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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

Sur <strong>le</strong> point <strong>de</strong> la signification <strong>de</strong> la souffrance pour ce pénitent, Kierkegaard<br />

développe une autre analyse tout aussi dure. Il rappel<strong>le</strong> que <strong>le</strong> Christ n’est que souffrance par<br />

exclusion hors du mon<strong>de</strong> : ainsi <strong>dans</strong> <strong>son</strong> rejet par la fou<strong>le</strong>, <strong>son</strong> abandon par ses amis, par<br />

Pierre qui l’a renié clxxx ; <strong>le</strong> choix <strong>de</strong> Judas renvoie à cette solitu<strong>de</strong> : « Moi je vous ai choisis, et<br />

pourtant l’un <strong>de</strong> vous me trahira » (Mt 26, 21) ; « ce qu’il y a <strong>de</strong> volontaire <strong>dans</strong> la souffrance<br />

du Christ », c’est d’avoir choisi lui-même celui qui <strong>le</strong> trahira clxxxi . Le Christ a même été<br />

abandonné par <strong>le</strong> Père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »<br />

(Mc 15, 34) ; « mon âme est triste jusqu’à la mort » (Jn 12, 27). Dans cette vision <strong>de</strong> la<br />

souffrance, « la pire <strong>de</strong>s horreurs, c’est la passion et la mort du Christ » clxxxii , <strong>le</strong>s larmes <strong>de</strong> sang,<br />

<strong>le</strong>s soldats qui « crachant sur lui prenaient <strong>le</strong> roseau et en frappaient sa tête » (Mt 27, 30), <strong>le</strong><br />

choix <strong>de</strong> Barabbas préféré à Jésus <strong>de</strong> la façon la plus humiliante clxxxiii : « Tu fris<strong>son</strong>nes<br />

d’horreur ».<br />

C’est <strong>dans</strong> l’imitation <strong>de</strong> cette souffrance que s’exprimera <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> du pénitent<br />

– et tout chrétien doit être un pénitent. Adossé à « cette conception <strong>de</strong> vie qui voit <strong>dans</strong> <strong>le</strong><br />

sacrifice la plus haute victoire, et que c’est cela <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> » clxxxiv , Kierkegaard peut<br />

écrire : « Je lis <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Nouveau Testament que prêcher <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> est la voie qui mène à<br />

la dérision, à la persécution, à la mise à mort » clxxxv . Si <strong>le</strong> chrétien doit imiter <strong>le</strong> Modè<strong>le</strong> qu’est<br />

<strong>le</strong> Christ, c’est <strong>dans</strong> ce qu’il a <strong>de</strong> plus extrême : « Sa doctrine [<strong>de</strong> Jésus] c’est sa vie. Aussi ce<br />

qu’il dit est : suis-moi ; hais ton moi ; quitte toutes choses ; crucifie la chair ; prends la croix ;<br />

hais père et mère, etc. En outre : vous serez haïs <strong>de</strong> tous à cause <strong>de</strong> mon nom » (Mt 10, 22 26 ;<br />

16, 27 clxxxvi ). L’imitation du Christ ne sera « rien que souffrance, lamentations et<br />

[médiéval] fut <strong>son</strong> c<strong>le</strong>rgé, c’est-à-dire qu’un c<strong>le</strong>rgé d’une sévérité presque monaca<strong>le</strong> a voulu par égoïsme être<br />

l’instance intermédiaire […]. Le mot <strong>de</strong> passe du protestantisme fut : nous sommes tous c<strong>le</strong>rcs » (IV, 82, avec<br />

ensuite d’importantes réserves ; voir nos analyses sur <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong>s c<strong>le</strong>rcs médiévaux enfermés <strong>dans</strong> <strong>le</strong>urs<br />

chœurs clos ont confisqué <strong>le</strong> sacré). Depuis <strong>le</strong> Christ « ou bien on en fait [du <strong>christianisme</strong>] un royaume <strong>de</strong> ce<br />

mon<strong>de</strong> : c’est <strong>le</strong> catholicisme, et par là <strong>le</strong>s conflits chrétiens disparaissent [voir <strong>le</strong> Grand Inquisiteur] ; ou bien on<br />

a transféré <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> en intériorité cachée » ; mais même cette intériorité cachée est inférieure au<br />

<strong>christianisme</strong> du Nouveau Testament, qui veut en plus avoir « l’estampil<strong>le</strong> du paradoxe » sans laquel<strong>le</strong> ne<br />

peuvent surgir « tous <strong>le</strong>s conflits chrétiens » (V, 220).<br />

En insistant sur la grâce que suit l’imitation du Modè<strong>le</strong>, et grâce à l’idée que <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> est vie et<br />

non doctrine ou dogmes (en donnant un autre sens au quod semper, quod ubique, quod ab omnibus creditur <strong>de</strong><br />

Vincent <strong>de</strong> Lérins et à la perpétuité tel<strong>le</strong> que l’enten<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s catholiques du XVII e sièc<strong>le</strong>), <strong>le</strong>s protestants se<br />

défient <strong>de</strong> la perpétuité et pensent non que la doctrine évolue, mais que <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> vit, est vivant, ne se fige<br />

pas. En un sens ils ne refusent pas la perpétuité mais ils insistent sur la mission dynamique du <strong>christianisme</strong>.<br />

L’idée que <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> est une vie plus qu’une doctrine toujours menacée <strong>de</strong> se figer <strong>le</strong>ur permet d’accepter<br />

l’histoire et l’évolution sans difficulté.<br />

26 Cf peut-être <strong>le</strong> « quoi à toi et à moi ? » <strong>de</strong>s noces <strong>de</strong> Cana.<br />

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