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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

Au moins tel<strong>le</strong> que l’entend Kierkegaard (car comment y reconnaître toute l’ascèse<br />

médiéva<strong>le</strong> et tout <strong>le</strong> monachisme ?), cette ascèse est un élitisme, un « aristocratisme »,<br />

parfaitement contraire à la recherche chrétienne <strong>de</strong> l’exclusion par <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la<br />

souffrance reçue <strong>de</strong> Dieu. L’ascète oublie <strong>de</strong> faire en sorte que sa vie « ressemb<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

miséreux » cclxxvii , d’être chassé du mon<strong>de</strong> en rai<strong>son</strong> <strong>de</strong> sa vie proprement chrétienne : « L’erreur<br />

<strong>de</strong> l’ascèse du Moyen Age était <strong>de</strong> biffer d’un trait la souffrance spécifiquement chrétienne,<br />

[qui est] souffrir du fait <strong>de</strong>s hommes » et non souffrir <strong>de</strong> <strong>son</strong> propre choix cclxxviii . Directement<br />

reconnaissab<strong>le</strong> comme tel, se donnant comme tel, l’ascète médiéval se présente comme<br />

admirab<strong>le</strong> par ses souffrances et <strong>son</strong> statut : « Le cloître […] acceptait <strong>de</strong> se laisser considérer,<br />

lui et sa vie, comme l’Extraordinaire, que payait directement l’admiration <strong>de</strong>s<br />

contemporains » cclxxix ; il aspirait « au prestige <strong>de</strong> l’Extraordinaire » cclxxx .<br />

Kierkegaard s’indigne <strong>de</strong> quelques exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ce « reconnaissab<strong>le</strong> direct », <strong>de</strong> cet<br />

« aristocratisme » : <strong>le</strong>s mortifications, humiliations, jeûnes, flagellations, et plus encore <strong>le</strong>s<br />

stigmates du Christ, toutes ces dévotions ne <strong>son</strong>t que « <strong>de</strong> l’exagération » ; ou <strong>le</strong> lavement <strong>de</strong>s<br />

pieds par <strong>le</strong> pape : tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> sait que c’est <strong>le</strong> pape qui agit, et « <strong>le</strong> gain est doub<strong>le</strong> :<br />

prestige pontifical et prestige <strong>de</strong> l’humilité » cclxxxi . Kierkegaard vomit cette « effronterie » <strong>de</strong> se<br />

prétendre meil<strong>le</strong>ur que <strong>le</strong>s autres, au lieu au minimum <strong>de</strong> passer inaperçu.<br />

Bref, loin d’en faire une victime du mon<strong>de</strong> cette imitation qui se veut ascétique rend<br />

en réalité <strong>le</strong> chrétien conforme au mon<strong>de</strong> : c’est une « mondanité déguisée », une complète<br />

trahi<strong>son</strong> <strong>de</strong> l’idéal du Christ. Cette imitation mal conçue se trahit, « se mondanise », el<strong>le</strong> se<br />

fait accepter par <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> au lieu <strong>de</strong> naître du refus du chrétien par <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> <strong>son</strong><br />

exclusion hors du mon<strong>de</strong> par <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ; à vue humaine, <strong>le</strong> chrétien y trouve même <strong>son</strong><br />

compte. C’est la condamnation au fond <strong>de</strong> l’ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong>s pratiques du monachisme, et <strong>le</strong><br />

catholicisme n’est pas moins la cib<strong>le</strong> <strong>de</strong>s attaques <strong>de</strong> Kierkegaard que <strong>le</strong> luthéranisme <strong>de</strong> ses<br />

compatriotes.<br />

pseudonymes.<br />

« Le message indirect » et <strong>le</strong>s pseudonymes<br />

C’est par cette volonté <strong>de</strong> s’effacer que s’explique, au moins en partie, <strong>le</strong> recours aux<br />

Certes Kierkegaard se sait l’Extraordinaire, mais il ne peut <strong>le</strong> reconnaître : « Je<br />

pourrais, je crois, avoir <strong>le</strong> courage <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r la vie pour faire place à l’Extraordinaire – mais<br />

quant à être tenu pour lui, non, j’en suis incapab<strong>le</strong> : il me semb<strong>le</strong>rait contaminer par là ce qui<br />

m’a été confié » cclxxxii . Pour éviter ce danger, « je revêtis l’existence d’un homme malin et léger<br />

en usant […] <strong>de</strong> pseudonymes », en un « parcours édifiant » qui est comme <strong>le</strong> Guadalquivir<br />

qui « se précipite sous terre à un certain endroit » 43 ; « ce n’était pas une idée fausse d’arrêter<br />

43 II A 497 et Xi A 546 ; voir aussi à propos <strong>de</strong> Crainte et tremb<strong>le</strong>ment, quand celui qu’on regardait comme<br />

l’auteur « se promenait sous l’incognito d’un flâneur avec l’air d’incarner l’espièg<strong>le</strong>rie, l’esprit, la légèreté… »<br />

(Xii A 15).<br />

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