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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

enseignements du Christ, qui n’est nul<strong>le</strong>ment « <strong>le</strong> doux Jésus », et sur <strong>le</strong> sens réel <strong>de</strong>s mises<br />

en gar<strong>de</strong> qu’il adresse en conséquence à ses discip<strong>le</strong>s parce qu’ils <strong>son</strong>t ses discip<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s<br />

nombreux textes évangéliques qu’il faut entendre au pied <strong>de</strong> la <strong>le</strong>ttre, ce dont on se gar<strong>de</strong><br />

bien.<br />

Pourtant ici encore il arrive à Kierkegaard d’infléchir ces analyses si dures. A propos<br />

<strong>de</strong> la phrase « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés » (Mt 11, 28), il écrit : « Il<br />

ne faut certes jamais oublier que <strong>le</strong> Christ adoucissait pourtant aussi <strong>le</strong>s peines humaines<br />

d’ici-bas », et il ne faut pas « <strong>le</strong> spiritualiser au point qu’il <strong>de</strong>vienne cruauté pure » cci .<br />

La souffrance ne doit pas être choisie par l’ascète mais être reçue <strong>de</strong>s hommes.<br />

De même qu’il y avait <strong>de</strong>ux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> retraite hors du mon<strong>de</strong>, en sortir <strong>de</strong> soi-même ou en<br />

être chassé, <strong>de</strong> même il y a divers mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la souffrance du chrétien. Kierkegaard refuse que<br />

<strong>le</strong> pénitent se fasse souffrir comme <strong>dans</strong> l’automartyre complaisant <strong>de</strong> l’ascèse médiéva<strong>le</strong> ;<br />

mais à l’image du Christ il faut se faire « haïr », être « couvert <strong>de</strong> crachats », être humilié,<br />

bafoué par <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> : il s’agit ici encore d’imiter <strong>le</strong> Christ en ce qu’il ne s’est pas martyrisé<br />

lui-même (encore que Kierkegaard s’interroge sur <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> se livrer à la mort comme l’a fait<br />

<strong>le</strong> Christ), mais qu’il a été persécuté par <strong>le</strong>s hommes. Le chrétien doit ainsi s’exposer aux<br />

attaques du mon<strong>de</strong>. On comprend à quel point cette recherche <strong>de</strong> la souffrance venant du<br />

mon<strong>de</strong> est différente <strong>de</strong> la souffrance <strong>de</strong> l’ascèse médiéva<strong>le</strong>, qui était une souffrance choisie<br />

par l’ascète <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s mortifications et <strong>le</strong>s afflictions : « Cette conformité avec <strong>le</strong> Christ dont la<br />

superstition du Moyen Age faisait tant <strong>de</strong> cas, comme d’avoir sur <strong>son</strong> corps <strong>le</strong>s plaies du<br />

Christ (saint François), n’était que <strong>de</strong> l’exagération – mais être bafoué, etc., voilà la vraie<br />

conformité » ccii 30 .<br />

On note bien que, pas plus qu’il ne condamnait <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> mais soulignait que c’est <strong>le</strong><br />

<strong>christianisme</strong> qui condamne <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> même Kierkegaard ne dit pas que la vie el<strong>le</strong>-même<br />

est souffrance mais que la vie <strong>de</strong> souffrance doit être un choix volontaire du chrétien. Il<br />

précise ce point à l’occasion <strong>de</strong> sa <strong>le</strong>cture <strong>de</strong> Schopenhauer dont il se sent très proche (« ses<br />

expressions ont parfois tant d’affinités avec <strong>le</strong>s miennes que je finis peut-être, avec une<br />

angoisse exagérée, par lui attribuer ce qui est pourtant <strong>de</strong> moi » 31cciii ). Mais ce qui <strong>le</strong>s distingue<br />

est d’une part que Schopenhauer ne réduplique pas cciv ; et surtout Kierkegaard distingue<br />

30 Kierkegaard semb<strong>le</strong> alors être l’écho <strong>de</strong>s mystiques. « Reprenant <strong>le</strong> cri rituel <strong>de</strong> la fou<strong>le</strong> “labbayk”, à Tes<br />

ordres, Hallaj <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Dieu qu’il l’appauvrisse encore davantage, <strong>le</strong> fasse méconnaître et exclure ; afin que ce<br />

soit Dieu seul qui Se remercie Lui-même à travers ses lèvres » ; « il exprime <strong>le</strong> désir <strong>de</strong> mourir anathème, frappé<br />

par la Loi <strong>de</strong> l’Islam, pour tous » (Louis Massignon, Diwan, Seuil, Points-Sagesse, 1992, p. 17) : « Il n’est pas au<br />

mon<strong>de</strong> pour <strong>le</strong>s musulmans <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir plus urgent que ma mise à mort » (Hallaj, ibid.). Mais Hallaj mourra<br />

effectivement anathème, « saint damné par amour <strong>de</strong> Dieu » (Diwan, p. 32 et 36 ; cf. <strong>le</strong>s « suppositions<br />

impossib<strong>le</strong>s » <strong>de</strong>s spirituels mystiques du XVII e sièc<strong>le</strong> français).<br />

31 Schopenhauer : « Il n’est qu’une idée innée, et el<strong>le</strong> est fausse, c’est cel<strong>le</strong> qui consiste à croire que nous<br />

sommes ici pour être heureux ».<br />

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