MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil
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quand il le voulait, qui pour tous les plaisirs nous diminue ou même nous empêche d'apercevoir aucunement leur<br />
gran<strong>de</strong>ur.<br />
" As-tu vu la tête qu'il a fait quand il s'est aperçu qu'elle n'était pas là ? dit M. Verdurin à sa femme, je crois qu'on<br />
peut dire qu'il est pincé !<br />
- La tête qu'il a fait ? <strong>de</strong>manda avec violence le docteur Cottard, qui, étant allé un instant voir un mala<strong>de</strong>, revenait<br />
chercher sa femme et ne savait pas <strong>de</strong> qui on parlait.<br />
- Comment, vous n'avez pas rencontré <strong>de</strong>vant la porte le plus beau <strong>de</strong>s <strong>Swann</strong>...<br />
- Non. M. <strong>Swann</strong> est venu ?<br />
- Oh! un instant seulement. Nous avons eu un <strong>Swann</strong> très agité, très nerveux. Vous comprenez, O<strong>de</strong>tte était partie.<br />
- Vous voulez dire qu'elle est du <strong>de</strong>rnier bien avec lui, qu'elle lui a fait voir l'heure du berger, dit le docteur,<br />
expérimentant avec pru<strong>de</strong>nce le sens <strong>de</strong> ces expressions.<br />
-Mais non, il n'y a absolument rien, et entre nous, je trouve qu'elle a bien tort et qu'elle se conduit comme une<br />
fameuse cruche, qu'elle est du reste.<br />
- Ta, ta, ta, dit M. Verdurin, qu'est-ce que tu en sais qu'il n'y a rien ! nous n'avons pas été y voir, n'est-ce pas ?<br />
- A moi, elle me l'aurait dit, répliqua fièrement Mme Verdurin. Je vous dis qu'elle me raconte toutes ses petites<br />
affaires ! Comme elle n'a plus personne en ce moment, je lui ai dit qu'elle <strong>de</strong>vrait coucher avec lui. Elle prétend<br />
qu'elle ne peut pas, qu'elle a bien eu un fort béguin pour lui, mais qu'il est timi<strong>de</strong> avec elle, que cela l'intimi<strong>de</strong> à son<br />
tour, et puis qu'elle ne l'aime pas <strong>de</strong> cette manière-là, que c'est un être idéal, qu'elle a peur <strong>de</strong> déflorer le sentiment<br />
qu'elle a pour lui, est-ce que je sais, moi ? Ce serait pourtant absolument ce qu'il lui faut.<br />
- Tu me permettras <strong>de</strong> ne pas être <strong>de</strong> ton avis, dit<br />
M.Verdurin, il ne me revient qu'à <strong>de</strong>mi ce monsieur ; je le trouve poseur. " Mme Verdurin s'immobilisa, prit une<br />
expression inerte comme si elle était <strong>de</strong>venue une statue, fiction qui lui permit d'être censée ne pas avoir entendu ce<br />
mot insupportable <strong>de</strong> poseur qui avait l'air d'impliquer qu'on pouvait " poser " avec eux, donc qu'on était " plus qu'eux<br />
".<br />
" Enfin, s'il n'y a rien, je ne pense pas que ce soit que ce monsieur la croit vertueuse, dit ironiquement M.<br />
Verdurin. Et après tout, on ne peut rien dire, puisqu'il a l'air <strong>de</strong> la croire intelligente. Je ne sais si tu as entendu ce qu'il<br />
Marcel <strong>PROUST</strong> “<strong>Un</strong> <strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>”<br />
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