MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil
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<strong>Swann</strong> était constamment dominé et dirigé par le sentiment inavoué qu'il ne lui était peut-être pas moins cher, mais<br />
moins agréable à voir que quiconque, que le plus ennuyeux fidèle <strong>de</strong>s Verdurin, quand il se reportait à un mon<strong>de</strong> pour<br />
qui il était l'homme exquis par excellence, qu'on faisait tout pour attirer, qu'on se désolait <strong>de</strong> ne pas voir, il<br />
recommençait à croire à l'existence d'une vie plus heureuse, presque à en éprouver l'appétit, comme il arrive à un<br />
mala<strong>de</strong> alité <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s mois, à la diète, et qui aperçoit dans un journal le menu d'un déjeuner officiel ou l'annonce<br />
d'une croisière en Sicile.<br />
S'il était obligé <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s excuses aux gens du mon<strong>de</strong> pour ne pas leur faire <strong>de</strong> visites, c'était <strong>de</strong> lui en faire<br />
qu'il cherchait à s'excuser auprès d'O<strong>de</strong>tte. Encore les payait-il (se <strong>de</strong>mandant à la fin du mois, pour peu qu'il eût un<br />
peu abusé <strong>de</strong> sa patience et fût allé souvent la voir, si c'était assez <strong>de</strong> lui envoyer quatre mille francs), et pour chacune<br />
trouvait un prétexte, un présent à lui apporter, un renseignement dont elle avait besoin, M. <strong>de</strong> Charltis qu'il avait<br />
rencontré allant chez elle etqui avait exigé qu'il l'accompagnât. Et à défaut d'aucun, il priait M. <strong>de</strong> Charlus <strong>de</strong> courir<br />
chez elle, <strong>de</strong> lui dire comme spontanément, au cours <strong>de</strong> la conversation, qu'il se rappelait avoir à parler à <strong>Swann</strong>,<br />
qu'elle voulût bien lui faire <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> passer tout <strong>de</strong> suite chez elle ; mais le plus souvent <strong>Swann</strong> attendait en vain<br />
et M. <strong>de</strong> Charlus lui disait le soir que son moyen n'avait pas réussi. De sorte que si elle faisait maintenant <strong>de</strong><br />
fréquentes absences, même à Paris, quand elle y restait, elle le voyait peu, et elle qui, quand elle l'aimait, lui disait : "<br />
je suis toujours libre " et " Qu'est-ce que l'opinion <strong>de</strong>s autres peut me faire ? ", maintenant, chaque fois qu'il voulait la<br />
voir, elle invoquait les convenances ou prétextait <strong>de</strong>s occupations. Quand il parlait d'aller à une fête <strong>de</strong> charité, à un<br />
vernissage, à une première, où elle serait, elle lui disait qu'il voulait afficher leur liaison, qu'il la traitait comme une<br />
fille. C'est au point que pour tâcher <strong>de</strong> n'être pas partout privé <strong>de</strong> la rencontrer, <strong>Swann</strong> qui savait qu'elle connaissait et<br />
affectionnait beaucoup mon grand-oncle Adolphe dont il avait été. lui-même l'ami, alla le voir un jour dans son petit<br />
appartement <strong>de</strong> la rue <strong>de</strong> Bellechasse afin <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r d'user <strong>de</strong> son influence sur O<strong>de</strong>tte. Comme elle prenait<br />
toujours, quand elle parlait à <strong>Swann</strong> <strong>de</strong> mon oncle, <strong>de</strong>s airs poétiques, disant : " Ah ! lui, ce n'est pas comme toi, c'est<br />
une si belle chose, si gran<strong>de</strong>, si jolie, que son amitié pour moi ! Ce n'est pas lui qui me considérerait assez peu pour<br />
vouloir se montrer avec moi dans tous les lieux publics ", <strong>Swann</strong> fut embarrassé et ne savait pas à quel ton il <strong>de</strong>vait se<br />
hausser pour parler d'elle à mon oncle. Il posa d'abord l'excellence à priori d'O<strong>de</strong>tte, l'axiome <strong>de</strong> sa supra-humanité<br />
séraphique, la révélation <strong>de</strong> ses vertus indémontrables et dont la notion ne pouvait dériver <strong>de</strong> l'expérience. " je veux<br />
Marcel <strong>PROUST</strong> “<strong>Un</strong> <strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>”<br />
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