PETIT JOURNAL DE PRINTEMPS KABYLE Mai 2006

en temps de trouble, aussi bien à l’époque de la guerre de libération que plus récemment, avec le
terrorisme. La route est quadrillée de casernes, de bastions fortifiés, de tourelles et de barrages
filtrants. Elle va se transformer bientôt en une « deux fois deux voies », pour relier de manière rapide
le Maroc à la Tunisie ; des tronçons sont achevés, d’autres sont en cours de raccordement. Le plus
long viaduc d’Algérie se dresse au-dessus de nos têtes, à la hauteur de Bouira, qui permettra une
économie appréciable de temps. Des entreprises étrangères ont proposé leurs services pour édifier
cette autoroute, à condition d’en exploiter la concession, mais le gouvernement a refusé, préférant la
solution de la gratuité pour les usagers.
A l’entrée d’Akbou le cortège se reforme et on y met la touche finale : la couronne de fleurs
est posée sur le capot de la voiture de tête, celle qui accueillera Tala. Concert de klaxons dans
Akbou, que je ne reconnais pas, comme toutes les villes que je n’ai pas revues depuis trente ans, en
raison des constructions nouvelles, souvent inachevées, qui ont poussé un peu partout. On monte
vers la partie haute de la ville, qui fait face à la montagne. Des youyous nous accueillent, les femmes
sont au balcon, les hommes en bas de l’immeuble. Congratulations, embrassades, les deux pères se
donnent l’accolade et toute notre petite troupe s’engouffre dans les escaliers. Je fais mon boulot de
cameraman du mieux que je peux, multipliant les zooms et les contre plongées. Nous, les hommes,
sommes installés dans le salon pendant que tout ce qui est féminin disparaît comme par
enchantement. On nous sert des « gazouz56 » avec des petites corbeilles individuelles de pâtisseries
et des sachets de dragées. Il a été convenu de ne pas faire de repas, pour ne pas fatiguer la maman de
Tala, qui sera du voyage. Le papa, par contre, ne l’accompagnera pas, ainsi le veut la tradition.
J’ai entendu s’égrener beaucoup de souvenirs des années 96-97. Avoir 17 ans en 1996 en
Algérie ; « quand on partait en boîte, on y passait la nuit, à cause du couvre-feu, tout était barricadé
et on nous relâchait au petit jour, vers 5 heures du matin. Alors, quand je suis arrivé en vacances
avec ma famille, à Palma de Majorque, je n’en croyais pas mes yeux, et pourtant, j’étais averti,
j’avais l’habitude de regarder les T.V. occidentales. Cet été-là, je n’étais absolument pas bronzé,
blanc comme un cachet d’aspirine, je ne voulais vivre que la nuit, profiter de la liberté, de la danse,
de la jeunesse, de ma jeunesse ; je m’endormais au petit matin pour me réveiller à la nuit et
recommencer. J’y suis retourné chaque fois que le visa m’était accordé (une fois sur deux…). A
présent j’y ai trouvé d’autres plaisirs, je ne vais presque plus en boîte, j’ai découvert la plongée,
mais ce bain d’oxygène m’a sauvé de la déprime totale. »
« En 96, je me souviens, on devait acheter un cadeau pour un mariage, tous les magasins
étaient fermés à cause de la peur. Il n’y en avait qu’un seul à avoir ouvert ; mon mari me dit « vite,
vite ! achète ça, on s’en va ! » mais moi je voulais choisir. Et ma fille qui s’habillait en minijupe,
avec des bottes hautes ! C’était terrible, la peur au ventre. »
Mercredi 24 mai
Petit Journal de printemps kabyle – Mai 2006
Baïnem, tôt le matin ; comme je me sens inutile au milieu de cette équipe bien organisée et
tellement rodée (hier soir, j’ai quand même épluché 10 kg d’oignons, et presque sans larmes), je vais
56 Limonades de diverses couleurs, parmi lesquelles il faut noter le Sélecto, à l’aspect du Coca mais au goût de bubble
gum….