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MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil

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Cottard n'étaient pas drôles. enfin et bien que jamais, il ne se départît <strong>de</strong> son amabilité et ne se révoltât contre les<br />

dogmes, une impossibilité <strong>de</strong> les lui imposer, <strong>de</strong> l'y convertir entièrement, comme ils n'en avaient jamais rencontré<br />

une pareille chez personne. Ils lui auraient pardonné <strong>de</strong> fréquenter <strong>de</strong>s ennuyeux (auxquels d'ailleurs, dans le fond <strong>de</strong><br />

son coeur, il préférait mille fois les Verdurin et tout le petit noyau) s'il avait consenti, pour le bon exemple, à les<br />

renier en présence <strong>de</strong>s fidèles. Mais c'est une abjuration qu'ils comprirent qu'on ne pourrait pas lui arracher.<br />

Quelle différence avec un " nouveau " qu'O<strong>de</strong>tte leur avait <strong>de</strong>mandé d'inviter, quoiqu’elle ne l'eût rencontré que<br />

peu <strong>de</strong> fois, et sur lequel ils fondaient beaucoup d'espoirs, le comte <strong>de</strong> Forcheville ! (Il se trouva qu'il était justement<br />

le beau-frère <strong>de</strong> Saniette, ce qui remplit d'étonnement les fidèles : le vieil archiviste avait <strong>de</strong>s manières si humbles<br />

qu'ils, l'avaient toujours cru d'un rang social inférieur au leur et ne s'attendaient pas à apprendre qu'il appartenait à un<br />

mon<strong>de</strong> riche et relativement aristocratique.) Sans doute Forcheville était grossièrement snob, alors que <strong>Swann</strong> ne<br />

l'était pas ; sans doute il était bien loin <strong>de</strong> placer, comme lui, le milieu <strong>de</strong>s Verdurin au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tous les autres. Mais<br />

il n'avait pas cette délicatesse <strong>de</strong> nature qui empêchait <strong>Swann</strong> <strong>de</strong> s'associer aux critiques trop manifestement fausses<br />

que dirigeait Mme Verdurin contre <strong>de</strong>s gens qu'il connaissait. Quant aux tira<strong>de</strong>s prétentieuses et vulgaires que le<br />

peintre lançait à certains jours, aux plaisanteries <strong>de</strong> commis voyageur que risquait Cottard et auxquelles <strong>Swann</strong>, qui<br />

les aimait l'un et l'autre, trouvait facilement <strong>de</strong>s excuses mais n'avait pas le courage et l'hypocrisie d'applaudir,<br />

Forcheville était au contraire d'un niveau intellectuel qui lui permettait d'être abasourdi, émerveillé par les unes, sans<br />

d'ailleurs les comprendre, et <strong>de</strong> se délecter aux autres. Et justement le premier dîner chez les Verdurin auquel assista<br />

Forcheville mit en lumière toutes ces différences, fit ressortir ses qualités et précipita la disgrâce <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>.<br />

Il y avait à ce dîner, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s habitués, un professeur <strong>de</strong> la Sorbonne, Brichot, qui avait rencontré M. et Mme<br />

Verdurin aux eaux et, si ses fonctions universitaires et ses travaux d'érudition n'avaient pas rendu très rares ses<br />

moments <strong>de</strong> liberté, serait volontiers venu souvent chez eux. Car il avait cette curiosité, cette superstition <strong>de</strong> la vie,<br />

qui unie à un certain scepticisme relatif à l'objet <strong>de</strong> leurs étu<strong>de</strong>s, donne dans n'importe quelle profession, à certains<br />

hommes intelligents, mé<strong>de</strong>cins qui ne croient pas à la mé<strong>de</strong>cine, professeurs <strong>de</strong> lycée qui ne croient pas au thème<br />

latin, la réputation d'esprits larges, brillants, et même supérieurs. Il affectait, chez Mme Verdurin, <strong>de</strong> chercher ses<br />

comparaisons dans ce qu'il y avait <strong>de</strong> plus actuel quand il parlait <strong>de</strong> philosophie et d'histoire, d'abord parce qu'il<br />

croyait qu'elles ne sont qu'une préparation à la vie et qu'il s'imaginait trouver en action dans le petit clan ce qu'il<br />

Marcel <strong>PROUST</strong> “<strong>Un</strong> <strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>”<br />

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