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MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil

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parler avec vous. Vous, vous savez quelle femme au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toutes les femmes, quel être adorable, quel ange est<br />

O<strong>de</strong>tte. Mais vous savez ce que c'est que la vie <strong>de</strong> Paris. Tout le mon<strong>de</strong> ne connaît pas O<strong>de</strong>tte sous le jour où nous la<br />

connaissons vous et moi. Alors il y a <strong>de</strong>s gens qui trouvent que je joue un rôle un peu ridicule ; elle ne peut même pas<br />

admettre que je la rencontre <strong>de</strong>hors, au théâtre. Vous, en qui elle a tant <strong>de</strong> confiance, ne pourriez-vous lui dire<br />

quelques mots pour moi, lui assurer qu'elle s'exagère le tort qu'un salut <strong>de</strong> moi lui cause. "<br />

Mon oncle conseilla à <strong>Swann</strong> <strong>de</strong> rester un peu sans voir O<strong>de</strong>tte qui ne l'en aimerait que plus, et à O<strong>de</strong>tte <strong>de</strong> laisser<br />

<strong>Swann</strong> la retrouver partout où cela lui plairait. Quelques jours après, O<strong>de</strong>tte disait à <strong>Swann</strong> qu'elle venait d'avoir une<br />

déception en voyant que mon oncle était pareil à tous les hommes : il venait d'essayer <strong>de</strong> la prendre <strong>de</strong> force. Elle<br />

calma <strong>Swann</strong> qui au premier moment voulait aller provoquer mon oncle, mais il refusa <strong>de</strong> lui serrer la main quand il<br />

le rencontra. Il regretta d'autant plus cette brouille avec mon oncle Adolphe qu'il avait espéré, s'il l'avait revu<br />

quelquefois et avait pu causer en toute confiance avec lui, tâcher <strong>de</strong> tirer au clair certains bruits relatifs à la vie<br />

qu'O<strong>de</strong>tte avait menée autrefois à Nice. Or mon oncle Adolphe y passait l'hiver. Et <strong>Swann</strong> pensait que c'était même<br />

peut-être là qu'il avait connu O<strong>de</strong>tte. Le peu qui avait échappé à quelqu'un <strong>de</strong>vant lui, relativement à un homme qui<br />

aurait été l'amant d'O<strong>de</strong>tte, avait bouleversé <strong>Swann</strong>. Mais les choses qu'il aurait, avant <strong>de</strong> les connaître, trouvé le plus<br />

affreux d'apprendre et le plus impossible <strong>de</strong> croire, une fois qu'il les savait, elles étaient incorporées à tout jamais à sa<br />

tristesse, il les admettait, il n'aurait plus pu comprendre qu'elles n'eussent pas été. Seulement chacune opérait sur<br />

l'idée qu'il se faisait <strong>de</strong> sa maîtresse une retouche ineffaçable. il. crut même comprendre, une fois, que cette légèreté<br />

<strong>de</strong>s moeurs d'O<strong>de</strong>tte qu'il n'eût pas soupçonnée, était assez connue, et qu'à Ba<strong>de</strong> et à Nice, quand elle y passait jadis<br />

plusieurs mois, elle avait eu une sorte <strong>de</strong> notoriété galante. Il chercha, pour les interroger, à se rapprocher <strong>de</strong> certains<br />

viveurs ; mais ceux-ci savaient qu'il connaissait O<strong>de</strong>tte ; et puis il avait peur <strong>de</strong> les faire penser <strong>de</strong> nouveau à elle, <strong>de</strong><br />

les mettre sur ses traces. Mais lui à qui jusque-là rien n'aurait pu paraître aussi fastidieux que tout ce qui se rapportait<br />

à la vie cosmopolite <strong>de</strong> Ba<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> Nice, apprenant qu'O<strong>de</strong>tte avait peut-être fait autrefois la fête dans ces villes <strong>de</strong><br />

plaisir, sans qu'il dût jamais arriver à savoir si c'était seulement pour satisfaire à <strong>de</strong>s besoins d'argent que grâce à lui<br />

elle n'avait plus, ou à <strong>de</strong>s caprices qui pouvaient renaître, maintenant il se penchait avec une angoisse impuissante,<br />

aveugle et vertigineuse vers l'abîme sans fond où étaient allées s'engloutir ces années du début du Septennat pendant<br />

lesquelles on passait l'hiver sui la promena<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Anglais, l'été sous les tilleuls <strong>de</strong> Ba<strong>de</strong>, et il leur trouvait une<br />

Marcel <strong>PROUST</strong> “<strong>Un</strong> <strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>”<br />

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