PETIT JOURNAL DE PRINTEMPS KABYLE Mai 2006

Boussad et Katalin ont repris la route d’Alger dans la matinée. Quand il fait froid, on se serre
dans la cuisine et les repas, petits et grands, se succèdent pour tuer le temps. J’ai sauté le
goûter…Version télé française, le mauvais temps semble vouloir glisser vers le nord, vers la France,
surtout le sud-ouest ; pour nous c’est tout bénéf : on retrouvera le soleil et la chaleur, et à RocAride6
, la pluie palliera notre arrosage défaillant du fait de notre absence, pour toutes nos plantations de
printemps. Mais en matière de météo, il ne faut jurer de rien et ne pas chanter victoire trop tôt, car
version locale, on pourrait garder ce temps de chien jusqu’à mardi prochain…
Vendredi 5 mai 2006
Week-end. Djemâa s’éveille un peu plus tard aujourd’hui. L’appel à la prière m’a tiré de mon
sommeil ce matin, mais c’était tout doux, le muezzin avait mis une sourdine. Il est vrai qu’il se méfie,
le cousin Merzouk a maintes fois menacé de lui rendre visite si le haut-parleur est trop fort !
La pluie a cessé mais le ciel est quand même bien chargé et il y a des nuages blancs en
contrebas, dans la plaine. Comme le chauffe-eau n’est pas encore installé, je vais prendre ma douche
au village, dans un établissement privé. Au passage, je salue Khalti Ouassila qui rentre de la fontaine,
puis j’entre dans la boutique du cousin Lounis, on échange les nouvelles, on promet de se revoir.
Ici, on parle toujours en centimes. Dans ma poche, j’ai un billet de 1 000 Dinars, soit cent
mille centimes. La douche coûte 16 000 ; j’ai fait quelques emplettes, 8 yaourts, du beurre, 250g de
fraises, un camembert, cela m’est revenu à 36 000. J’ai donc dépensé près de la moitié de mon billet
de 1 000. Ces chiffres me font rêver, moi qui garde du dinar le souvenir d’une monnaie plus forte que
sa voisine marocaine, le dirham. A titre d’exemple, quand je travaillais à Alger comme VSN à l’Ecole
de Commerce, dans les années 75, je touchais 1 600 dinars par mois, à peine plus que le billet qui
vient d’être sérieusement entamé, et j’avais un mois pour vivre avec ! Un euro représente 100
Dinars, 10 000 centimes… Autant dire que n’importe quel émigré fait figure de nabab dans ces
conditions, car les salaires n’ont pas suivi au même rythme.
J’ai une crampe tellement j’ai faim ! Tout le monde est absorbé par la préparation du repas
dominical, le premier après notre arrivée, sauf Lyès qui a emprunté une perceuse électrique et fait
des trous partout. Souhila a pétri six galettes de semoule avec des graines de nigelle, deux à frire et les
quatre autres sur le feu de bois au jardin, sous l’appentis. On sent la fumée âcre, on se chauffe au
coin du feu, le jardin est vert car le printemps a été pluvieux, les papillons butinent, un petit oiseau
bleu volette et se pose sur un pied de blette monté en graines ; on entend le prêche, en kabyle, de la
mosquée, après que les versets du Coran aient été chantés par le muezzin accompagné d’un enfant à
la voix cristalline. Fatiha fait griller poivrons, piments et tomates sur le feu à présent disponible
après cuisson du pain. Dans la cour, Yemma Tassadit découpe de la viande du mouton de l’Aïd,
gardée au congélateur pour la circonstance, qui sera frite dans l’huile d’olive dont l’odeur pénétrante,
montant de la poêle, accroît ma fringale. C’est un supplice !
La grande surprise, agréable, c’est de constater que mon neveu communique avec moi, il a
bien changé depuis l’an dernier, et la raison est qu’il a commencé le français à la rentrée 2005. Il a
6 En Dordogne
Petit Journal de printemps kabyle – Mai 2006