PETIT JOURNAL DE PRINTEMPS KABYLE Mai 2006

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J’arpente le boulevard du front de mer, qui porte le nom du Che. Je fais une pause au centre culturel français pour m’enquérir de mon ancienne directrice des études à l’école de commerce d’Alger ; elle a été nommée directrice lors de la réouverture du centre, en 2000 et je l’ai appris par la télé française, lorsque j’étais à N’Djaména ! Un papillon agite ses ailes à Pékin et le courant d’air se fait sentir à San Francisco ! On m’ouvre les portes du centre avec d’infinies précautions, les portes sont hyper blindées. Mon ancienne directrice n’est plus en poste, elle a créé un centre de formation supérieure, j’en obtiens des nouvelles par son fils au téléphone. Rampe Chassériau, quartier de l’Agha. Après la Sûreté, il y a un petit troquet qui fait l’angle. Sofiane m’y a offert un café il y a trente ans, pendant qu’il prenait « un petit blanc » (attention, il s’agit d’un lait, pas autre chose) et depuis, il ne s’est jamais passé de semaine sans que nous prenions de nouvelles l’un de l’autre et chaque grande occasion de la vie nous a vus réunis. Je lui réserve d’ailleurs une petite surprise dans quelques jours. Je descends la rampe et me trouve devant le vieux bâtiment de l’école de commerce, construit vers 1900. La bibliothèque dans le hall est toujours là et je me revois me dirigeant vers la salle des profs, entre 1975 et 79. Je demande à saluer le directeur, que je ne connais pas, mais je suis introduit très rapidement et je me présente. Mots de bienvenue, questions, petit descriptif des perspectives de l’école, accueil très cordial. Je termine ma visite par un tour dans la salle des profs où je rencontre la nouvelle génération d’enseignants, un peu étonnés de ma démarche. Je rêve de manger une soupe de pois chiches dans une gargote « de luxe » que je fréquentais autrefois, « Brik et bourek », à la rue de Tanger. Mais peine perdue, l’échoppe a disparu ; je me rabats sur « le Roi de la loubia et le Roi de la sardine », à quelques mètres de là. On attend qu’une place se libère, c’est un bistrot pour travailleurs et on fait table commune, serrés comme des sardines qu’on croque arrosées d’un filet de vinaigre, tandis que le gargotier vous demande, pour « mouiller » la loubia : « double zit oula simple zit33 ? ». 150 DA les deux plats. A présent j’arpente Didouche34. Prendre un café à « La Brass’35 ». Malheureusement La Brass’ semble s’être métamorphosée en restaurant de luxe, vitres teintées, climatisation, tarifs en conséquence. Poursuis ton chemin ! Place Audin36, les Quat’Zarts sont fermés ; j’avise une terrasse un peu plus loin pour siroter mon expresso et reposer mes pieds un peu fatigués. Connaissez-vous Bécassine ??? Il est un album particulier, qui s’intitule « Bécassine voyage », singulier, unique en son genre, parce que le scénario en est baroque, beaucoup moins sage que les autres albums. Je vous le résume : Bécassine fait connaissance de Pierre Quiroule, jeune homme argenté qui s’ennuie. Sa seule marotte dans la vie est de voyager. Voyager pour voyager. A cette époque, Bécassine, qui vient de connaître moult aventures, a un trop plein d’énergie qu’il faudrait évacuer. Alors ils vont partir ensemble en voyage. Mais où, dans quel but ? Bécassine apporte à Pierre Quiroule une lettre décachetée, dont le destinataire n’est pas mentionné. Dans cette 33 « une ou deux cuillères d’huile d’olive ?? » 34 rue Didouche Mourad, la rue centrale, du nom d’un des premiers maquisards tombés, autrefois rue Michelet. 35 La Brasserie des Facultés, lieu mythique Petit Journal de printemps kabyle – Mai 2006 36 Maurice Audin, jeune prof d’histoire, arrêté par les autorités françaises en même temps qu’Henri Alleg (La Question) et qui n’est jamais ressorti vivant.
lettre il est demandé à celui qui la lira de contacter, à New York un certain Mr Smith qui a un objet appartenant à l’expéditeur de la lettre. Le but du voyage est trouvé ! Ils iront à New York chercher l’objet. Absurde, n’est-ce pas ? Vous allez penser que je suis aussi fou que Pierre Quiroule ? Qui sait ? Voici le petit mot que mon voisin toulousain m’a apporté, les yeux brillants, la veille de mon départ pour Alger, le 1 er mai 2006 : Petit Journal de printemps kabyle – Mai 2006 Monsieur Eric Tarik, S’il existe une carte postale de « la Mort d’Eros » ou de « Vénus pleurant la mort d’Adonis » (XVIe siècle), attribué à l’école de Fontainebleau, pourriez-vous me la rapporter ? Musée des Beaux Arts/Alger Avec plus que mes remerciements Y.B Commencez-vous à comprendre le but de mon voyage ? Bêtement, je confonds musée et école des Beaux Arts et me voilà, par le bus 15 sur les hauteurs d’Alger. Bien vite le gardien me fait réaliser mon erreur. Le bus 12 m’amène à « Champs Manœuvre ». Mais cette erreur de parcours va me procurer une sensation délicieuse, enfouie dans ma mémoire et ressentie la première fois que j’ai emprunté, en voiture, la grande rampe qui mène à la place du 1 er Mai (ou « Champs Manœuvre). Cette rampe est comme un toboggan si peu qu’on roule un peu vite, vous voyez Alger défiler sous vos yeux, « cul par dessus tête » (excusez l’expression, mais c’est la seule qui me vienne spontanément à l’esprit pour donner l’impression du vertige qu’on éprouve au creux de l’estomac). Et le bus roule vite, il est quasiment vide, le chauffeur doit être un casse-cou. Au moment de descendre je jette un coup d’œil de gratitude au volant : c’est une femme tout de noir vêtue et portant le hidjeb. Pas de bus pour « Ruisseau », cet après-midi, il y a match et ils sont tous réquisitionnés pour le stade. Reste les taxis collectifs. Musée des Beaux Arts, personne ne connaît. Je fais un saut dans un cyber pour vérifier par google, c’est bien quartier du Hamma, face le Jardin d’Essai. Du coup on me met dans un taxi collectif en recommandant au chauffeur de bien s’occuper de moi. A l’accueil, je laisse mon petit mot pour que le personnel fasse des recherches sur les deux tableaux, pendant que je me lance dans la visite du musée. En face d’une toile d’André Derain, je me dis avec admiration que ce musée a des stocks intéressants. La toile suivante est … un Matisse, suivi d’un second Matisse. Alors je commence à noter, seulement les noms des peintres ou sculpteurs que je connais : Derain, Matisse, Paul Belmondo (l’un des instigateurs du musée), Félix Vallotton, Vlaminck, Pompon et son célèbre ours polaire, Maillol, Puvis de Chavannes, Degas, Théodore Rousseau, Corot, Millet, Carpeaux, Girodet, Marie Bashkirtseff (très connue pour Le Journal, morte à 24 ans de la tuberculose), Courbet, Hyacinthe Rigaud, Nattier, Fantin Latour, Dinet, Eugène Fromentin, Chassériau, Vernet, Gauguin, Sisley, Pissaro, Rodin (un buste de J.P.Laurens), Monet, Renoir, Dunoyer de Segonzac, François Rude, Berthe Morizot, Utrillo, André Lhote, Suzanne
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