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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

« J’ai entendu dire que quelques pasteurs objectent qu’“on ne peut pas prêcher ça aux<br />

fidè<strong>le</strong>s” » cccxxxvii . Il partage souvent cette impression. Comment oser susciter en l’homme la<br />

« conscience angoissée » du péché et du mal ? Ces chrétiens qui vivent « tout gentiment <strong>dans</strong><br />

une espèce d’innocence », « il n’a pas <strong>le</strong> cœur <strong>de</strong> <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>r ». Comment <strong>le</strong>s « déranger <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong>ur bonheur » tout terrestre, tout humain ? « Comment <strong>le</strong>s arracher à ces pompeux<br />

fantasmes ? » cccxxxviii . « Que <strong>de</strong> fois j’ai eu peur <strong>de</strong> rendre la vie <strong>de</strong>s autres trop sérieuse ! » cccxxxix .<br />

Comment avoir <strong>le</strong> courage d’al<strong>le</strong>r prêcher une tel<strong>le</strong> doctrine aux heureux ? Le <strong>christianisme</strong><br />

« n’est-il seu<strong>le</strong>ment que pour <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s et <strong>le</strong>s affligés, ceux qui travail<strong>le</strong>nt et plient sous <strong>le</strong><br />

far<strong>de</strong>au ? » cccxl . Et fina<strong>le</strong>ment faut-il <strong>le</strong> prêcher ? Comment ne pas penser à Richard Simon et,<br />

au XVIII e sièc<strong>le</strong>, à l’abbé Bergier dénonçant <strong>dans</strong> l’augustinisme étroit une doctrine<br />

« massacrante », « assommante », ici « exténuante » ?<br />

Les prédicateurs évacuent la difficulté en distinguant entre <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> et <strong>de</strong>s élus. D’une<br />

part il y aurait l’apôtre et <strong>le</strong> discip<strong>le</strong> appelé et souffrant, et chargé <strong>de</strong> « tout ce qui est<br />

exténuant <strong>dans</strong> <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> », l’Isolé ; et <strong>de</strong> l’autre <strong>le</strong> chrétien ordinaire dispensé <strong>de</strong> la<br />

souffrance. Il y aurait d’un côté ceux auxquels est <strong>de</strong>stiné cette doctrine qu’« être aimé <strong>de</strong><br />

Dieu, c’est souffrir » cccxli : ce <strong>son</strong>t <strong>le</strong>s élus (« beaucoup <strong>son</strong>t appelés, mais peu <strong>son</strong>t élus »), <strong>le</strong>s<br />

« glorieux », <strong>le</strong>s apôtres, <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s bienheureux, ceux qui à l’image du Modè<strong>le</strong> Christ<br />

ont été faits Modè<strong>le</strong>s [<strong>le</strong>s saints, mais il n’emploie pas ce terme catholique] ; il y aurait <strong>de</strong><br />

l’autre côté la masse <strong>de</strong>s peup<strong>le</strong>s.<br />

Faut-il alors alléger <strong>le</strong> far<strong>de</strong>au, « en rabattre sur <strong>le</strong>s exigences » ? « Gjødvad m’a dit<br />

hier qu’il a bien dû y avoir quelque licencié <strong>de</strong> théologie que j’ai découragé <strong>de</strong> se faire pasteur<br />

par ma peinture trop idéa<strong>le</strong> » cccxlii ; et « si ta conception du chrétien est juste, il n’y aura<br />

rigoureusement pas <strong>de</strong> chrétien » cccxliii . Il y faudrait <strong>de</strong> la « compassion humaine », qui « en<br />

rabat sur l’exigence ». Mais alors pourquoi <strong>le</strong> Christ n’en a-t-il rien rabattu, pourquoi <strong>le</strong>s<br />

apôtres n’en ont-ils rien rabattu « en se faisant tuer plutôt que d’en rabattre » ? Kierkegaard<br />

tire une preuve <strong>de</strong> la justesse <strong>de</strong> ses analyses <strong>dans</strong> ce qu’il appel<strong>le</strong> « la cruauté du Christ » : si<br />

ses propos ne <strong>son</strong>t pas à prendre au sérieux et au pied <strong>de</strong> la <strong>le</strong>ttre, pourquoi <strong>le</strong> Christ <strong>le</strong>s<br />

auraient-ils prononcés et <strong>le</strong>s évangélistes <strong>le</strong>s auraient-ils rapportés ? Jésus par<strong>le</strong> <strong>de</strong> « celui qui<br />

ne hait pas père et mère pour moi, etc. » : mais si on croit qu’il est possib<strong>le</strong> et permis<br />

d’atténuer un tel propos, « quel<strong>le</strong> faute indéfendab<strong>le</strong> au Christ <strong>de</strong> jeter ainsi à la légère ces<br />

mots qui ne <strong>son</strong>t pas dits à tous ! » cccxliv . Si c’est une « exagération », comment accepter « une<br />

tel<strong>le</strong> solitu<strong>de</strong> » cccxlv pour celui saurait effectivement quitter père et mère ? Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong><br />

l’adresse à saint Pierre : « Arrière <strong>de</strong> moi, Satan, car tes paro<strong>le</strong>s… » (Mc 8, 33). A propos<br />

encore <strong>de</strong> l’apostrophe « Laisse <strong>le</strong>s morts enterrer <strong>le</strong>s morts » (Mt 8, 21-22) cccxlvi , Kierkegaard<br />

souligne la cruauté du Christ à l’égard d’une attitu<strong>de</strong> qui se veut d’abord une manifestation <strong>de</strong><br />

piété. « Engeance <strong>de</strong> vipères, comment pourriez-vous tenir un bon langage, alors que vous<br />

êtes mauvais ? » (Mt 12, 34).<br />

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