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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

du <strong>christianisme</strong> bien reçu du mon<strong>de</strong> : « Dès que je prends <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> comme une<br />

doctrine » pour <strong>le</strong> présenter aux hommes, je suis à <strong>le</strong>urs yeux « un chrétien sérieux » ; « dès<br />

qu’existentiel<strong>le</strong>ment je veux exprimer ce que je dis, donc instal<strong>le</strong>r <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> <strong>dans</strong> la<br />

réalité […], <strong>le</strong> scanda<strong>le</strong> est tout <strong>de</strong> suite là » cccix . « Dans la chrétienté on a transféré tout <strong>le</strong><br />

<strong>christianisme</strong> en intel<strong>le</strong>ctualité : il <strong>de</strong>vient alors doctrine […] : tour <strong>de</strong> coquin ! » cccx .<br />

Sur ce point encore, Kierkegaard développe une argumentation origina<strong>le</strong> : ce n’est que<br />

chez l’individu et non <strong>dans</strong> l’anonymat <strong>de</strong> la fou<strong>le</strong> que peut s’opérer la réduplication tant<br />

souhaitée. Pour la fou<strong>le</strong>, pour <strong>le</strong> groupe et <strong>le</strong> « nombre », la prédication généra<strong>le</strong> du<br />

<strong>christianisme</strong> suffit, et <strong>dans</strong> la chrétienté il est entendu qu’on naît chrétien. Mais <strong>dans</strong> la fou<strong>le</strong>,<br />

à la fois l’Individu se dissout et <strong>le</strong> groupe ne peut comprendre l’appel à souffrir en étant rejeté<br />

hors du mon<strong>de</strong>, à souffrir : « Partout où est la multitu<strong>de</strong> [qui a pouvoir et influence] est la<br />

fausseté » cccxi . De plus, <strong>le</strong> danger doctrinaire pointe partout. A propos <strong>de</strong> Luther qui veut qu’on<br />

s’intéresse à la paro<strong>le</strong> plus qu’à la per<strong>son</strong>ne, Kierkegaard note que <strong>le</strong> danger est <strong>de</strong><br />

s’intéresser à la doctrine plus qu’à la vie : « Le <strong>christianisme</strong> est ce paradoxe que l’important<br />

c’est la per<strong>son</strong>ne » ; « la per<strong>son</strong>ne est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la doctrine » cccxii ; <strong>de</strong> plus, c’est là ce qui<br />

fon<strong>de</strong> l’auctoritas.<br />

C’est en effet seu<strong>le</strong>ment chez l’individu, jamais <strong>dans</strong> la fou<strong>le</strong> et <strong>le</strong> « nombre », que la<br />

conscience angoissée peut faire passer à l’action, à la dynamique vivante du <strong>christianisme</strong> :<br />

« Le <strong>christianisme</strong> tel qu’il est <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Nouveau Testament vise la volonté <strong>de</strong> l’homme […] :<br />

renoncer au mon<strong>de</strong>, l’abnégation <strong>de</strong> soi-même, mourir au mon<strong>de</strong>, etc, se haïr, aimer Dieu,<br />

etc. : un changement <strong>de</strong> la volonté » - ce qui ne peut concerner que l’individu. Dans « <strong>le</strong><br />

nombre » en revanche, <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> s’arrête, perd sa vie, s’établit et <strong>de</strong>vient statique : il<br />

<strong>de</strong>vient doctrine, c’est la « doctrinomanie […] qui laisse l’intérieur <strong>de</strong> l’homme <strong>dans</strong> une<br />

parfaite tranquillité » cccxiii 46 . La doctrine ruine <strong>le</strong>s potentialités mêmes du <strong>christianisme</strong> ; el<strong>le</strong> en<br />

fait un objet d’étu<strong>de</strong> et d’analyse, <strong>de</strong> critique ; el<strong>le</strong> ne crée pas un sujet chrétien. Le<br />

<strong>christianisme</strong> cesse alors d’être mouvement et vie (« la vertu ne s’enseigne pas, el<strong>le</strong> n’est<br />

qu’un pouvoir, un pratiquer, un exister, une transformation existentiel<strong>le</strong> » cccxiv ). Bref, « la<br />

doctrine est… pour cacher <strong>le</strong> défaut <strong>de</strong> pratique » cccxv , el<strong>le</strong> est au fond <strong>de</strong> l’absence <strong>de</strong><br />

réduplication.<br />

L’hétérogénéité impliquera, pour <strong>le</strong> chrétien, <strong>le</strong> refus du mariage, <strong>de</strong> la procréation, <strong>le</strong><br />

choix du célibat ; la réduplication prendra la forme <strong>de</strong> la rupture <strong>de</strong>s fiançail<strong>le</strong>s avec Régine.<br />

Dans <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier volume du Journal, Kierkegaard pousse ses analyses à <strong>le</strong>ur point<br />

extrême sur <strong>le</strong> sujet du célibat. Il développe plusieurs arguments. D’une part, « <strong>le</strong> célibataire<br />

est un étranger – et c’est justement là l’existence où tend <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> pour <strong>le</strong> chrétien » :<br />

« Dieu veut <strong>le</strong> célibat parce qu’il veut être aimé », et parce que c’est une souffrance ; mais<br />

aussi Dieu veut « que l’homme abandonne cet égoïsme qu’il y a à donner la vie » cccxvi . Souffrir,<br />

46 Voir aussi la comparai<strong>son</strong> avec Socrate qui seul « exprime constamment l’existentiel », « sans avoir <strong>de</strong><br />

doctrine […], l’ayant seu<strong>le</strong>ment en acte » (Xii A 229).<br />

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