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MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil

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on n'en a pas beaucoup. Je vous dirai dit reste que si vous rie le savez pas, vous êtes le seul. Mme Verdurin me le<br />

disait encore le <strong>de</strong>rnier jour (vous savez les veilles <strong>de</strong> départ on cause mieux) : " je ne dis pas qu'O<strong>de</strong>tte ne " nous<br />

aime pas, mais tout ce que nous lui disons ne pèserait pas lourd auprès <strong>de</strong> ce que lui dirait M. <strong>Swann</strong>. " Oh ! mon<br />

Dieu, voilà que le conducteur m'arrête, en bavardant avec vous j'allais laisser passer la rue Bonaparte... me rendriez-<br />

vous le service <strong>de</strong> me dire si mon aigrette est droite ? "<br />

Et Mme Cottard sortit <strong>de</strong> son manchon pour la tendre à <strong>Swann</strong> sa main gantée <strong>de</strong> blanc d'où s'échappa, avec une<br />

correspondance, une vision <strong>de</strong> haute vie qui remplit l'omnibus, mêlée à l'o<strong>de</strong>ur du teinturier. Et <strong>Swann</strong> se sentit<br />

débor<strong>de</strong>r <strong>de</strong> tendresse pour elle, autant que pour Mme Verdurin (et presque autant que pour O<strong>de</strong>tte, car le sentiment<br />

qu'il éprouvait pour cette <strong>de</strong>rnière n'étant plus mêlé <strong>de</strong> douleur, n'était plus guère <strong>de</strong> l'<strong>amour</strong>), tandis que <strong>de</strong> la plate-<br />

forme il la suivait <strong>de</strong> ses yeux attendris, qui enfilait courageusement la rue Bonaparte, l'aigrette haute, d'une main<br />

relevant sa jupe, <strong>de</strong> l'autre tenant son en-tout-cas et son porte-cartes dont elle laissait voir le chiffre, laissant baller<br />

<strong>de</strong>vant elle son manchon.<br />

Pour faire concurrence aux sentiments maladifs que <strong>Swann</strong> avait pour O<strong>de</strong>tte, Mme Cottard, meilleur thérapeute<br />

que n'eût été son mari, avait greffé à côté d'eux d'autres sentiments, normaux ceux-là, <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong>, d'amitié, <strong>de</strong>s<br />

sentiments qui dans l'esprit <strong>de</strong> <strong>Swann</strong> rendraient O<strong>de</strong>tte plus humaine (plus semblable -aux autres femmes, parce que<br />

d'autres femmes aussi pouvaient les lui inspirer), hâteraient sa transformation définitive en cette O<strong>de</strong>tte aimée<br />

d'affection paisible, qui l'avait ramené un soir aptes une fête chez le peintre boire Lin verre d'orangea<strong>de</strong> avec<br />

Forcheville et près <strong>de</strong> qui <strong>Swann</strong> avait entrevu qu'il pourrait vivre heureux.<br />

Jadis ayant souvent pensé avec terreur qu’un jour il cesserait d'être épris d'O<strong>de</strong>tte, il s'était promis d'être vigilant,<br />

et dès qu'il sentirait que son <strong>amour</strong> commencerait à le quitter, <strong>de</strong> s'accrocher à lui, <strong>de</strong> le retenir. Mais voici qu'à<br />

l'affaiblissement <strong>de</strong> son <strong>amour</strong> correspondait simultanément un affaiblissement du désir <strong>de</strong> rester <strong>amour</strong>eux. Car on<br />

ne peut pas changer, c'est-à-dire <strong>de</strong>venir une autre personne, tout en continuant à obéir aux sentiments <strong>de</strong> celle qu'on<br />

n'est plus. Parfois le nom, aperçu dans un journal, d'un <strong>de</strong>s hommes qu'il supposait avoir pu être les amants d'O<strong>de</strong>tte,<br />

lui redonnait <strong>de</strong> la jalousie. Mais elle était bien légère et comme elle lui prouvait qu'il n'était pas encore<br />

complètement sorti <strong>de</strong> ce temps où il avait tant souffert - mais aussi où il avait connu une manière <strong>de</strong> sentir si<br />

voluptueuse - et que le, , hasards <strong>de</strong> la route lui permettraient peut-être d'en apercevoir encore furtivement et <strong>de</strong> loin<br />

Marcel <strong>PROUST</strong> “<strong>Un</strong> <strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>”<br />

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