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Forêts à caractère naturel

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La naturalité : utopie ou panacée écologique ?<br />

Jusqu’au sommet de la terre <strong>à</strong> Rio (1992), les programmes de<br />

conservation étaient surtout axés vers les espèces rares ou<br />

menacées. A l’issue de ce sommet, «biodiversité» est devenu «LE»<br />

terme <strong>à</strong> la mode. C’est aujourd’hui le fer de lance des politiques de<br />

conservation.<br />

Biodiversité globale ou richesse spécifique locale ?<br />

Diverses méthodes ont été utilisées pour mesurer la biodiversité :<br />

richesse spécifique, diversité spécifique, taxonomique* ou<br />

fonctionnelle (niveaux trophiques*, espèces clefs, guildes*), etc. Ces<br />

méthodes ne mesurent malheureusement qu’une partie du concept<br />

de biodiversité et ne prennent donc en compte que les espèces<br />

connues (15% des organismes vivants de notre planète).<br />

L’autre facteur limitant de ces méthodes est lié aux variations<br />

spatio-temporelles de la biodiversité. Comment comparer zones<br />

biogéographiques, écosystèmes, communautés et autres<br />

assemblages sans tenir compte des échelles d’étude, des mosaïques<br />

spatiales et de leurs environnements physiques respectifs ?<br />

Comment évaluer la diversité d’une population ou d’une communauté<br />

sans prendre en compte sa dynamique ?<br />

Le rapport des Nations Unies consacré <strong>à</strong> l’évaluation de la<br />

biodiversité (1500 scientifiques) met l’accent sur ces difficultés et<br />

met en garde contre l’utilisation de méthodes inadaptées 82 . On<br />

«vend» souvent pour de la biodiversité des listes d’espèces qui ne<br />

mesurent en réalité que la diversité ou richesse spécifique. Facteur<br />

aggravant, ces listes se limitent dans la plupart des cas aux plantes <strong>à</strong><br />

fleurs et aux vertébrés. Un milieu ouvert semblera ainsi «plus riche»<br />

qu’une forêt, une coupe <strong>à</strong> blanc sera parfois «plus riche» qu’une forêt<br />

<strong>à</strong> <strong>caractère</strong> <strong>naturel</strong>. Les résultats ainsi obtenus ne reflètent pourtant<br />

que la richesse spécifique de l’habitat choisi et le choix du groupe<br />

taxonomique étudié 9 . Ils sont peu pertinents pour évaluer la<br />

biodiversité. Une gestion forestière basée sur de tels résultats<br />

s’apparenterait <strong>à</strong> du jardinage au profit de l’un ou l’autre groupe<br />

taxonomique, et ceci au mépris du fonctionnement du milieu.<br />

L’optimum caricatural d’une telle gestion, axée uniquement sur la<br />

richesse spécifique, serait le jardin zoologique ou botanique !<br />

La fragmentation (§ 4.3) nous permet également d’illustrer cette<br />

confusion entre diversité spécifique et biodiversité globale. La<br />

fragmentation, qu’elle résulte du développement urbain, agricole ou<br />

industriel, contribue <strong>à</strong> augmenter l’hétérogénéité de notre<br />

environnement et dans certains cas la richesse spécifique de certains<br />

taxons* <strong>à</strong> l’échelle locale. Malgré cela, personne ne conteste plus<br />

aujourd’hui les effets néfastes de la fragmentation sur la biodiversité<br />

globale, certains y voyant même «la plus grande menace qui pèse sur<br />

la diversité biologique forestière» 131 .<br />

Biodiversité versus naturalité<br />

Le concept de biodiversité reconnaît que la principale qualité de<br />

notre environnement <strong>naturel</strong> planétaire réside dans sa diversité (<strong>à</strong><br />

