Forêts à caractère naturel
Forêts à caractère naturel
Forêts à caractère naturel
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La naturalité : utopie ou panacée écologique ?<br />
Ce choix est parfois difficile :<br />
Faut-il lutter contre les espèces envahissantes (introduites ou<br />
simplement en dehors de leur aire <strong>naturel</strong>le comme le hêtre en forêt<br />
rhénane), si nécessaire <strong>à</strong> l’aide d’herbicides, pour retrouver les<br />
associations végétales indigènes de nos forêts fluviales ?<br />
Faut-il créer des trouées artificielles pour permettre au grand tétras<br />
de survivre ? (voir § 4.1.2)<br />
Faut-il réintroduire le castor dans nos réserves fluviales, le lynx et<br />
l’ours dans nos forêts de montagne ?<br />
Pour répondre <strong>à</strong> ce type de questions, le gestionnaire doit tout<br />
d’abord évaluer l’impact de ses mesures de gestion (actives ou<br />
passives) en termes de naturalité biologique et anthropique :<br />
A. Augmenter exagérément les densités de certaines espèces (par<br />
exemple les cervidés par des aménagements sylvicoles ou<br />
cynégétiques ; certains oiseaux par la pose de nichoirs) diminue <strong>à</strong><br />
la fois la naturalité anthropique (par les travaux) et la naturalité<br />
biologique (par la modification des équilibres <strong>naturel</strong>s). L’action doit<br />
donc être rejetée si l’objectif est d’augmenter la naturalité de la<br />
forêt.<br />
B. De même, la plantation de taxons* exotiques <strong>à</strong> la station entraîne<br />
une baisse combinée de la naturalité biologique et anthropique.<br />
C. La fermeture d’une piste forestière n’a quant <strong>à</strong> elle pas d’impact<br />
immédiat sur la naturalité biologique mais l’opération est<br />
immédiatement justifiée par l’augmentation de la naturalité<br />
anthropique (réduction du dérangement pour la faune sensible).<br />
D. La restauration de l’emprise d’une piste permettra au contraire<br />
d’augmenter la naturalité biologique (par exemple en ramenant<br />
dans son lit <strong>naturel</strong> un ruisseau dévié par des ornières) sans<br />
modifier significativement la naturalité anthropique (une piste étant<br />
déj<strong>à</strong> un milieu fortement anthropisé et les travaux de restauration<br />
n’étant que transitoires). L’opération est donc l<strong>à</strong> encore justifiée en<br />
terme de naturalité.<br />
E. L’interdiction du ramassage d’espèces saproxyliques* (par exemple<br />
les amadouviers) est une mesure plus simple <strong>à</strong> évaluer puisqu’elle<br />
permet d’augmenter <strong>à</strong> la fois la naturalité biologique (meilleure<br />
redistribution des éléments minéraux dans le sol) et anthropique<br />
(moins de fréquentation et de perturbations).<br />
F. La restauration du sous bois forestier par destruction mécanique<br />
d’une espèce exotique envahissante contribuera <strong>à</strong> augmenter la<br />
naturalité biologique au détriment de la naturalité anthropique.<br />
G. La non-intervention en cas de régénération spontanée d’essences<br />
exotiques <strong>à</strong> la station (épicéa en montagne) entraînera au contraire<br />
une augmentation de la naturalité anthropique* au détriment de la<br />
naturalité biologique.<br />
Dans les cinq premiers cas (A-E), l’impact des opérations de<br />
gestion en termes de naturalité est facile <strong>à</strong> évaluer. Dans les deux<br />
30<br />
1<br />
0<br />
-1<br />
-1<br />
Impact de quelques opérations de gestion sur les<br />
naturalités biologiques et anthropiques<br />
Située en haut <strong>à</strong> droite, l’opération est justifiée en terme<br />
d’augmentation de la naturalité globale. Située en bas <strong>à</strong><br />
gauche, elle doit être évitée. Dans la partie médiane du<br />
graphique, les bénéfices en terme de naturalité sont<br />
discutables et la question doit être approfondie.<br />
1<br />
0<br />
Naturalité biologique<br />
F<br />
A & B<br />
Degré de naturalité<br />
D E<br />
0 1<br />
Naturalité anthropique<br />
Effort de gestion<br />
L’effort nécessaire pour augmenter la naturalité forestière<br />
dépend du type d’altération mais aussi de la naturalité<br />
initiale du peuplement. Il est plus simple de doubler la<br />
naturalité d’une plantation d’essence exotique (carrés)<br />
que d’augmenter de 10% la naturalité d’une forêt <strong>à</strong><br />
<strong>caractère</strong> <strong>naturel</strong> (cercles).<br />
G<br />
C<br />
EN RÉSUMÉ, LA QUÊTE D’UNE PLUS<br />
FORTE NATURALITÉ FORESTIÈRE DOIT<br />
S’ORGANISER EN 4 ÉTAPES :<br />
Il convient tout d’abord de définir la naturalité<br />
potentielle maximale du site (voir § 3.1).<br />
En comparant cet état et l’état actuel de la<br />
forêt, il est ensuite possible de dresser la<br />
liste des facteurs qui contribuent (ou ont<br />
contribué) <strong>à</strong> diminuer la naturalité de cette<br />
