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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

première place. Vient d’abord la foi, <strong>le</strong> Christ comme don » cxxxi . C’est <strong>le</strong> Christ seul qui sauve<br />

<strong>le</strong> chrétien par la Ré<strong>de</strong>mption, un chrétien qui <strong>de</strong> lui-même est « naturel » et « mondain »,<br />

parfaitement incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> collaborer si peu que ce soit à <strong>son</strong> salut, et qui <strong>de</strong> lui-même ignore<br />

et même fuit toute ascèse et souffrance. Sans disparaître, <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’imitation <strong>de</strong>vient second<br />

par rapport à ce qu’il a pu être au Moyen Age.<br />

c. L’ « infinie différence <strong>de</strong> qualité »<br />

Kierkegaard appuie sa condamnation d’une imitation « ingénue » sur un théocentrisme<br />

exacerbé et exclusif. Dès lors en effet qu’il sait que <strong>le</strong> Christ n’est pas seu<strong>le</strong>ment Modè<strong>le</strong><br />

proche <strong>de</strong> l’homme mais qu’il est aussi et surtout Dieu et Don <strong>de</strong> la grâce, <strong>le</strong> chrétien prend<br />

conscience <strong>de</strong> l’infinie « différence <strong>de</strong> qualité » qui <strong>le</strong> sépare <strong>de</strong> Dieu : il est désormais<br />

impossib<strong>le</strong> à l’homme <strong>de</strong> croire qu’il peut se lancer <strong>dans</strong> l’imitation <strong>de</strong> l’Homme-Dieu. Si<br />

Kierkegaard condamne avec Luther l’imitation « pour ressemb<strong>le</strong>r au modè<strong>le</strong> », c’est parce<br />

que cette imitation nie <strong>de</strong> facto la différence <strong>de</strong> qualité, qualitative, entre l’homme et Jésus.<br />

On ne peut « arranger sa vie à <strong>son</strong> image » en toute naïveté. « Un témoin <strong>de</strong> vérité est<br />

inférieur <strong>de</strong> toute une qualité ; même étant <strong>de</strong> bonne volonté, il faut cependant que Dieu <strong>le</strong><br />

force » cxxxii . Cette différence <strong>de</strong> qualité au sens <strong>le</strong> plus fort rend l’imitation inaccessib<strong>le</strong> au<br />

simp<strong>le</strong> fidè<strong>le</strong>, et el<strong>le</strong> disqualifie l’ascèse médiéva<strong>le</strong>. De lui-même, <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> ne peut que<br />

pousser à l’appel à la grâce, à la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> la grâce. Imiter <strong>le</strong><br />

Christ n’est pas refaire ce qu’il a fait, l’imiter par <strong>le</strong>s stigmates, par exemp<strong>le</strong>. « L’erreur du<br />

Moyen Age, c’était <strong>de</strong> s’imaginer qu’on peut en pratique ressemb<strong>le</strong>r au Christ. Ainsi se<br />

développa la satisfaction par <strong>le</strong>s œuvres » cxxxiii . Cela revenait à évacuer la différence infinie <strong>de</strong><br />

qualité entre Dieu et l’homme cxxxiv : il est impossib<strong>le</strong> à l’homme d’« exprimer radica<strong>le</strong>ment<br />

l’absolu ». « La grâce est <strong>le</strong> sérieux – mes œuvres ne <strong>son</strong>t qu’une plaisanterie » cxxxv . De fait, si<br />

<strong>le</strong> Modè<strong>le</strong> qu’est <strong>le</strong> Christ n’était pas hétérogène à l’homme celui-ci n’aurait pas besoin <strong>de</strong> la<br />

grâce : <strong>son</strong> imitation serait sans difficulté ; et en même temps, « si <strong>le</strong> Christ n’était que <strong>le</strong><br />

Modè<strong>le</strong> [sans don <strong>de</strong> la grâce], ce serait comme une cruauté <strong>de</strong> sa part <strong>de</strong> pousser si haut <strong>le</strong><br />

prix d’être chrétien ; mais il faut que Lui meure… pour sauver <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> » cxxxvi . Bref, l’homme<br />

ne peut pas imiter <strong>le</strong> Christ : « Les modè<strong>le</strong>s ne s’imitent pas » cxxxvii .<br />

Modè<strong>le</strong> et Miséricor<strong>de</strong> <strong>son</strong>t certes indissociab<strong>le</strong>ment liées. Mais l’Evangi<strong>le</strong> insiste<br />

davantage sur <strong>le</strong> Modè<strong>le</strong> qu’est <strong>le</strong> Christ <strong>dans</strong> sa vie publique, <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s épîtres sur <strong>le</strong><br />

Ré<strong>de</strong>mpteur cxxxviii .C’est là un <strong>de</strong>s paradoxes <strong>kierkegaard</strong>iens : à la fois <strong>le</strong> Modè<strong>le</strong> qu’est <strong>le</strong><br />

Christ doit être imité pour ce qui est d’être bafoué, <strong>de</strong> mourir au mon<strong>de</strong>, etc. ; pourtant, en<br />

même temps et surtout <strong>le</strong> Modè<strong>le</strong>-Christ est inimitab<strong>le</strong> en tant que Don <strong>de</strong> la grâce.<br />

Cela dit, Kierkegaard introduit <strong>de</strong>s nuances et il accepte qu’on puisse prier pour<br />

obtenir la foi. On a la surprise <strong>de</strong> lire : « […] Ne puis-je rien faire moi-même pour <strong>de</strong>venir<br />

croyant [« per<strong>son</strong>ne ne peut se donner <strong>de</strong> soi-même la foi, c’est un don <strong>de</strong> Dieu qu’il faut<br />

obtenir par la prière »] ? Ici, il faut ou répondre tout <strong>de</strong> suite un non absolu, et on a alors<br />

l’é<strong>le</strong>ction à la grâce au sens fataliste, ou faire une petite concession » ; il est peut-être louab<strong>le</strong><br />

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