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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

b. Le Christ Exemp<strong>le</strong> et Don <strong>de</strong> la grâce<br />

C’est que, contrairement à ce que croyait <strong>le</strong> Moyen Age, « <strong>le</strong> Christ n’est pas venu au<br />

mon<strong>de</strong> pour nous léguer [seu<strong>le</strong>ment] un exemp<strong>le</strong> : en ce cas on retombe <strong>dans</strong> la Loi et <strong>le</strong><br />

méritoire [comme <strong>dans</strong> l’ascèse médiéva<strong>le</strong>]. Il est venu [d’abord] pour nous sauver [par <strong>le</strong><br />

don <strong>de</strong> la grâce], et [ensuite] il fournit l’exemp<strong>le</strong> [que la grâce permet alors <strong>de</strong> suivre] » cxxi .<br />

« La chose décisive est la ré<strong>de</strong>mption », « <strong>le</strong> Christ comme don » cxxii . Kierkegaard admire et<br />

reprend cette doctrine <strong>de</strong> Luther distinguant en Jésus l’exemp<strong>le</strong> et la miséricor<strong>de</strong>, et il y<br />

revient sans cesse : « Il faut représenter <strong>le</strong> Modè<strong>le</strong> comme l’exigence : alors il t’écrase ; mais<br />

voilà que <strong>le</strong> Modè<strong>le</strong> qui est <strong>le</strong> Christ se transforme en la Grâce et la Miséricor<strong>de</strong> […]. Et ainsi<br />

par <strong>le</strong> Modè<strong>le</strong> tu es mort au Modè<strong>le</strong> » cxxiii 19 . « L’exigence <strong>de</strong> la loi fournit la tension [vers<br />

l’imitation <strong>de</strong> l’Exemp<strong>le</strong>] » : mais « alors intervient la grâce […] : crois seu<strong>le</strong>ment, et ton salut<br />

est assuré […] et maintenant tu dois commencer précisément à réaliser la loi » cxxiv . « Le<br />

Modè<strong>le</strong> est ce qui s’exige <strong>de</strong> toi, hélas ! et tu sens terrib<strong>le</strong>ment la dissemblance [entre <strong>le</strong> fidè<strong>le</strong><br />

et <strong>le</strong> Modè<strong>le</strong> à imiter] ; alors tu recours au Modè<strong>le</strong> pour qu’il te prenne en miséricor<strong>de</strong> [en<br />

grâce] » cxxv . Kierkegaard résume ainsi l’opposition : « L’hétérodoxe doit dire : la conversion<br />

précè<strong>de</strong> et conditionne la rémission du péché [la grâce] ; l’orthodoxe [luthérien] doit dire : la<br />

rémission du péché précè<strong>de</strong>, et renforce <strong>le</strong>s hommes pour véritab<strong>le</strong>ment se convertir » cxxvi .<br />

Kierkegaard distingue ainsi <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Christ <strong>le</strong> Modè<strong>le</strong> qu’il a été pendant sa vie et aux<br />

yeux <strong>de</strong> ses contemporains, et <strong>le</strong> Don <strong>de</strong> la grâce qu’il est par sa mort et par la Ré<strong>de</strong>mption, et<br />

il en tire une explication <strong>de</strong> l’évolution du <strong>christianisme</strong> sur <strong>le</strong> sujet <strong>de</strong> l’imitation. Pour ses<br />

contemporains qui ne voyaient pas Dieu en lui, <strong>le</strong> Christ a pu être un Modè<strong>le</strong> imitab<strong>le</strong> ; <strong>de</strong><br />

même <strong>dans</strong> la jeunesse <strong>de</strong> la chrétienté, chez <strong>le</strong>s premiers chrétiens et <strong>le</strong>s Pères <strong>de</strong> l’Eglise,<br />

l’imitation du Christ était « naïve » - « <strong>le</strong> méritoire ingénu » cxxvii , et presque au sens<br />

étymologique : el<strong>le</strong> était fondée sur la proximité <strong>dans</strong> <strong>le</strong> temps avec Jésus-Homme. Mais en<br />

vieillissant la chrétienté a dû en reconnaître <strong>le</strong>s limites, <strong>le</strong>s prétentions humanistes<br />

inadmissib<strong>le</strong>s : seu<strong>le</strong> la grâce don du Christ légitime et rend possib<strong>le</strong> l’imitation du Christ cxxviii .<br />

« Le sérieux <strong>de</strong> l’ado<strong>le</strong>scence [<strong>de</strong> la chrétienté] c’est d’emblée se mettre <strong>de</strong> bonne foi à<br />

vouloir imiter l’idéal ; <strong>le</strong> sérieux <strong>de</strong> l’homme mûr est d’interposer d’abord la foi » cxxix ;<br />

« revient ensuite l’imitation, non comme loi, mais après la grâce et par el<strong>le</strong> » cxxx . L’imitation<br />

naïve, à la façon <strong>de</strong>s premiers temps, est une prétention insoutenab<strong>le</strong> - c’est chez Kierkegaard<br />

<strong>le</strong> problème du contemporain qui ne reconnaît pas Dieu <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Christ. Nul<strong>le</strong> part <strong>le</strong><br />

théologien n’emploie <strong>le</strong> terme <strong>de</strong> « pélagienne » (ou « semi-pélagienne ») pour caractériser<br />

l’imitation du Christ <strong>dans</strong> l’ascèse médiéva<strong>le</strong> monastique, mais c’est bien ce dont il s’agit :<br />

une ascèse <strong>dans</strong> laquel<strong>le</strong> l’homme se croit en mesure d’imiter <strong>le</strong> Sauveur.<br />

L’ascèse médiéva<strong>le</strong> est ainsi disqualifiée. Seu<strong>le</strong> la grâce permet à l’homme d’imiter <strong>le</strong><br />

modè<strong>le</strong> qu’est <strong>le</strong> Christ : « La doctrine du Modè<strong>le</strong> ne peut plus occuper tout bonnement la<br />

19 Avec renvoi à Gal 2, 19 : « Par la Loi je suis mort à la Loi ».<br />

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