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le christianisme tragique de s. kierkegaard dans son journal

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Académie <strong>de</strong>s Sciences et Lettres <strong>de</strong> Montpellier, 2002, Bernard Chédozeau<br />

ce sera donc refuser <strong>le</strong> mariage, car comment pourrait-on se marier et avoir <strong>de</strong>s enfants « pour<br />

se repentir ensemb<strong>le</strong> » ? Comment condamner <strong>de</strong>s enfants à cette terrib<strong>le</strong> condition cccxvii ?<br />

Certes Kierkegaard ne pense pas que <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> soit contraire au mariage, mais enfin il<br />

estime que « <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> n’ordonne pas <strong>le</strong> mariage » cccxviii : « S’il ordonne <strong>le</strong> mariage [<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux êtres « pour se repentir ensemb<strong>le</strong> »], <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> est alors folie ». « L’idée<br />

chrétienne est <strong>de</strong> ramener l’érotisme à l’indifférence et <strong>de</strong> faire du mariage un <strong>de</strong>voir » cccxix . A<br />

la veil<strong>le</strong> <strong>de</strong> sa mort, en 1855, il condamnera même la reproduction comme un « crime aux<br />

yeux <strong>de</strong> Dieu » cccxx : ainsi – notation discrètement autobiographique - il arrive qu’« un fils<br />

lisant réel<strong>le</strong>ment [et non comme on lui a appris à <strong>le</strong> lire] <strong>le</strong> Nouveau Testament » y découvre<br />

« qu’il a été conçu <strong>dans</strong> <strong>le</strong> péché, qu’il est né par infraction…, qu’ainsi <strong>son</strong> existence est un<br />

crime » cccxxi (ce qui n’est peut-être aussi qu’une allusion aux circonstances <strong>de</strong> sa naissance,<br />

secret <strong>de</strong> <strong>son</strong> père qu’il ne peut rapporter).<br />

Tout cela se conjugue <strong>dans</strong> la rupture <strong>de</strong> ses fiançail<strong>le</strong>s avec Régine. Kierkegaard a<br />

peur <strong>de</strong> faire d’el<strong>le</strong> une pénitente, certes ; mais aussi et tout aussi profondément : « J’ai<br />

presque un fris<strong>son</strong> d’horreur en pensant […] quel mirac<strong>le</strong> m’a arrêté et renvoyé au<br />

célibat […] en me comprenant comme une exception », comme l’Extraordinaire qui ne se<br />

marie pas cccxxii . Son attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> rupture avec Régine Olsen doit s’entendre comme un <strong>de</strong>s lieux<br />

éminents <strong>de</strong> <strong>son</strong> <strong>christianisme</strong> et <strong>de</strong> <strong>son</strong> hétérogénéité souffrante, d’un choix douloureux en<br />

vertu duquel il sera exclu, mis à l’écart par <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. Point essentiel, il n’explique pas à<br />

Régine <strong>le</strong>s rai<strong>son</strong>s <strong>de</strong> cette rupture 47 cccxxiii ; et cette attitu<strong>de</strong> qui <strong>le</strong> fait mépriser et haïr <strong>de</strong> <strong>son</strong><br />

entourage, <strong>de</strong> ses amis, <strong>le</strong> met <strong>dans</strong> une situation éminemment chrétienne en ce qu’el<strong>le</strong> lui<br />

permet <strong>de</strong> vivre lui-même ce qu’il enseigne, et cela sans que <strong>son</strong> entourage <strong>le</strong> soupçonne :<br />

c’est peut-être pour Kierkegaard la plus douloureuse <strong>de</strong>s formes possib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> réduplication.<br />

Le théologien vit <strong>le</strong> <strong>christianisme</strong> tel qu’il l’entend, en souffrant d’être ou raillé par <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

ou méprisé par lui ; en tout cas cette ascèse ne l’en fait pas admirer. « J’ai buté non sur Régine<br />

mais sur <strong>le</strong> fait même du mariage, et ce fut un échouage d’ordre religieux » cccxxiv . Conclusion<br />

poignante : « Mes fiançail<strong>le</strong>s avec Régine et <strong>le</strong>ur rupture <strong>son</strong>t au fond mon rapport à Dieu, ce<br />

<strong>son</strong>t, si j’ose dire religieusement, mes fiançail<strong>le</strong>s avec Dieu » cccxxv .<br />

Ces « voyageurs » que <strong>son</strong>t <strong>le</strong>s Isolés, quand ils sentent qu’approche la fin, quand ils<br />

ont « produit l’effet <strong>le</strong> plus intense », ils quittent la vie non « en douceur » mais « par<br />

catastrophe » cccxxvi . Alors seu<strong>le</strong>ment, post mortem, <strong>le</strong> sens <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur vie pourra peut-être être<br />

connu et compris <strong>de</strong>s autres hommes : car il convient <strong>de</strong> « n’expliquer qu’en mourant quel<strong>le</strong><br />

était en fait la vérité… » cccxxvii .<br />

47 Voir par exemp<strong>le</strong> Xi A 485, « je répondis par une blague ».<br />

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