Forêts à caractère naturel
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Étudier les forêts <strong>à</strong> <strong>caractère</strong> <strong>naturel</strong><br />
façon dynamique aux densités de leurs proies (réponses fonctionnelles<br />
et numériques «densité-dépendantes») et <strong>à</strong> tendre ainsi vers un<br />
équilibre global «forêt – herbivores – prédateurs» 14 . En leur absence, les<br />
populations d’herbivores auront tendance <strong>à</strong> croître exagérément<br />
jusqu’<strong>à</strong> atteindre ou dépasser les capacités d’accueil du milieu et <strong>à</strong><br />
engendrer des dégâts forestiers et des perturbations de la sylvigénèse.<br />
La chasse, même lorsqu’elle fait l’objet d’une gestion rigoureuse<br />
(respect des plans de chasse), ne peut se substituer totalement aux<br />
prédateurs pour maintenir ce fragile équilibre dynamique (contrairement<br />
aux prédateurs qui réagissent immédiatement aux variations<br />
d’abondance de leurs proies, la chasse est une réponse différée). Un<br />
décalage de plusieurs mois dans la régulation d’une proie par son<br />
prédateur (ou son chasseur) a même typiquement tendance <strong>à</strong><br />
déstabiliser le système 67,76 . L’affouragement, parfois préconisé pour<br />
limiter les dégâts de gibier, n’est pas non plus une solution adaptée<br />
puisqu’en maintenant des densités anormalement élevées, il ne fait<br />
que différer les dégâts qui seront alors parfois même accentués.<br />
5.4.6 Autres exemples…<br />
LES MOLLUSQUES<br />
Escargots et limaces sont de bons candidats pour étudier la<br />
continuité temporelle et spatiale des forêts <strong>à</strong> <strong>caractère</strong> <strong>naturel</strong> 21,130 . La<br />
fragmentation et la perte d’habitats, notamment forestiers, ont déj<strong>à</strong><br />
causé la disparition de nombreux mollusques : près de 40% des<br />
extinctions animales documentées depuis le XVII e siècle 20 . Du fait de<br />
leur très faible mobilité, leur étude semble même plus indiquée que<br />
celle des lichens de type Lobaria (§ 5.4.2) chez qui, bien que rare, la<br />
reproduction sexuée permet occasionnellement de coloniser de<br />
nouvelles stations éloignées. L’utilisation des mollusques comme<br />
indicateurs de naturalité est néanmoins limitée par : (1) le nombre<br />
réduit d’espèce <strong>à</strong> large répartition (beaucoup sont endémiques de<br />
petites zones géographiques), (2) l’écologie méconnue des espèces<br />
et notamment leurs préférences pour les différents micro-habitats<br />
forestiers et (3) les variations importantes de la composition et de<br />
l’abondance des communautés malacologiques selon le PH du sol,<br />
variations qui rendent les comparaisons entre sites délicates.<br />
LA BIOLOGIE MOLÉCULAIRE<br />
L’étude de l’ADN offre aujourd’hui de nouvelles perspectives en<br />
permettant notamment l’identification individuelle des organismes<br />
(particulièrement intéressant pour étudier la dynamique des<br />
populations de saproxyliques). Elle nous permet de mieux<br />
comprendre l’évolution et la dispersion des espèces, d’évaluer<br />
l’impact de la fragmentation sur le risque d’extinction de populations<br />
locales, de déterminer l’origine de certaines essences, etc. L’étude<br />
d’un champignon saproxylique* menacé (Fomitopsis rosea) a par<br />
exemple permis de démontrer l’appauvrissement génétique des<br />
populations petites et isolées 85,177 . La fragmentation est sans doute<br />
également <strong>à</strong> l’origine de la dérive génétique observée chez certaines<br />
populations isolées de coléoptères mycophages* 92,164 .<br />
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MODÉLISATION DES INTÉRACTIONS<br />
PRÉDATEURS-PROIES<br />
Comme pour le bois mort (§ 6.3), la modélisation<br />
de la dynamique des populations<br />
d’herbivores et de leurs prédateurs est très<br />
instructive pour le gestionnaire. En adaptant<br />
les modèles «prédateur-proie» traditionnels13,123<br />
, on peut par exemple estimer<br />
les «densités d’équilibre» des herbivores<br />
et de leurs prédateurs (densités vers lesquelles<br />
le système <strong>à</strong> tendance <strong>à</strong> retourner<br />
après une perturbation/fluctuation51 ). Ces<br />
densités permettent :<br />
• d’évaluer la «naturalité» des populations<br />
d’herbivores et de carnivores : plus leurs<br />
densités sont éloignées des valeurs d’équilibre<br />
(et de fluctuations <strong>naturel</strong>les), plus<br />
elles sont perturbées ;<br />
• de déterminer si ces populations sont en<br />
croissance ou en déclin ;<br />
