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PETIT JOURNAL DE PRINTEMPS KABYLE Mai 2006

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chemin des Glycines, qui n’en finit pas de tourner ; les autos le dévalent à toute vitesse et gare au<br />

piéton imprudent, ce n’est pas un quartier où l’on circule à pied. Pour renter la voiture au garage, il<br />

faut placer quelqu’un en sentinelle afin de stopper la circulation et permettre la manœuvre.<br />

Derrière les lourdes grilles, les portails blindés et les murs hauts de trois mètres, les villas,<br />

d’époque coloniale, sont noyées dans la verdure et les jardins croulent sous les bougainvillées. Les<br />

terrasses dominent la baie d’Alger. Pour les Algériens propriétaires de ces bijoux, pas question de les<br />

louer à d’autres Algériens. Ces demeures sont exclusivement à l’usage des étrangers, diplomates ou<br />

privés, les loyers atteignent des sommes faramineuses. Souvent, le propriétaire se réserve une<br />

modeste partie de l’habitation, un sous-sol, deux ou trois pièces. C’est un cas rarissime où le<br />

possédant dort sous son capital et non dessus… Le locataire occupe les deux étages supérieurs. J’ai<br />

eu l’impression d’être sur une autre planète.<br />

Mercredi 16 mai<br />

Petit Journal de printemps kabyle – <strong>Mai</strong> <strong>2006</strong><br />

Est-ce le pur hasard si mes pas m’ont conduit, à 15h30, devant l’Algéria, le cinéma sur<br />

Didouche, au cœur d’Alger ? C’est l’heure précise où commence la projection de « Beur, Blanc,<br />

Rouge », dont c’est aujourd’hui la sortie, simultanément avec Paris. Je prends ma place. Je dois bien<br />

être le seul Français « pur beurre » à y assister dans la capitale algérienne, au milieu d’un public<br />

hyper jeune, fréquentation mixte, salle plutôt bruyante, disons, vivante. Le sujet du film ? Le match<br />

amical France-Algérie qui s’est terminé par l’invasion du stade de France, déclenchant une polémique<br />

et des réactions amères de part et d’autre de la Méditerranée. C’est traité sur le mode burlesque, je<br />

n’ai pas trouvé hilarant, j’ai plutôt grimacé, face à l’accumulation des malentendus, la montagne<br />

d’incompréhension, le fossé qui sépare de l’autre si proche. Mon problème ? je ne sais pas me<br />

situer, j’ai mal aux deux pays en même temps.<br />

Une scène du film m’a amusé et renvoyé à une histoire similaire qui montre combien la<br />

religion influe sur les goûts, y compris culinaires : le héros se trouve dans une salle de resto avec la<br />

fille qu’il drague, une beurette « intello » ; celle-ci commande un steak tartare. Lui, sans se démonter,<br />

commande la même chose, mais précise au serveur : « bien cuit, mon steak ! ». Le serveur et la fille<br />

se regardent d’un air entendu et celle-ci entreprend d’expliquer au « beau gosse » qu’un steak tartare,<br />

c’est cru… Stupéfaction du garçon qui se ravise aussitôt et demande un hamburger. Eh bien cette<br />

histoire m’a ramené en 1976, au restaurant « Le Cyrnos », établissement chic de la rue Didouche<br />

Mourad, situé au premier étage, à l’abri des regards indiscrets et plutôt destiné à une clientèle<br />

d’expatriés ou de cadres algériens. François nous avaient invités, Jean-Louis, Daniel ainsi que Fatma,<br />

tous collègues de François, sauf moi, dans une Société Nationale. Chacun examine la carte et Fatma,<br />

issue d’une bonne famille bourgeoise de Miliana et qui affectait un air « très grande dame » (en fait<br />

pour cacher sa timidité ou sa gêne), d’un air dégagé, commande un steak tartare. Comme c’est une<br />

personne habituée aux mondanités, son choix pouvait paraître tout à fait normal et nul ne se risque à<br />

lui expliquer la nature du met. Voilà que le serveur revient avec un plateau sur lequel trône un steak<br />

haché, cru, du plus bel effet, accompagné d’un jaune d’œuf et des épices habituelles. <strong>Mai</strong>s à la<br />

différence du beau gosse de <strong>2006</strong> qui avait eu droit à une explication, la pauvre Fatma de 1976 s’est<br />

trouvée confrontée à une situation dramatique et les contorsions qu’elle a faites pour tenter d’avaler<br />

une première bouchée ont eu raison de sa fierté, elle déclara forfait. Par la suite, elle est devenue

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