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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

louab<strong>le</strong>, et risquer pour extravagance et folie » lxiv . « Voici comment on élève un enfant… <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> : tu n’as pas à t’inquiéter pour ta vie, il y a <strong>dans</strong> <strong>le</strong> ciel un Dieu tout-puissant,<br />

et quelque malheur qui t’arrive, tu n’as qu’à <strong>le</strong> prier et tu verras qu’il ne manquera pas <strong>de</strong><br />

t’ai<strong>de</strong>r. Men<strong>son</strong>ge abominab<strong>le</strong> <strong>de</strong> servir ça pour du <strong>christianisme</strong> ! Non, <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> c’est<br />

ceci : il y a au ciel un amour tout-puissant, qui en aimant veut être aimé et à cette fin qui veut<br />

que tu meures ; c’est lui ton ennemi mortel : tout ce que tu aimes spontanément, il <strong>le</strong> hait ;<br />

[…] il ne veut t’ai<strong>de</strong>r qu’à… mourir » lxv . On a ainsi « édulcoré <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> en <strong>le</strong> purgeant<br />

<strong>de</strong> toute souffrance » lxvi ; la chrétienté a été « démoralisée à force <strong>de</strong> douceur : la grâce, la<br />

promesse, l’éternel refrain que Dieu est amour, etc. » lxvii . « Souffrir est précisément ce qu’on<br />

évite par tous <strong>le</strong>s moyens, et on vante cela comme sagesse chrétienne lxviii . « On a transféré <strong>le</strong><br />

<strong>christianisme</strong> du souffrir au jouir […], en esthétique… en jouissance d’art pour l’auditeur<br />

[<strong>dans</strong> la prédication, <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s édifices d’art, <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s théâtres que <strong>son</strong>t <strong>le</strong>s églises] » lxix . Or<br />

« ce n’est pas pour s’améliorer mora<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong> chrétien doit rester <strong>dans</strong> la société civi<strong>le</strong>, -<br />

non, comme [<strong>le</strong> <strong>christianisme</strong>] <strong>le</strong> lui prédit, cela signifie qu’il aura à [y] souffrir » lxx .<br />

Kierkegaard analyse <strong>le</strong>s divers moyens par <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s ecclésiastiques évacuent <strong>le</strong> dur<br />

message chrétien. Ou bien ils en donnent une interprétation métaphorique qui évacue <strong>le</strong> sens<br />

littéral : « On se gêne d’obéir, et c’est pourquoi on transfère tout en d’autres registres » par<br />

ingéniosité brillante lxxi . « On ne veut pas tout bonnement se contenter d’établir l’absur<strong>de</strong>, alors<br />

on y substitue <strong>le</strong> sublime <strong>de</strong>s sublimes » lxxii . Ou bien on dit que c’est un paradoxe, « une<br />

exagération poétique ». Ou encore on ignore <strong>le</strong> message par indifférence, en faisant comme si<br />

ces propos n’existaient pas : on ne <strong>le</strong>s reçoit pas. D’un mot, <strong>le</strong> c<strong>le</strong>rgé accepte l’homme<br />

« naturel » : l’homme naturel, « c’est proprement <strong>son</strong> état que cette indifférence », « cette<br />

indifférence qui rend la Ré<strong>de</strong>mption superflue » lxxiii . C’est la perte <strong>de</strong> « la conscience<br />

angoissée » qui pourtant fon<strong>de</strong> et définit <strong>le</strong> chrétien, cette conscience qui est la conditio sine<br />

qua non du <strong>christianisme</strong> (« cette conscience, c’est ce qui manque au paganisme » lxxiv ).<br />

Kierkegaard en donne un exemp<strong>le</strong> imagé et profond : « A l’origine on baptisait en<br />

immergeant, et maintenant en jetant un peu d’eau sur la tête du nourris<strong>son</strong> : <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />

<strong>christianisme</strong> tout est <strong>de</strong>venu superficiel, on n’entre pas ou on ne plonge pas au fond du<br />

mystère chrétien ». Ou bien enfin <strong>le</strong>s c<strong>le</strong>rcs réservent ces exigences trop dures à quelques-uns,<br />

aux seuls discip<strong>le</strong>s et apôtres, à l’Isolé, à l’Extraordinaire, ou aux saints (mais Kierkegaard<br />

n’emploie jamais ce terme catholique), « toujours morts pour plus <strong>de</strong> sûreté » lxxv . « Les<br />

pasteurs prêchant <strong>le</strong> renoncement au mon<strong>de</strong> enseignent que tout abandonner n’est exigé que<br />

<strong>de</strong> rares croyants » lxxvi ; « que <strong>de</strong> fois <strong>le</strong>s ai-je entendus expliquer que <strong>le</strong>s exigences qu’on<br />

trouve <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Sermon sur la Montagne ne visaient que <strong>le</strong>s apôtres ! » lxxvii (Mt 5, 1 ; Lc 6, 20).<br />

Le résultat est un <strong>christianisme</strong> « doux » et fa<strong>de</strong> lxxviii . Le meil<strong>le</strong>ur exemp<strong>le</strong> en est la<br />

sentimentalité <strong>de</strong> la fête <strong>de</strong> Noël, « cette fausse tendresse et sensib<strong>le</strong>rie », cette « sensib<strong>le</strong>rie<br />

<strong>de</strong> bien-pensant » lxxix , cette « sentimentalité » du <strong>christianisme</strong> <strong>de</strong> l’enfance, qui pour<br />

Kierkegaard est « pur paganisme et mythologie » lxxx . Kierkegaard va jusqu’à écrire que « la<br />

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