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vraie – et la maison sordide où il était né ; Tina, la toute gracieuse métisse, dont la mère<br />
était une prostituée ; Hester, fille naturelle d’une Irlandaise qui avait « refait sa vie » ; enfin,<br />
Jacko, <strong>ce</strong> plaisant petit garçon, « <strong>au</strong> visage de singe », dont les bouffonneries les amusaient<br />
tous – Jacko, dont le père purgeait une peine de prison, et dont la mère s’était enfuie avec<br />
un <strong>au</strong>tre homme.<br />
Se consacrer <strong>au</strong>x déshérités était peut-être une belle vocation ; <strong>ce</strong>pendant, le résultat<br />
n’avait pas été tout à fait <strong>ce</strong>lui <strong>au</strong>quel on était en droit de s’attendre. Mais comment<br />
s’étonner que la mentalité de <strong>ce</strong>s enfants n’évoquât en rien les sentiments qu’<strong>au</strong>raient eus<br />
les propres des<strong>ce</strong>ndants des Argyle ? Dans leurs veines ne coulait <strong>au</strong>cune goutte du sang des<br />
ancêtres de Rachel, tous travailleurs et économes. Aucune tra<strong>ce</strong>, chez eux, de l’énergie et de<br />
l’ambition qui assurent une pla<strong>ce</strong> enviable dans la hiérarchie sociale ; <strong>au</strong>cun indi<strong>ce</strong> de la<br />
bienveillan<strong>ce</strong> et des qualités spirituelles de ses parents, à lui, Argyle.<br />
La fortune permet d’accomplir de grandes choses, mais ses possibilités ont des limites :<br />
impossible de lutter contre l’atavisme. Précisément, la venue des petits à « Sunny Point »<br />
découlait d’une enfan<strong>ce</strong> misérable dans des milieux plus que douteux, et, à la longue, les<br />
germes se développent.<br />
L’exemple le plus frappant avait été donné par Jacko. Son charme presque exagéré, son<br />
incroyable vivacité, ses reparties moqueuses, et la facilité avec laquelle il menait chacun par<br />
le bout du nez relevaient du type même du délinquant en herbe. Enfant, il se complaisait<br />
dans des mensonges souvent inutiles et commettait de menus larcins. Rachel affirmait que<br />
<strong>ce</strong>s « faiblesses », dues à son ancien entourage, disparaîtraient avec le temps. Elle se<br />
trompait.<br />
Après son renvoi de l’école, et la pénible expérien<strong>ce</strong> d’un séjour à l’université, Rachel et<br />
lui-même, Léo, s’étaient employés à lui trouver une situation convenable. Nouvelle<br />
désillusion ! Peut-être, avait pensé Léo, ne s’était-on pas montré assez sévère ? Vain<br />
scrupule : l’as<strong>ce</strong>ndan<strong>ce</strong> jouait à plein. Bonté ou rudesse, qu’importait ? Ce que Jacko voulait,<br />
il l’obtenait par tous les moyens. Mais il n’était pas assez adroit pour en venir <strong>au</strong>x extrémités<br />
sans se faire prendre.<br />
Et ç’avait été le jour fatal, quand, par peur de la prison, il s’était décidé à « exiger » une<br />
forte somme, affirmant qu’il reviendrait voir sa mère un peu plus tard et qu’elle agirait<br />
sagement en lui donnant satisfaction. Sinon…<br />
Rachel n’était plus. Comme tout <strong>ce</strong> passé semblait lointain ! Entre-temps, qu’était-il<br />
devenu, lui, le mari ? Tout simplement une ombre, ou presque. On eût dit que l’enthousiasme<br />
de son épouse l’avait épuisé, réduit pratiquement à zéro. Seul subsistait un irrésistible besoin<br />
de sympathie, d’amour.<br />
Leo avait peine à se souvenir du moment où il avait commencé à avoir conscien<strong>ce</strong> que <strong>ce</strong>t<br />
appui moral était à portée de sa main. Oh ! on ne le lui offrait pas encore, mais il existait.<br />
Gwenda ! La secrétaire parfaite, toujours prête à lui rendre servi<strong>ce</strong>. Et quel tact ! Certains<br />
traits de son caractère le portaient à penser à Rachel – à la Rachel d’avant son mariage. La<br />
même magnanimité, le même enthousiasme, mais, <strong>ce</strong>tte fois, il en était l’objet, et non pas<br />
des enfants hypothétiques. Être <strong>au</strong>près de Gwenda, c’était se réch<strong>au</strong>ffer les mains devant un<br />
feu ardent ; des mains prématurément froides, comme raidies par l’absen<strong>ce</strong> de tout geste<br />
spontané. Oui, quand avait-il compris qu’elle l’aimait ? La réponse était difficile à formuler ; il<br />
n’y avait pas eu de révélation soudaine. Quoi qu’il en ait été, il avait senti, un <strong>ce</strong>rtain soir,<br />
qu’il éprouvait un tendre sentiment à son égard.