PETIT JOURNAL DE PRINTEMPS KABYLE Mai 2006

d’opinion.
Pour se rendre à Ighil Boumès, on passe par les Aït Yenni et la route grimpe en longeant le
nouveau barrage de Taksebt. La route que j’empruntais autrefois est au fond de l’eau, la vallée a été
inondée par l’ouvrage de retenue et seuls quelques arbres immergés témoignent en de rares endroits
des traces de vie antérieure. Amine me montre le lieu où Matoub Lounes fut pris dans un faux
barrage et exécuté. Au croisement d’Aït Ali Ouarzoune et d’Ibudrarène, il faut descendre et
continuer à pied vers Ighil Boumès, qu’on aperçoit sur la crête suivante, à deux kilomètres. Plus loin
Aïn el Hammam. Les crêtes se succèdent et chacune d’entre elles porte un village : Derna, Bou
Adnane, Ighil Sedda... Il fait chaud, on transpire, on prend des raidillons de traverse pour raccourcir
le trajet, c’est le chemin emprunté par les enfants pour se rendre à l’école.
Ighil Boumès est le village natal du chanteur Aït Menguelat, figure symbolique et intouchable de la
culture kabyle. Il partage son temps entre le village, où il a fait bâtir une grande maison sans
prétention, et Tizi Ouzou. Aujourd’hui les volets sont clos. Ce qui frappe ici, c’est l’image d’un lieu
dépeuplé, chaque recensement montre le signe inexorable que le village se meurt. L’été, seulement,
voit un peu d’animation avec le retour des familles pour quelques jours ou quelques semaines.
Beaucoup de maisons sont abandonnées ou délabrées et contrairement à Djemâa, qui est un vaste
chantier, ici pas de nouvelles constructions. Amine retrouve ses cousins, son oncle à la « djemâa » ;
lui et sa famille n’ont pas déserté totalement le pays, les membres de la famille, père, frère, se
relaient pour entretenir la demeure familiale.
Mais il n’y a pas de travail à Ighil Boumès. Les champs sont délaissés, Amine m’entraîne
vers les leurs, à flanc de montagne, plantés de vieux oliviers centenaires, aux formes tourmentées ;
nous nous gavons de cerises, de mûres47 . A la sortie du village, les enfants jouent au ballon à côté de
la fontaine, dont l’eau descend directement du Djurdjura ; elle est glacée et l’air est chaud.
Vendredi 19 mai
Petit Journal de printemps kabyle – Mai 2006
Pour le petit déjeuner, nous avons eu droit à un litre de lait de chèvre, apporté par un petit
cousin, bambin blond et bouclé ; je l’ai bu sans café, sans sucre, pour l’apprécier doublement.
Il fait encore une relative fraîcheur matinale, nous rendossons nos sacs et reprenons, en sens
inverse, le chemin d’Aït Ali Ouharzoune. Je voudrais y retrouver la trace d’une famille que j’ai
connue il y a fort longtemps, retrouvée en 1990 et à nouveau perdue de vue. Le seul indice qu’il me
reste est le berceau familial aux Aït Ali, mais y habitent-ils encore ? Déjà, il y a trente ans, le village
se dépeuplait et les hommes allaient chercher du travail au sud ou à la ville. Les traditions
d’émigration sont anciennes : Ighil Boumès prend la direction d’Oran, Aït Ali celle de Constantine,
un premier cousin s’y est installé, un autre a suivi…
A l’épicerie d’Ibudrarène, nous demandons après la famille d’Abdesslem. Leur maison est
vide, ils sont installés à Tizi Ouzou. Un parent se propose de nous indiquer leurs coordonnées.
Nous cheminons à pied vers le village des Aït Ali, distant d’un kilomètre, ce qui me donne le temps
47 Les mûres de l’arbre et non du buisson, arbre dont les feuilles nourrissent les vers à soie.