PETIT JOURNAL DE PRINTEMPS KABYLE Mai 2006

9,25 sur 10 de moyenne. Il m’a demandé d’installer un jeu sur l’ordinateur et nous avons joué tout
l’après-midi à « Monstres & Cie » de Walt Disney !
Ce soir on vient d’apprendre qu’il y a eu deux suicides dans la journée à Djemâa, une femme
de 34 ans et un garçon de 25. Il paraît que la mère du garçon l’a entendu, quand il a repoussé le
tabouret pour se pendre, juste après sa prière du matin, celle qui m’avait réveillé… Il avait déjà
perdu son frère aîné qui était militaire. Quant à la femme, qui est coiffeuse, elle s’est étranglée avec
sa ceinture, elle avait des douleurs au ventre, peut-être un cancer qu’elle ne voulait pas soigner.
Samedi 6 mai
Petit Journal de printemps kabyle – Mai 2006
Avec le décalage horaire (il n’y a pas « d’heure d’été » en Algérie), Christine Taubira m’a
réveillé à 6 heures du matin, dans « Thé ou café ». Départ pour Tizi Ouzou à 7h30 avec Lyès, sa
femme et ma nièce Samira, toute contente de « sortir comme une grande », malgré les affres du
transport en car, invariablement au bout de quelques kilomètres de virages en lacet, on sort le sac en
plastique et tout le petit déjeuner s’y engouffre. Ça me rappelle des souvenirs épiques de ma bellesœur
Farida, toute gamine, qui se mettait à vomir dès qu’elle voyait l’estafette, elle n’avait même pas
besoin de monter que l’effet était garanti ! La descente en bus est très lente à cause des ornières. Je
quitte la famille à l’entrée de la ville car ils continuent vers la gare routière. Tizi est toujours très
animé, mais je ne reconnais pas tous les quartiers qui ont poussé comme des champignons, autour
des facultés du centre-ville, construites après l’université d’Oued Aïssi, qui existait déjà dans les
années 80.
Je prends contact avec Farouk, jeune frère de Sofiane, qui a un taxi. Il fait la navette Tizi
Ouzou– Tizi Hibel, qui est le village de la famille, et également le lieu de naissance de Mouloud
Feraoun7, enterré à quelques dizaines de mètres de la maison de Sofiane. Malheureusement Farouk
est très occupé, il a un client qu’il promène dans la ville pour faire des emplettes et aussitôt après,
un autre lui demande une course jusqu’à Alger. Ici, pas de règle stricte, un taxi peut aller dans la
wilaya8 voisine, ça coûte cher seulement.
Je fais du « lèche-vitrines », arpente le centre-ville en tous sens, me rend au centre d’artisanat
et retrouve dans un café, Amine, jeune ingénieur électronicien qui n’a trouvé comme premier boulot
que d’être prof d’informatique et répétiteur dans un collège privé. Une amie de collège l’a rejoint.
Elle aussi est insatisfaite de son job, elle vient de démissionner et recherche autre chose. Elle me dit,
tout à trac : « J’en ai marre de cette société, c’est bien simple, ici, je ne fréquente que des chrétiens. »
Devant mon air ébahi, Amine s’empresse d’ajouter : « des chrétiens, mais pas des catholiques, des
évangélistes ». Il paraît que le prosélytisme fonctionne à fond et recrute énormément de jeunes.
J’avance l’argument qu’il faut se méfier de cette religion, qu’il s’agit carrément d’une secte, aussi
extrémiste que d’autres qu’on côtoie tous les jours…Des Kabyles chrétiens, il y en eu du fait de la
colonisation et beaucoup le sont restés, parmi ceux qui vivent en France, à tel point que quelqu’un
de non averti ignore jusqu’à leur origine. Mais la jeune femme a une moue de mépris pour ces
7 Mouloud Feraoun, instituteur et écrivain kabyle, fut assassiné pendant la guerre de libération.
8 Wilaya : préfecture. L’Algérie en compte 48 actuellement.