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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

gémissements 27 , tout cela aggravé par <strong>le</strong> Jugement <strong>de</strong>rnier » clxxxvii . Kierkegaard va <strong>dans</strong> ce sens<br />

<strong>de</strong> la façon la plus explicite : « Etre malheureux en ce mon<strong>de</strong>, c’est la marque du rapport à<br />

Dieu » clxxxviii . Le rapport à Dieu se reconnaît « à ce que tout va mal pour nous » clxxxix . Cet idéal est<br />

absolu, sans concession. Le Modè<strong>le</strong> qu’est <strong>le</strong> Christ « écrase » <strong>le</strong> chrétien <strong>de</strong> l’exigence <strong>de</strong><br />

« se haïr soi-même » cxc . « Voir Dieu, c’est mourir au mon<strong>de</strong> […] ; et éthiquement, la tâche est<br />

<strong>de</strong> mourir au mon<strong>de</strong> pour voir Dieu » cxci . « Le but <strong>de</strong> cette vie, c’est d’être porté au suprême<br />

<strong>de</strong>gré du dégoût <strong>de</strong> vivre » cxcii . « La souffrance est amour, el<strong>le</strong> est pour que tu meures au<br />

mon<strong>de</strong>… et pour qu’alors tu puisses entrer en ineffab<strong>le</strong> entente avec Dieu comme amour » cxciii .<br />

« Il n’y a qu’un seul vrai rapport au <strong>christianisme</strong> : se haïr soi-même en aimant Dieu » cxciv .<br />

Souffrir, c’est se faire haïr pour répondre à l’appel du Christ : « Vous serez haïs, persécutés ».<br />

Ainsi se ressent « l’impatience du martyre, qui est avoir <strong>le</strong> sens <strong>de</strong> ce qui est <strong>de</strong> Dieu » cxcv :<br />

chez <strong>le</strong>s premiers chrétiens, « <strong>le</strong>s vues sur la vie culminaient <strong>dans</strong> l’idée que mourir est naître<br />

à la vie » cxcvi .<br />

Dans sa jeunesse, Kierkegaard croyait comme tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> que l’amour <strong>de</strong> Dieu pour<br />

l’homme donnait bonheur et prospérité, permettait <strong>de</strong> jouir <strong>de</strong> la vie ; mais il a compris que<br />

« tous ceux que Dieu a vraiment aimés, <strong>le</strong>s Modè<strong>le</strong>s 28 , tous ont dû souffrir en ce mon<strong>de</strong> » ; et<br />

que « c’est là la doctrine du <strong>christianisme</strong> : être aimé <strong>de</strong> Dieu et l’aimer, c’est souffrir » :<br />

« chrétiennement, aimer Dieu, être aimé <strong>de</strong> Dieu, c’est souffrir ». C’est la tâche du pénitent.<br />

Etre chrétien, c’est ainsi être haï <strong>de</strong> tous, « c’est souffrir, rien que souffrir ». « La souffrance<br />

est indissociab<strong>le</strong> du <strong>christianisme</strong> ». « La prière du chrétien est <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r toujours plus <strong>de</strong><br />

souffrance » cxcvii . « Le <strong>christianisme</strong> fait <strong>de</strong> toute cette existence terrestre souffrance et<br />

crucifiement » cxcviii . Il s’agit, « comme <strong>dans</strong> l’ancien temps », <strong>de</strong> « reconnaître que <strong>le</strong><br />

<strong>christianisme</strong> c’est que toute notre vie terrestre ne doit être que souffrance » cxcix 29 .<br />

Séparation du mon<strong>de</strong> et souffrance <strong>son</strong>t ainsi inséparab<strong>le</strong>s, et l’une explique l’autre :<br />

« La souffrance est pour que tu meures au mon<strong>de</strong> » et « que tu puisses entrer en entente avec<br />

Dieu ». Sans <strong>le</strong>s choix fondamentaux <strong>de</strong> fuir <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> en en étant chassé, et <strong>de</strong> souffrir non<br />

par automartyre mais du fait <strong>de</strong>s autres, il n’y a pas <strong>de</strong> <strong>christianisme</strong> : « Oui, oui, c’est<br />

littéra<strong>le</strong>ment à en perdre la rai<strong>son</strong>, cette vérité chrétienne que plus tu auras <strong>de</strong> douceur,<br />

d’humilité et <strong>de</strong> bonté <strong>de</strong> cœur, pire ça ira pour toi. Sans ce fond chrétien on ne cesse <strong>de</strong><br />

perpétuer un blasphème contre <strong>le</strong> Christ, <strong>le</strong> blasphème qu’il n’a sans doute pas eu assez <strong>de</strong><br />

douceur, d’humilité et <strong>de</strong> bonté <strong>de</strong> cœur, puisqu’il a été maltraité comme il l’a été » cc .<br />

Kierkegaard insiste sans cesse sur la force, la vio<strong>le</strong>nce et même « la cruauté » <strong>de</strong>s<br />

27 Cf. <strong>le</strong>s « gémissements ineffab<strong>le</strong>s » dont par<strong>le</strong> l’Apôtre.<br />

28 Jamais Kierkegaard n’emploie <strong>le</strong> terme catholique <strong>de</strong> saint en rai<strong>son</strong> <strong>de</strong>s arrière-plans théologiques <strong>de</strong> la<br />

sainteté, mérite et intercession qu’il récuse.<br />

29 On pourra confronter ces analyses avec cette citation <strong>de</strong> Nico<strong>le</strong> (Joubert, Carnets, p. 287) : « Voici une bel<strong>le</strong><br />

pensée <strong>de</strong> Nico<strong>le</strong> : “Le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> faib<strong>le</strong>sse qui nous est permis est <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Dieu la délivrance <strong>de</strong>s<br />

maux”. Cela est tout à fait stoïque ».<br />

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