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MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil

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avie <strong>de</strong> faire une commission pour lui, lui avait écrit, en lui rendant compte qu'elle n'avait pas pris tous les fruits au<br />

même endroit, mais les raisins chez Crapote dont c'est la spécialité, les fraises chez Jauret, les poires chez Chevet, où<br />

elles étaient plus belles etc... " chaque fruit visité et examiné un à un par moi ". Et en effet, par les remerciements <strong>de</strong><br />

la princesse, il avait pu juger du parfum <strong>de</strong>s fraises et du moelleux <strong>de</strong>s poires. Mais surtout le " chaque fruit visité et<br />

examiné un à un par moi " avait été un apaisement à sa souffrance, en emmenant sa conscience dans une région où il<br />

se rendait rarement, bien qu'elle lui appartînt comme héritier d'une famille <strong>de</strong> riche et bonne bourgeoisie où s'étaient<br />

conservés héréditairement, tout prêts à être mis à son service dès qu'il le souhaitait, la connaissance <strong>de</strong>s " bonnes<br />

adresses " et l'art <strong>de</strong> savoir bien faire une comman<strong>de</strong>.<br />

Certes, il avait trop longtemps oublié qu'il était le " fils <strong>Swann</strong> " pour ne pas ressentir, quand il le re<strong>de</strong>venait un<br />

moment, un plaisir plus vif que ceux qu'il eût pu éprouver le reste du temps et sur lesquels il était blasé ; et si<br />

l'amabilité <strong>de</strong>s bourgeois, pour lesquels il restait surtout cela, était moins vive que celle <strong>de</strong> l'aristocratie (mais plus<br />

flatteuse d'ailleurs, car chez eux du moins elle ne se sépare jamais <strong>de</strong> la considération), une lettre d'altesse, quelques<br />

divertissements princiers qu'elle lui proposât, ne pouvait lui être aussi agréable que celle qui lui <strong>de</strong>mandait d'être<br />

témoin, ou seulement d'assister à un mariage dans la famille <strong>de</strong> vieux amis <strong>de</strong> ses parents, dont les uns avaient<br />

continué à le voir - comme mon grand-père qui, l'année précé<strong>de</strong>nte, l'avait invité au mariage <strong>de</strong> ma mère - et dont<br />

certains autres le connaissaient personnellement à peine, mais se croyaient <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> politesse envers le fils,<br />

envers le digne successeur <strong>de</strong> feu M. <strong>Swann</strong>.<br />

Mais, par les intimités déjà anciennes qu'il avait parmi eux, les gens du mon<strong>de</strong>, dans une certaine mesure, faisaient<br />

aussi partie <strong>de</strong> sa maison, <strong>de</strong> son domestique et <strong>de</strong> sa famille. Il se sentait, à considérer ses brillantes amitiés, le même<br />

appui hors <strong>de</strong> lui-même, le même confort, qu'à regar<strong>de</strong>r les belles terres, la belle argenterie, le beau linge <strong>de</strong> table, qui<br />

lui venaient <strong>de</strong>s siens. Et la pensée que s'il tombait chez lui frappé d'une attaque, ce serait tout naturellement le duc <strong>de</strong><br />

Chartres, le prince <strong>de</strong> Reuss, le duc <strong>de</strong> Luxembourg et le baron <strong>de</strong> Charlus, que son valet <strong>de</strong> chambre courrait<br />

chercher, lui apportait la même consolation qu'à notre vieille Françoise <strong>de</strong> savoir qu'elle serait ensevelie dans <strong>de</strong>s<br />

draps fins à elle, marqués, non reprisés (ou si finement que cela ne donnait qu'une plus haute idée du soin <strong>de</strong><br />

l'ouvrière), linceul <strong>de</strong> l'image fréquente duquel elle tirait une certaine satisfaction sinon <strong>de</strong> bien-être, au moins<br />

d'<strong>amour</strong>-propre. Mais surtout, comme dans toutes celles <strong>de</strong> ses actions et <strong>de</strong> ses pensées qui se rapportaient à O<strong>de</strong>tte,<br />

Marcel <strong>PROUST</strong> “<strong>Un</strong> <strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>”<br />

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