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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

<strong>de</strong>mandée). L’Isolé doit chercher la souffrance en se faisant rejeter par <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, mais sans se<br />

faire connaître : « Un “témoin <strong>de</strong> vérité” vise précisément à l’hétérogénéité du <strong>christianisme</strong><br />

d’avec ce mon<strong>de</strong> et pour cette rai<strong>son</strong> ne cesse <strong>de</strong> souffrir, <strong>de</strong> renoncer, <strong>de</strong> rater ce mon<strong>de</strong> » cclxvii .<br />

L’ascèse doit se faire <strong>de</strong> façon à provoquer <strong>le</strong>s réactions d’exclusion du mon<strong>de</strong>, et l’imitation<br />

doit se faire à l’insu <strong>de</strong>s autres. Kierkegaard a ces mots significatifs : « Je suis un pénitent ;<br />

mais si je <strong>le</strong> laissais voir, par là même je n’en serais plus un, et peut-être même alors on<br />

m’aimerait, c’est-à-dire que je <strong>le</strong>s gagnerais directement, ce qui serait <strong>le</strong>s tromper » cclxviii . Nul<br />

ne doit <strong>le</strong> savoir pénitent, puisqu’il doit être exclu du mon<strong>de</strong> et, bien loin d’être approuvé<br />

et/ou aimé, être au contraire haï et bafoué par <strong>le</strong>s hommes. Je dois « empêcher tant que je<br />

peux qu’on me confon<strong>de</strong> avec un semblant d’apôtre » cclxix . Ce que doit faire l’Extraordinaire, ce<br />

que <strong>de</strong>vrait faire tout chrétien, c’est vivre <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> sans <strong>le</strong> dire.<br />

Dès lors, au refus déjà signalé <strong>de</strong> la part du mon<strong>de</strong> s’ajoute un immense ma<strong>le</strong>ntendu<br />

avec ce mon<strong>de</strong>, qui ou bien <strong>le</strong> tient pour un effronté (« un élément <strong>de</strong> sa souffrance [<strong>de</strong><br />

l’Extraordinaire], c’est d’être inévitab<strong>le</strong>ment confondu avec <strong>le</strong> pur et simp<strong>le</strong> effronté » cclxx ), ou<br />

bien se moque <strong>de</strong> lui, ou enfin et au mieux <strong>le</strong> persécute. Le regard que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> porte sur lui<br />

est faussé : « Tant que <strong>le</strong>s hommes interpréteront ma conduite comme vanité, orgueil, etc.,<br />

c’est-à-dire comme si, en <strong>de</strong>rnière analyse, je ne me rapportais qu’à moi-même avec<br />

suffisance et caprice, au lieu qu’il s’agit <strong>de</strong> mon rapport à Dieu, aussi longtemps <strong>le</strong>s hommes<br />

me maltraiteront » cclxxi . « On m’a toujours fait un tort in<strong>de</strong>scriptib<strong>le</strong> en imputant sans cesse à<br />

l’orgueil ce qui n’était qu’une tactique pour sauver <strong>le</strong> secret <strong>de</strong> ma mélancolie » cclxxii , la volonté<br />

<strong>de</strong> se faire haïr. « Ce n’est pas <strong>de</strong> l’orgueil mais <strong>de</strong> la souffrance » cclxxiii . Le mot est lâché : être<br />

incompris du mon<strong>de</strong>, c’est « <strong>le</strong> sommet du <strong>tragique</strong> » cclxxiv .<br />

Cette recherche <strong>de</strong> l’hétérogénéité par rapport au mon<strong>de</strong>, ce refus <strong>de</strong> se donner pour<br />

l’Extraordinaire, fon<strong>de</strong> et explique un nouveau grief, <strong>le</strong> plus fort peut-être, adressé à l’ascèse<br />

médiéva<strong>le</strong>. Dans <strong>le</strong> monachisme médiéval, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> « cloître », <strong>le</strong> moine se présente en effet<br />

directement comme l’Extraordinaire ; il encourt alors <strong>le</strong> reproche du « reconnaissab<strong>le</strong> direct ».<br />

Déjà, rappel<strong>le</strong> Kierkegaard, alors que « <strong>le</strong> chrétien doit se mê<strong>le</strong>r au mon<strong>de</strong> pour être<br />

sacrifié » cclxxv l’ascète médiéval fait retraite et se sépare <strong>de</strong>s autres hommes et du mon<strong>de</strong> : il se<br />

soustrait ainsi à la nécessité du sacrifice <strong>dans</strong> <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ; il se sépare du mon<strong>de</strong> par choix<br />

per<strong>son</strong>nel, sans en être chassé ni « mis à l’écart », « haï » et « bafoué » comme <strong>le</strong> veut <strong>le</strong><br />

Christ, « couvert <strong>de</strong> crachats » ; et même l’ascète attire favorab<strong>le</strong>ment l’attention <strong>de</strong>s<br />

hommes cclxxvi : ils ne pratiquent pas <strong>le</strong>ur ascèse en <strong>le</strong> cachant mais en se présentant comme tels :<br />

« Ce qui rendait l’ascèse du Moyen Age “sans situation”, c’est au fond qu’on était tombé <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong> reconnaissab<strong>le</strong> direct, qu’on voulait être honoré et que chacun l’était selon sa propre<br />

ascèse » : ainsi, contradiction scanda<strong>le</strong>use par rapport à l’idéal originel, pouvait se concevoir<br />

un ascète aimant <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, accepté par lui, et dès lors ayant peur du martyre 42 .<br />

42 XIii A 161, avec une analyse ironique <strong>de</strong> l’ascète comparé à un pitre.<br />

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