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MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil

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laborieux, comme les cellules d'un organe blessé qui se mettent aussitôt en mesure <strong>de</strong> refaire les tissus lésés, comme<br />

les muscles d'un membre paralysé qui ten<strong>de</strong>nt à reprendre leurs mouvements. Ces plus anciens, plus autochtones<br />

habitants <strong>de</strong> son âme, employèrent un instant toutes les forces <strong>de</strong> <strong>Swann</strong> à ce travail obscurément réparateur qui<br />

donne l'illusion du repos à un convalescent, à un opéré. Cette fois-ci, ce fut moins comme d’habitu<strong>de</strong> dans le cerveau<br />

<strong>de</strong> <strong>Swann</strong> que se produisit cette détente par épuisement, ce fut plutôt dans son coeur. Mais toutes les choses <strong>de</strong> la vie<br />

qui ont existé une fois ten<strong>de</strong>nt à se recréer, et comme un animal expirant qu'agite <strong>de</strong> nouveau le sursaut d'une<br />

convulsion qui semblait finie, sui le coeur, un instant épargné, <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>, d'elle-même la même souffrance vint<br />

retracer la même croix. Il se rappela ces soirs <strong>de</strong> clair <strong>de</strong> lune, où allongé dans sa victoria qui le menait rue La<br />

Pérouse, il cultivait voluptueusement en lui les émotions <strong>de</strong> l'homme <strong>amour</strong>eux, sans savoir le fruit empoisonné<br />

qu'elles produiraient nécessairement. Mais toutes ces pensées ne durèrent que l'espace d'une secon<strong>de</strong>, le temps qu'il<br />

portât la main à son coeur, reprît sa respiration et parvînt à sourire pour dissimuler sa torture. Déjà il recommençait à<br />

poser ses questions. Car sa jalousie qui avait pris une peine qu'un ennemi ne se serait pas donnée pour arriver à lui<br />

faire assener ce coup, à lui faire faire la connaissance <strong>de</strong> la douleur la plus cruelle qu'il eût encore jamais connue, sa<br />

jalousie ne trouvait pas qu'il eût assez souffert et cherchait à lui faire recevoir une blessure plus profon<strong>de</strong> encore.<br />

Telle, comme une divinité méchante, sa jalousie inspirait <strong>Swann</strong> et le poussait à sa perte. Ce ne fut pas sa faute, mais<br />

celle d'O<strong>de</strong>tte seulement si d'abord son supplice ne s'aggrava pas.<br />

" Ma chérie, lui dit-il, c'est fini, était-ce avec une personne que je connais ?<br />

- Mais non je te jure, d'ailleurs je crois que j'ai exagéré, que je n'ai pas été jusque-là. "<br />

Il sourit et reprit :<br />

" Que veux-tu ? cela ne fait rien, mais c'est -alheureux que tu ne puisses pas me dire le nom. De pouvoir me<br />

représenter la personne, cela m'empêcherait <strong>de</strong> plus jamais y penser. Je le dis pour toi parce que je ne t'ennuierais<br />

plus. C'est si calmant <strong>de</strong> se représenter les choses ! Ce qui est affreux, c'est ce qu'on ne peut pas imaginer. Mais tu as<br />

déjà été si gentille, je ne veux pas te fatiguer. Je te remercie <strong>de</strong> tout mon coeur <strong>de</strong> tout le bien que tu m'as fait. C'est<br />

fini. Seulement ce mot : "Il y a combien" <strong>de</strong> temps ? "<br />

Marcel <strong>PROUST</strong> “<strong>Un</strong> <strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>”<br />

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