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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

(comme Rancé, et tout aussi mécompris que lui par <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> qui <strong>le</strong> rail<strong>le</strong> ou <strong>le</strong> persécute) ;<br />

c’est en cela qu’il doit « prêcher <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> ». « Combien est-ce un état divin d’inviter<br />

<strong>le</strong>s hommes à seu<strong>le</strong>ment souffrir, et souffrir soi-même [forme <strong>de</strong> réduplication] ! C’est être<br />

assuré <strong>de</strong> la justesse <strong>de</strong> sa cause, c’est un état divin » cclix . « Je ne suis pas un apôtre chargé par<br />

Dieu d’un message et investi d’autorité. Non, je suis au service <strong>de</strong> Dieu, mais sans autorité.<br />

Ma mission est <strong>de</strong> déblayer <strong>le</strong> terrain [en souffrant] pour que Dieu puisse entrer en action » cclx .<br />

En fait, il l’a, cette « autorité » ; mais c’est l’autorité qui, s’opposant à la rai<strong>son</strong>, donne poids à<br />

<strong>son</strong> annonce parce qu’il sacrifie tout par « l’intransigeance <strong>de</strong> l’infinitu<strong>de</strong> » cclxi : « Celui qui a<br />

l’autorité s’adresse toujours à la conscience, non à l’intelligence ; à l’homme, non au<br />

professeur ». C’est un prophète (terme que Kierkegaard n’emploie pas, pas plus qu’il<br />

n’emploie <strong>de</strong>s termes traditionnels comme saint).<br />

Il n’est possib<strong>le</strong> ni permis à quiconque <strong>de</strong> se considérer <strong>de</strong> soi-même comme<br />

l’Extraordinaire. « Per<strong>son</strong>ne rai<strong>son</strong>nab<strong>le</strong>ment ne peut s’y embarquer », sinon il y a<br />

« effronterie ». Ce ne peut être <strong>le</strong> fait que <strong>de</strong> l’individu certain « <strong>de</strong> ce qu’on exige<br />

particulièrement <strong>de</strong> lui » cclxii ; l’appelé répond ainsi à une vocation.<br />

Cet Isolé, cet Extraordinaire souffre <strong>de</strong> sa condition. La souffrance est certes <strong>le</strong> signe<br />

du lien avec Dieu, la marque <strong>de</strong> l’Isolé, <strong>de</strong> l’Extraordinaire ; mais Kierkegaard lâche quelques<br />

confi<strong>de</strong>nces douloureuses : « En vérité c’est une effroyab<strong>le</strong> aventure <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir vivre en<br />

Isolé […], <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir s’adresser à Dieu » « jusqu’à cette détresse qu’el<strong>le</strong> comporte d’être<br />

abandonné <strong>de</strong> Dieu ». « Etre l’Extraordinaire chrétien, en un sens c’est vraiment si terrib<strong>le</strong><br />

que c’en est presque mortel » cclxiii . C’est <strong>le</strong> problème du volontaire qui se sent porteur d’une<br />

« exigence supérieure à l’exigence commune à tous <strong>le</strong>s hommes » cclxiv : confi<strong>de</strong>nce suprême, il<br />

doit tout <strong>de</strong> même savoir s’il a <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> se « rendre volontairement malheureux au point <strong>de</strong><br />

pouvoir vraiment goûter <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> » cclxv .<br />

Pour comprendre l’Extraordinaire et ce qu’est <strong>le</strong> rapport médiat ou immédiat à<br />

Dieu, on peut reprendre ce que Kierkegaard dit du jeune homme riche (Mt 19, 22). Ou bien <strong>le</strong><br />

jeune homme riche a reconnu Dieu en Jésus : il a un rapport immédiat à la divinité et il est<br />

renvoyé à la responsabilité et à la souffrance <strong>de</strong> l’Extraordinaire ; ou bien <strong>le</strong> jeune homme n’a<br />

pas reconnu Dieu <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Christ, et il est <strong>dans</strong> la même situation, sans rapport immédiat à<br />

Dieu, que tous <strong>le</strong>s hommes <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s suivants, notamment <strong>dans</strong> l’imitation médiéva<strong>le</strong>.<br />

Kierkegaard l’explique avec clarté : <strong>le</strong> Nouveau Testament « ne pose pas d’exigence éga<strong>le</strong><br />

pour celui qui apprend immédiatement <strong>de</strong> lui ce qu’il a à faire, et pour celui qui doit, sous sa<br />

propre responsabilité, débrouil<strong>le</strong>r par lui-même quel<strong>le</strong> est sa tâche ». « Débrouil<strong>le</strong>r » : en fait<br />

seu<strong>le</strong> la grâce, et non l’imitation qui ne peut que suivre la grâce, lui permettra d’y voir clair cclxvi .<br />

Cacher <strong>le</strong> « rapport à Dieu » ; <strong>le</strong> refus du « reconnaissab<strong>le</strong> direct » médiéval<br />

Kierkegaard sait tout <strong>de</strong> même qu’il est cet Isolé, cet Extraordinaire. Mais il sait<br />

surtout qu’il ne peut ni ne doit se présenter aux hommes comme tel : ce serait à la fois<br />

provoquer <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et tenter Dieu (comme à propos <strong>de</strong> la souffrance qui ne doit pas être<br />

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