32<br />

L’idée force du concept de «biodiversité»<br />

est la conservation de la diversité biologique<br />

planétaire tant au niveau des écosystèmes<br />

(diversité écologique), que des<br />

espèces (diversité spécifique) et des individus<br />

(diversité génétique) 32 . Certains<br />

auteurs 54 parlent également de la diversité<br />

structurelle qui, en forêt, se caractérise par<br />

la taille et la forme des arbres, la mosaïque<br />

des trouées, les différentes strates, les<br />

horizons organiques du sol, les arbres<br />

morts sur pied, la nécromasse au sol, etc.<br />

Les forêts <strong>à</strong> forte naturalité ont également une forte<br />

biodiversité (Photo : Bernard Boisson)<br />

Les partisans de la naturalité, par leur politique<br />

de «laisser faire», accordent une plus<br />

grande confiance aux dynamiques et aux<br />

équilibres <strong>naturel</strong>s. Devant l’extraordinaire<br />

complexité du vivant et nos innombrables<br />

erreurs passées, ils adoptent en quelques<br />

sorte le principe de précaution en soutenant<br />

l’hypothèse selon laquelle (et sous<br />

réserve qu’il soit possible de restaurer des<br />

écosystèmes fonctionnels) la biodiversité<br />

globale sera mieux conservée par la<br />

conservation d’écosystèmes <strong>à</strong> forte naturalité<br />

et <strong>à</strong> forte fonctionnalité que par des<br />

interventions spécifiques destinées <strong>à</strong><br />

conserver ou augmenter le nombre de<br />

taxons (dont beaucoup demeurent inconnus)<br />

d’une région donnée.<br />

La naturalité : utopie ou panacée écologique ?<br />

tous les niveaux d’organisation). La naturalité quant <strong>à</strong> elle met en<br />

avant le <strong>caractère</strong> intact (non anthropisé*) de notre environnement.<br />

Ces deux perspectives sont-elles très différentes ?<br />

Pour les deux concepts, l’action de l’homme est prépondérante.<br />

C’est elle qui est responsable de la quasi-totalité des extinctions<br />

d’espèces (qui réduisent la diversité globale) et, par définition (§ 3.1),<br />

c’est elle qui altère la naturalité.<br />

Devant ce constat, les adeptes de la «naturalité» proposent de<br />

conserver ou restaurer les équilibres biologiques (meilleure<br />

fonctionnalité) en limitant ou en «réparant» (restauration) l’impact de<br />

l’Homme. Ceux de la «biodiversité» tentent de sauvegarder la<br />

diversité biologique planétaire par un éventail d’actions très large (y<br />

compris la conservation ex situ).<br />

En théorie, promouvoir la «naturalité» permet également d’atteindre<br />

les objectifs de conservation de la «biodiversité» puisque, <strong>à</strong><br />

l’exception de rares taxons* anthropophiles d’évolution récente,<br />

toutes les espèces que nous connaissons existaient déj<strong>à</strong> et avaient<br />

donc une place (niche écologique*) dans les écosystèmes de<br />

référence du début du Néolithique (il y <strong>à</strong> 5000 ans). Leur rendre<br />

aujourd’hui des habitats vierges d’interventions humaines, <strong>à</strong> forte<br />

naturalité, permettrait donc de toutes les sauvegarder. En pratique, il<br />

est pourtant impossible de retrouver une naturalité maximale partout<br />

(cela nous obligerait <strong>à</strong> retourner vivre comme des Néandertaliens !).<br />

Dans certains milieux de taille réduite et depuis longtemps perturbés<br />

par l’Homme, un tel retour est d’ailleurs impossible (certaines<br />

disparitions ou perturbations ayant des effets irréversibles). Bien<br />

qu’elle apparaisse pour certains comme la panacée écologique, la<br />

naturalité ne permettra donc pas <strong>à</strong> elle-seule de sauvegarder la<br />

biodiversité de notre planète. Augmenter la naturalité permet souvent<br />

de préserver un grand nombre d’espèces (dont certaines très rares),<br />

ce qui permet également de préserver la biodiversité, mais ce n’est<br />

pas toujours une mesure suffisante.<br />

La «biodiversité», plus cartésienne (mesurée d’après le nombre de<br />

taxons*), semble plus facile <strong>à</strong> mettre en œuvre aux yeux du public.<br />

Elle séduit également par sa modernité : on ne se soucie pas du<br />

passé, on sauvegarde ce qui subsiste aujourd’hui (moins<br />

culpabilisante que la naturalité). Plus interventionniste, la gestion de la<br />

biodiversité a le mérite de pouvoir s’appuyer sur des méthodes de<br />

conservation (gestion, restauration) bien éprouvées. Elle permet ainsi<br />

d’apporter des solutions <strong>à</strong> des problèmes auxquels la naturalité ne<br />

peut répondre (par exemple conservation d’espèces ex situ dans les<br />

zoos et jardins botaniques suite <strong>à</strong> la destruction de leur habitat). La<br />

restauration de milieux fonctionnels susceptibles d’être recolonisés<br />

<strong>naturel</strong>lement par ces espèces étant souvent très longue, ces actions<br />

permettent d’assurer «l’intérim». Malheureusement, ces mesures ne<br />

garantissent pas toujours la protection <strong>à</strong> très long terme de ces<br />

taxons*. Qu’adviendra t-il des espèces conservées ex situ si leur<br />

habitat <strong>naturel</strong> n’est pas restauré, reconquis ? La naturalité, en<br />

33<br />

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