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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

en partie c’était mélancolie en moi, c’est bien pourtant du <strong>christianisme</strong> » ccxxx . Mais à la<br />

question : « La souffrance n’est-el<strong>le</strong> pas alors jouissance ? » ccxxxi , Kierkegaard sait répondre<br />

qu’il ne faut pas vouloir « souffrir pour souffrir » ccxxxii : <strong>dans</strong> la souffrance, il faut éviter<br />

l’égoïsme et « ne penser qu’à conso<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s autres » : « La tâche n’est pas <strong>de</strong> chercher à se<br />

conso<strong>le</strong>r soi-même, mais à conso<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s autres », conso<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s lépreux, <strong>le</strong>s méprisés, <strong>le</strong>s<br />

pécheurs, <strong>le</strong>s publicains.<br />

Et surtout, si el<strong>le</strong> est vraiment <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la relation à Dieu et la plus gran<strong>de</strong> richesse<br />

<strong>de</strong> l’homme, il ne faut pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r la souffrance « comme condition pour percevoir <strong>le</strong><br />

témoignage <strong>de</strong> l’Esprit ». Outre <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> croire qu’on pourrait ainsi s’acquérir <strong>de</strong>s mérites,<br />

ce serait en effet tenter Dieu, vouloir se mesurer avec lui : « Le danger <strong>de</strong> cette pensée […], si<br />

la souffrance est <strong>le</strong> signe du rapport à Dieu, l’individu alors (en stoïcien [mais non en<br />

chrétien]) pourrait comme provoquer Dieu à lui envoyer <strong>de</strong> la souffrance » : ce serait<br />

« indiscrétion et impertinence impie » ccxxxiii . D’une part, ce serait tenter Dieu ; et <strong>de</strong> l’autre,<br />

soucieux <strong>de</strong> préserver l’altérité et la transcendance divines Kierkegaard appréhen<strong>de</strong> <strong>le</strong> risque<br />

« sans être appelé, [<strong>de</strong>] trop m’approcher <strong>de</strong> Dieu » ccxxxiv . Et il a cette bel<strong>le</strong> prière (il y en a<br />

plusieurs semblab<strong>le</strong>s <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Journal) : « Quand je pense à tes souffrances, ô mon Maître et<br />

Sauveur, je n’ai pas envie <strong>de</strong> larmoyer du haut d’une chaire, mais je veux, pour autant que tu<br />

me <strong>le</strong> permettes, vivre entouré d’insultes et perdant tout bien terrestre » ccxxxv .<br />

Il ne faut donc pas tenter Dieu, mais en même temps et à l’inverse il ne faudrait pas<br />

« avoir si peur <strong>de</strong> Dieu qu’on n’ose plus du tout l’approcher… » ccxxxvi .<br />

On ne sera pas surpris <strong>de</strong> ce que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> refuse ce chrétien souffrant. « Le génie<br />

comme l’orage va contre <strong>le</strong> vent » ccxxxvii . Ce refus prendra diverses formes. Ou bien ce seront<br />

<strong>de</strong>s rail<strong>le</strong>ries (« Il veut jouer au Christ » ccxxxviii ). Ou bien <strong>le</strong> chrétien est tenu « pour l’artisan <strong>de</strong><br />

<strong>son</strong> propre malheur », car <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ne pouvant comprendre <strong>le</strong>s rai<strong>son</strong>s qui <strong>le</strong> font agir se<br />

moque du chrétien et <strong>de</strong> ses inuti<strong>le</strong>s souffrances : « Il est absolument impossib<strong>le</strong>, absolument,<br />

pour un chrétien <strong>de</strong> ne pas se rendre ridicu<strong>le</strong> en appliquant par exemp<strong>le</strong> “tout ce que vous<br />

vou<strong>le</strong>z que <strong>le</strong>s autres fassent pour vous, faites-<strong>le</strong> pour eux : voilà la Loi et <strong>le</strong>s Prophètes” » ccxxxix .<br />

La rai<strong>son</strong> humaine dit en effet : « Qu’ai-je à faire d’une doctrine ou d’un secours [la grâce]<br />

qui rend la chose pire encore qu’el<strong>le</strong> n’était ? » ccxl . Kierkegaard imagine cette objection, cette<br />

« fiction poétique » : « Comment nous viendrait-il jamais à l’idée que <strong>le</strong> péché soit quelque<br />

chose <strong>de</strong> si terrib<strong>le</strong>, qu’afin d’apaiser ta colère il fallût ton propre Fils ? » ccxli . Ou bien enfin <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong> <strong>le</strong> persécute et <strong>le</strong> met à mort si ce chrétien <strong>le</strong> gêne <strong>dans</strong> ses perspectives propres.<br />

Ainsi Mundus vult <strong>de</strong>cipi ccxlii . Kierkegaard entend l’expression en ce que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> veut<br />

se tromper, ne veut pas comprendre celui qui est bafoué, persécuté, en butte à la dérision ccxliii :<br />

« être mécompris ». Dans <strong>son</strong> attitu<strong>de</strong> à l’égard du <strong>christianisme</strong>, <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> commet un<br />

« doub<strong>le</strong> men<strong>son</strong>ge » : <strong>de</strong> « faire <strong>le</strong> mal », que Kierkegaard assimi<strong>le</strong> au « faux » ; plus grave,<br />

<strong>de</strong> prétendre que c’est là <strong>le</strong> bien que <strong>de</strong> faire ce mal ccxliv .<br />

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