

l’extérieur et au coeur de la société locale.<br />

Il brosse ensuite une fresque historique,<br />

distinguant quatre gran<strong>des</strong> vagues<br />

migratoires. La première débute en 1830<br />

avec l’accueil d’exilés chassés par la<br />

révolution allemande. La seconde débute<br />

en 1850 et se poursuit jusqu’en 1914.<br />

L’arrivée de réfugiés en provenance <strong>des</strong><br />

pays germanophones se poursuit, mais<br />

c’est surtout le début de l’immigration de<br />

travailleurs en provenance <strong>des</strong> pays voisins<br />

: Allemagne, Autriche et, dans une<br />

moindre mesure, France et Italie. Entre<br />

1850 et 1914, la population étrangère en<br />

Suisse passe de 72 000 à 600 000.<br />

Curieusement, l’auteur saute sans<br />

explications la période 1914-1950. Même<br />

si ce n’est pas son sujet principal, je<br />

regrette qu’il n’ait pas un mot sur le traitement<br />

<strong>des</strong> victimes du nazisme. La troisième<br />

vague commence donc en 1950.<br />

C’est une immigration économique provenant<br />

avant tout d’Italie et d’Espagne. La<br />

peur de l’invasion par les étrangers qui<br />

culmine alors est une peur de la « latinisation<br />

» de la Suisse allemande. Même si<br />

la coupure n’est pas très nette, on passe<br />

dans les années 1970 à une quatrième<br />

vague en provenance de l’ex-Yougoslavie,<br />

de la Turquie, d’Afrique et d’Asie. Les<br />

immigrés économiques déclinent et les<br />

demandeurs d’asile prédominent. Ils peuvent<br />

fort bien être musulmans, animistes<br />

ou bouddhistes.<br />

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