MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil
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- Mais Mme Verdurin m'a <strong>de</strong>mandé...<br />
- Voyons, vous pouvez bien revenir seul, nous vous l'avons laissée assez <strong>de</strong> fois, dit Mme Verdurin.<br />
- Mais c'est que j'avais une chose importante à dire à Madame.<br />
- Eh bien, vous la lui écrirez !...<br />
- Adieu ", lui dit O<strong>de</strong>tte en lui tendant la main.<br />
Il essaya <strong>de</strong> sourire, mais il avait l'air atterré.<br />
" As-tu vu les façons que <strong>Swann</strong> se permet maintenant avec nous ? dit Mme Verdurin à son mari quand ils furent<br />
rentrés. J'ai cru qu'il allait me manger, parce que nous ramenions O<strong>de</strong>tte. C'est d'une inconvenance, vraiment ! Alors,<br />
qu'il dise tout <strong>de</strong> suite que nous tenons une maison <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous ! je ne comprends pas qu'O<strong>de</strong>tte supporte <strong>de</strong>s<br />
manières pareilles. Il a absolument l'air <strong>de</strong> dire : vous m'appartenez. Je dirai ma manière <strong>de</strong> penser à O<strong>de</strong>tte, j'espère<br />
qu'elle comprendra. "<br />
Et elle ajouta encore un instant après, avec colère " Non, mais voyez-vous cette sale bête! employant sans s'en<br />
rendre compte et peut-être en obéissant au même besoin obscur <strong>de</strong> se justifier - comme Françoise à Combray quand<br />
le poulet ne voulait pas mourir - les mots qu'arrachent les <strong>de</strong>rniers sursauts d'un animal inoffensif qui agonise au<br />
paysan qui est en train <strong>de</strong> l'écraser. " Et quand la voiture <strong>de</strong> Mme Verdurin fut partie et que celle <strong>de</strong> <strong>Swann</strong> s'avança,<br />
son cocher le regardant lui <strong>de</strong>manda s'il n'était pas mala<strong>de</strong> ou s'il n'était pas arrivé <strong>de</strong> malheur.<br />
<strong>Swann</strong> le renvoya, il voulait marcher et ce fut à pied, par le Bois, qu'il rentra. il parlait seul, à haute voix, et sur le<br />
même ton un peu factice qu'il avait pris jusqu'ici quand il détaillait les charmes du petit noyau et exaltait la<br />
magnanimité <strong>de</strong>s Verdurin. Mais <strong>de</strong> même que les propos, les sourires, les baisers d'O<strong>de</strong>tte lui <strong>de</strong>venaient aussi<br />
odieux qu'il les avait trouvés doux, s'ils étaient adressés à d'autres que lui, <strong>de</strong> même, le salon <strong>de</strong>s Verdurin, qui tout à<br />
l'heure encore lui semblait amusant, respirant un goût vrai pour l'art et même une sorte <strong>de</strong> noblesse morale,<br />
maintenant que c'était un autre que lui qu’O<strong>de</strong>tte allait y rencontrer, y aimer librement, lui exhibait ses ridicules, sa<br />
sottise, son ignominie.<br />
Il se représentait avec dégoût la soirée du len<strong>de</strong>main à Chatou. " D'abord cette idée d'aller à Chatou ! Comme <strong>de</strong>s<br />
merciers qui viennent <strong>de</strong> fermer leur boutique ! Vraiment ces gens sont sublimes <strong>de</strong> bourgeoisisme, ils ne doivent pas<br />
exister réellement, ils doivent sortir du théâtre <strong>de</strong> Labiche ! "<br />
Marcel <strong>PROUST</strong> “<strong>Un</strong> <strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>”<br />
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