14.07.2013 Views

MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil

MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil

MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

dès qu'il le voudrait. C’est aussi que cette idée <strong>de</strong> la revoir revenait parée pour lui d'une nouveauté, d'une séduction,<br />

douée d'une virulence que l'habitu<strong>de</strong> avait émoussées, mais qui s'étaient retrempées dans cette privation non <strong>de</strong> trois<br />

jours mais <strong>de</strong> quinze (car la durée d'un renoncement doit se calculer, par anticipation, sur le terme assigné), et <strong>de</strong> ce<br />

qui jusque-là eût été un plaisir attendu qu'on sacrifie aisément, avait fait un bonheur inespéré contre lequel on est sans<br />

force. C'est enfin qu'elle y revenait embellie par l'ignorance où était <strong>Swann</strong> <strong>de</strong> ce qu'O<strong>de</strong>tte avait pu penser, faire<br />

peut-être en voyant qu'il ne lui avait pas donné signe <strong>de</strong> vie, si bien que ce qu'il allait trouver c'était la révélation<br />

passionnante d'une O<strong>de</strong>tte presque inconnue.<br />

Mais elle, <strong>de</strong> même qu'elle avait cru que son refus d'argent n'était qu'une feinte, ne voyait qu'un prétexte dans le<br />

renseignement que <strong>Swann</strong> venait lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r sur la -voiture à repeindre ou la valeur à acheter. Car elle ne<br />

reconstituait pas les diverses phases <strong>de</strong> ces crises qu'il traversait et, dans l'idée qu'elle s'en faisait, elle omettait d'en<br />

comprendre le mécanisme, ne croyant qu'à ce qu'elle connaissait d'avance, à la nécessaire, à l'infaillible et toujours<br />

i<strong>de</strong>ntique terminaison. Idée incomplète - d'autant plus profon<strong>de</strong> peut-être - si on la jugeait du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> <strong>Swann</strong><br />

qui eût sans doute trouvé qu'il était incompris d'O<strong>de</strong>tte. comme un morphinomane ou un tuberculeux, persuadés qu'ils<br />

ont été arrêtés, l'un par un événement extérieur au moment où il allait se délivrer <strong>de</strong> son habitu<strong>de</strong> invétérée, l'autre par<br />

une indisposition acci<strong>de</strong>ntelle au moment où il allait être enfin rétabli, se sentent incompris du mé<strong>de</strong>cin qui n'attache<br />

pas la même importance qu'eux à ces prétendues contingences, simples déguisements, selon lui, revêtus. pour<br />

re<strong>de</strong>venir sensibles à ses mala<strong>de</strong>s, par le vice et l'état morbi<strong>de</strong> qui, en réalité, n'ont pas cessé <strong>de</strong> peser incurablement<br />

sur eux tandis qu'ils berçaient <strong>de</strong>s rêves <strong>de</strong> sagesse ou <strong>de</strong> guérison. Et <strong>de</strong> fait, l'<strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong> en était arrivé à ce<br />

<strong>de</strong>gré où le mé<strong>de</strong>cin et, dans certaines affections, le chirurgien le plus audacieux, se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt si priver un mala<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> son vice ou lui ôter son mal, est encore raisonnable ou même possible.<br />

Certes l'étendue <strong>de</strong> cet <strong>amour</strong>, <strong>Swann</strong> n'en avait pas une conscience directe. Quand il cherchait à le mesurer, il lui<br />

arrivait parfois qu'il semblât diminué, presque réduit à rien ; par exemple, le peu <strong>de</strong> goût, presque le dégoût que lui<br />

avaient inspiré, avant qu'il aimât O<strong>de</strong>tte, ses traits expressifs, son teint sans fraîcheur, lui revenait à certains jours. "<br />

Vraiment il y a progrès sensible, se disait-il le len<strong>de</strong>main ; à voir exactement les choses, je n'avais presque aucun<br />

plaisir hier à être dans son lit ; c'est curieux, je la trouvais même lai<strong>de</strong>. " Et certes, il était sincère, niais son <strong>amour</strong><br />

s'étendait bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s régions du désir physique. La personne même d'O<strong>de</strong>tte n'y tenait plus -une gran<strong>de</strong> place.<br />

Marcel <strong>PROUST</strong> “<strong>Un</strong> <strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>”<br />

101<br />

WWW.MIRABELLI.IT

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!