forêt : facteurs abiotiques* (changements<br />
climatiques, modification des sols), biotiques*<br />
(disparition ou introduction d’espèces,<br />
nouveaux équilibres biologiques) ou<br />
directement anthropiques* (exploitation,<br />
fréquentation).<br />
Il convient ensuite de définir les moyens<br />
d’action (opérations) envisageables (faisabilité<br />
et pertinence scientifique) pour réduire<br />
ou annuler l’impact de ces facteurs. C’est<br />
lors de cette étape que vont apparaître les<br />
dilemmes entre gestion active et passive.<br />
La dernière étape est plus «politique». Elle<br />
consiste <strong>à</strong> sélectionner les opérations qui<br />
seront retenues pour réduire l’écart entre la<br />
naturalité actuelle d’une forêt et sa naturalité<br />
potentielle maximale. La naturalité peut<br />
être augmentée dans toutes les forêts.<br />
Qu’elles soient intensivement exploitées ou<br />
classées en réserves intégrales depuis longtemps,<br />
il existe toujours des facteurs qui<br />
altèrent leur naturalité (qu’ils agissent au<br />
sein, en périphérie immédiate, ou <strong>à</strong> grande<br />
distance de la réserve). En règle générale,<br />
plus la naturalité d’une forêt est faible, plus<br />
il est facile (techniquement et économiquement)<br />
de l’augmenter (voir fig. p.30 bas).<br />
Laisser un arbre mort dans une plantation<br />
de peupliers est une opération simple et<br />
peu coûteuse. Lutter contre le dépérissement<br />
d’une forêt <strong>à</strong> forte naturalité en<br />
revanche n’est pas <strong>à</strong> la portée du gestionnaire<br />
et relève de programmes internationaux<br />
de lutte contre la pollution. Ces étapes<br />
sont proches de celles des plans de gestion<br />
de réserves <strong>naturel</strong>les151 . L’évaluation des<br />
mesures de gestion devra également être<br />
initiée <strong>à</strong> intervalles réguliers (10 ans étant<br />
suffisant pour les écosystèmes forestiers).<br />
La naturalité : utopie ou panacée écologique ?<br />
derniers (F-G), le gestionnaire est confronté <strong>à</strong> un dilemme : laquelle<br />
des naturalités anthropique* ou biologique faut-il privilégier ?<br />
Il n’y a pas de réponse parfaite <strong>à</strong> cette question. On ne peut<br />
évaluer comparativement (et donc classer objectivement) deux<br />
orientations aussi différentes. Lorsque de tels dilemmes apparaissent<br />
et pour éviter les choix malheureux, les gestionnaires doivent se<br />
poser certaines questions plus générales avant d’opter pour l’une ou<br />
l’autre solution 105 :<br />
• La naturalité globale du site est-elle remise en cause par l’action<br />
envisagée ?<br />
• Les connaissances techniques sont-elles suffisantes pour<br />
«manipuler» la naturalité du site ?<br />
• Quels sont les conséquences et risques engendrés par l’action du<br />
gestionnaire par rapport <strong>à</strong> ceux d’une non-action ?<br />
• L’opinion publique a t-elle une confiance suffisante dans le<br />
gestionnaire pour lui donner carte blanche ?<br />
• Le souhait de retrouver un écosystème plus proche de son<br />
fonctionnement originel (forte naturalité biologique) est-il plus<br />
important que celui de garder un milieu sans impact humain (forte<br />
naturalité anthropique*) ?<br />
• Combien de perturbations anthropiques (gestion active) sont<br />
tolérables dans un milieu <strong>à</strong> forte naturalité ?<br />
• Peut-on définir un objectif pour le degré de naturalité futur <strong>à</strong><br />
atteindre ? Etc.<br />
3.3. Naturalité et biodiversité : concepts<br />
antinomiques ou complémentaires ?<br />
Certains acteurs forestiers ont déj<strong>à</strong> intégré le concept de naturalité<br />
dans leur politique de gestion. Plusieurs obstacles limitent néanmoins<br />
la généralisation de ces initiatives :<br />
• Adoptant un concept encore peu connu, les gestionnaires peuvent<br />
se heurter <strong>à</strong> l’incompréhension de leurs interlocuteurs (public,<br />
décideurs, autres gestionnaires) qui préfèrent fonder leurs<br />
politiques de conservation sur le concept de biodiversité ;<br />
• Lorsque le gestionnaire vise <strong>à</strong> augmenter <strong>à</strong> la fois naturalité et<br />
biodiversité, certaines mesures de gestion peuvent sembler<br />
contradictoires.<br />
Surmonter le premier obstacle nécessite la formation des acteurs<br />
au concept de naturalité (un des objectifs de ce cahier technique).<br />
Choisir entre deux mesures de gestion divergentes paraît plus délicat<br />
bien que dans la plupart des cas, l’antinomie ne relève que d’une<br />
utilisation erronée ou partielle du concept de biodiversité. Revenons<br />
donc tout d’abord sur la définition de la biodiversité.<br />
La biodiversité (ou diversité biologique) n’est qu’un des concepts<br />
dont nous disposons pour évaluer qualitativement un milieu <strong>naturel</strong>.<br />
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