• et en l’absence de leurs prédateurs <strong>naturel</strong>s,<br />
de déterminer les densités d’herbivores<br />
«<strong>naturel</strong>les» (en équilibre avec le<br />
milieu) que les acteurs du monde cynégétique<br />
devraient se fixer comme objectif,<br />
l’autre alternative étant de favoriser le<br />
retour des prédateurs (§ 6.3).<br />
Autres perspectives pour les gestionnaires<br />
Les lianes, clématites dans les forêts alluviales ou lierre<br />
comme ici dans la Réserve <strong>naturel</strong>le des Gorges de<br />
l’Ardèche, sont souvent détruites dans les forêts<br />
exploitées sous prétextes qu’elles «étouffent» et<br />
entraînent la mort des arbres leur servant de support<br />
(Photo : B. Boisson).<br />
Les espèces urticantes et piquantes, malaimées,<br />
sont souvent citées en exemple<br />
pour caricaturer la «forêt abandonnée».<br />
Orties et ronces sont pourtant des<br />
espèces rudérales dont la présence est<br />
avant tout liée aux activités humaines : les<br />
premières, nitrophiles, prolifèrent sur les<br />
terrains enrichis ; les secondes caractérisent<br />
les zones ou le sol <strong>à</strong> été retourné <strong>à</strong><br />
plusieurs reprises. Dans la réserve <strong>naturel</strong>le<br />
du Massif du Grand Ventron, la ronce est<br />
d’ailleurs l’une des espèces végétales qui<br />
discrimine le plus nettement les forêts<br />
exploitées des forêts <strong>à</strong> <strong>caractère</strong> <strong>naturel</strong> où<br />
elle est très rare.<br />
Dans les chapitres précédents, nous avons longuement présenté<br />
les mesures de conservation, de gestion et de suivi scientifique<br />
qu’il convient de mettre en œuvre pour assurer le maintien d’un<br />
réseau satisfaisant de forêts <strong>à</strong> <strong>caractère</strong> <strong>naturel</strong>. Ces mesures ne<br />
sont malheureusement pas suffisantes pour assurer leur<br />
conservation <strong>à</strong> long terme et ce chapitre présente quelques<br />
mesures d’accompagnement tout aussi importantes.<br />
6.1. Tuer les mythes<br />
6.1.1 La sylviculture obligatoire ?<br />
Le mythe le plus répandu et le plus néfaste pour les programmes<br />
de protection stricte des forêts est celui qui consiste <strong>à</strong> croire que la<br />
forêt ne pourrait se maintenir et se développer sans l’intervention de<br />
l’homme. Il est vrai que certaines plantations d’essences exogènes <strong>à</strong><br />
la station (épicéas en plaine, chênes américains…) seraient vite<br />
remplacées par les essences indigènes plus compétitives si le<br />
sylviculteur cessait de les entretenir et de les régénérer. Les forêts <strong>à</strong><br />
<strong>caractère</strong> <strong>naturel</strong> au contraire se reconstituent et se maintiennent<br />
parfaitement sans intervention humaine et laisser entendre que la<br />
forêt serait remplacée par un «capharnaüm de broussailles» si<br />
l’homme cessait de l’entretenir n’est que pure ineptie. La forêt<br />
existait bien avant que l’homme ne la domestique et elle lui survivra<br />
sans aucun doute.<br />
6.1.2 Les insectes ravageurs<br />
L’agriculteur et le sylviculteur ont toujours dû lutter contre les<br />
insectes ravageurs dont la prolifération rapide peut ruiner les efforts.<br />
Le bois mort <strong>à</strong> longtemps été éliminé sous prétexte qu’il<br />
hébergeait cette faune. Notre meilleure connaissance de l’écologie de<br />
ces ravageurs nous permet aujourd’hui d’avoir une approche plus<br />
mesurée.<br />
Parmi les milliers d’espèces forestières (plus de 10.000 recensées<br />
en forêt de Fontainebleau), moins d’une cinquantaine sont des<br />
insectes «ravageurs». La plupart, comme les célèbres scolytes, ne<br />
sont pourtant que des ravageurs secondaires. Ils colonisent<br />
habituellement les troncs d’arbres mourant où fraîchement morts et<br />
non les troncs d’arbres sains. Le problème lié aux scolytes est qu’en<br />
cas de forte pullulation (beaucoup d’arbres morts ou mourant<br />
simultanément et permettant <strong>à</strong> de nombreux scolytes de se<br />
reproduire), la partie des scolytes qui va s’attaquer <strong>à</strong> des arbres sains<br />
(se comportant dès lors comme des ravageurs primaires) aura un<br />
impact suffisant pour engendrer la mort d’arbres sains. La tempête<br />
de l’hiver 1999, en mettant <strong>à</strong> terre plusieurs dizaines de millions de<br />
mètre cubes de bois, a ainsi engendré des conditions favorables <strong>à</strong><br />
ces pullulations et on estime <strong>à</strong> un million de mètres cubes le volume<br />
de bois de résineux altéré par ces attaques en 2001.<br />
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