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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

fondamenta<strong>le</strong>ment la souffrance chrétienne <strong>de</strong> la souffrance tel<strong>le</strong> que l’entend Schopenhauer :<br />

chez <strong>le</strong> philosophe <strong>de</strong> Francfort qui se fait l’écho du bouddhisme, la souffrance est l’état<br />

naturel <strong>de</strong> l’homme ; ce n’est pas comme chez <strong>le</strong> chrétien un choix volontaire : « Contre cette<br />

thèse qu’exister c’est souffrir, je proteste, car alors <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> s’évanouit […]. Le<br />

<strong>christianisme</strong> ne dit pas qu’exister c’est souffrir », mais qu’à « l’appétit <strong>de</strong> vivre » doivent<br />

succé<strong>de</strong>r <strong>le</strong> renoncement et l’existence chrétienne souffrante ccv .<br />

Kierkegaard prend aussi ses distances par rapport aux stoïciens en découvrant <strong>le</strong><br />

contraste qu’il y a entre <strong>le</strong>ur volonté <strong>de</strong> supporter la souffrance et <strong>le</strong>ur acceptation du suici<strong>de</strong><br />

là où <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> enseigne non <strong>le</strong> suici<strong>de</strong> mais <strong>le</strong> mourir au mon<strong>de</strong> ccvi 32 .<br />

Dernier point, l’abandon final du chrétien par Dieu. C’est là l’aspect <strong>le</strong> plus<br />

diffici<strong>le</strong>, mais <strong>le</strong> plus remarquab<strong>le</strong> et peut-être <strong>le</strong> plus riche parce que Kierkegaard rejoint là<br />

<strong>le</strong>s grands mystiques 33 . Quand <strong>le</strong> chrétien a atteint <strong>le</strong> fond <strong>de</strong> l’humiliation, quand la<br />

souffrance est à <strong>son</strong> paroxysme, alors qu’il peut être tenté <strong>de</strong> croire qu’il a satisfait à ce que<br />

Dieu attend <strong>de</strong> lui, c’est alors que Dieu abandonne <strong>le</strong> chrétien : « Eh bien ! Au nom <strong>de</strong> Dieu je<br />

choisis Dieu et j’abandonne tout. Mais alors, alors j’espère qu’on peut se fier à Dieu, qu’il ne<br />

va tout <strong>de</strong> même pas me lâcher […]. Mais <strong>le</strong> divin Modè<strong>le</strong> enseigne que cela fait partie aussi<br />

<strong>de</strong> la souffrance d’être lâché par Dieu au moment <strong>le</strong> plus dur <strong>de</strong> la souffrance » ccvii . « Vient<br />

alors pour <strong>le</strong>s glorieux 34 une <strong>de</strong>rnière phase, <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>urs souffrances la pire : la force <strong>le</strong>s<br />

quitte et Dieu aussi <strong>le</strong>s quitte » ccviii : c’est l’abandon <strong>de</strong> Dieu (Mc 15, 34 ccix ), celui que connaît <strong>le</strong><br />

Christ lui-même. Les glorieux, qui <strong>son</strong>t aussi <strong>de</strong>s modè<strong>le</strong>s 35 , vivent alors <strong>le</strong> cri d’angoisse du<br />

Christ : « Eli, Eli lamma sabacthani ? », Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?<br />

(Mt 27, 46). C’est là l’« absolu » ccx , un absolu <strong>de</strong> l’expérience mystique, ce que <strong>le</strong>s grands<br />

spirituels appel<strong>le</strong>nt la nuit <strong>de</strong> la foi, un abîme <strong>de</strong> déréliction proche, semb<strong>le</strong>-t-il, <strong>de</strong> celui<br />

qu’ont connu Heinrich Suso, <strong>le</strong> P. Jean-Joseph Surin, ou sainte Thérèse <strong>de</strong> l’Enfant-Jésus.<br />

Profondément, Kierkegaard retrouve cette même angoisse chez la Vierge qui, comme<br />

<strong>le</strong> Christ abandonné <strong>de</strong> Dieu lors <strong>de</strong> la Passion, éprouve en écho <strong>de</strong> la souffrance divine une<br />

souffrance humaine : « Et toi-même, une épée te transpercera l’âme » (Lc 34-35), ce que<br />

Kierkegaard interprète ainsi : la Vierge « doutera si tout n’a pas été une imagination, une<br />

32 Mais en Xv A 63 il nuance : <strong>le</strong> stoïcisme permet <strong>le</strong> suici<strong>de</strong> non en rai<strong>son</strong> <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s souffrances mais <strong>de</strong>vant<br />

« la misère <strong>de</strong> toute la finitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong> tous ces riens », <strong>de</strong>vant l’aspiritualité.<br />

33 Hallaj : « Ô mon Dieu, si Tu témoignes Ton amour à ceux qui Te font tort, pourquoi n’en témoignes-tu pas à<br />

ceux à qui il est fait tort en Toi ? » (Diwan, p. 26). L. Massignon, à propos du « désir d’être éprouvé, comme <strong>le</strong>s<br />

prophètes, <strong>dans</strong> <strong>le</strong> creuset <strong>de</strong>s souffrances » (Diwan, p. 28).<br />

34 Ceux qui jusqu’au bout ont été « <strong>le</strong>s témoins <strong>de</strong> vérité du <strong>christianisme</strong> », au sens <strong>de</strong> ceux qui <strong>son</strong>t <strong>dans</strong> la<br />

gloire, ceux qui nous crient : « Imite-moi, imite-moi » (XIi A 100), proches <strong>de</strong>s saints du catholicisme.<br />

35 « Les témoins <strong>de</strong> vérité du <strong>christianisme</strong> <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s premiers martyrs » (Journal, t. IV, p. 387 n. 1).<br />

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