PETIT JOURNAL DE PRINTEMPS KABYLE Mai 2006

surgissent de la brume matinale, tels des fantômes. Un grand dépôt d’écorces de liège m’indique que
cette activité, naguère florissante pour la Kabylie, demeure.
Les lacets se succèdent. Aux environs d’Adekar, je commence à sentir les effets du mal des
transports, je me cramponne à mon siège, j’ai des hauts le cœur et je ferme les yeux pour tenter de
rétablir mon équilibre interne. C’est bien dommage car le paysage est grandiose, Fatiha me jette des
regards désespérés pour que je profite des précipices, des pythons et des villages juchés sur les
crêtes. Pour me consoler, je me dis que j’ai déjà vu, il y a trente ans, au volant de ma petite R4, et
que rien n’a changé depuis.
Après Adekar, on descend doucement en direction d’El Kseur et on arrive dans la plaine de la
Soumam20. Soudain apparaît V’Gueieth, alias Bejaïa, alias Bougie21, immaculée, petite réplique
d’Alger dans un cirque de montagnes majestueux. Il est 10h40, nous avons parcouru 124 Kms. Le
car pour Sétif va partir dans trois minutes. Je demande les toilettes d’un ton implorant, je me
dépêche et quand je cours rejoindre le véhicule, il a disparu ! Fatiha, Souhila, les bagages,
volatilisés !! Suis tout seul ! Mais le contrôleur est venu me récupérer, on va rattraper le car au coin
de la rue ; il est parti à l’heure pile, il ne souffre pas une minute de retard, mais comme il fait le tour
de la place, on peut le prendre au vol.
Nous abordons la zone la plus fréquentée de Kabylie l’été : la corniche de Bejaïa à Jijel. Caps,
promontoires, petites criques, grottes et rochers rivalisent de pittoresque et les montagnes sont si
près qu’elles donnent le sentiment de tomber dans la Méditerranée. Il n’y a pas qu’elles, d’ailleurs,
qui y tombent … A Cap Aokas, une auto, débouchant en trombe du tunnel d’Aokas a loupé son
virage et terminé sa course dans les flots bleus. Gros attroupement, des dizaines de voitures se sont
garées sur le bord de la route et les badauds observent les deux plongeurs qui patrouillent à la
recherche de l’épave et de ses occupants.
A Kherrata, un grand panneau rappelle le 8 mai 45, qui justement vient d’être commémoré ;
nous sommes ici dans l’une des villes martyres. A la sortie, commencent les gorges éponymes. Elles
sont impressionnantes, je le dis, pour les avoir faites jadis, mais l’autocar emprunte le tunnel, qui me
paraît interminable. J’ai appris par la suite que la route des gorges est en fort mauvais état et qu’elle
fournit un cadre idéal aux faux barrages…
Sétif, Sitifis à l’époque romaine, est atteinte à 13h45. Nous achetons à la gare routière des
sandwichs aux brochettes, pour compléter la carantica de Tizi. Ils ont été radins sur l’huile, je la
trouve moins bonne que celle que je servais à mes clients dans notre restaurant toulousain22 …
Objectif suivant : Bougâa23, à une cinquantaine de Kms de Sétif, dans le massif du Guergour.
Mais là, il y a un os : la foule qui prend d’assaut le petit car ne nous laisse aucune chance
20 Rivière qui a donné son nom au Congrès de la Soumam, qui a jeté les bases de l’action armée pour la guerre de
libération.
21 C’est ici que serait née la célèbre « chandelle de Bougie », en abrégé, la bougie… On peut encore donner un 4 e nom
à la ville, c’est Saldae, du temps des Romains.
22 Ephémère expérience : le salon de thé-restaurant Keur Pastel, cuisine du monde, ambiance dépaysante garantie, a
vécu 18 mois…
23 Ex Lafayette
Petit Journal de printemps kabyle – Mai 2006