MARCEL PROUST Un amour de Swann - Accueil
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aperçoit, <strong>de</strong>ux cents pieds plus bas, la forme minuscule d'une promena<strong>de</strong> - la petite phrase venait d'apparaître,<br />
lointaine, gracieuse, protégée par le long déferlement du ri<strong>de</strong>au transparent, incessant et sonore. Et <strong>Swann</strong>, en son<br />
coeur, s'adressa à elle comme à une confi<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> son <strong>amour</strong>, comme à une amie d'O<strong>de</strong>tte qui <strong>de</strong>vrait bien lui dire <strong>de</strong><br />
ne pas faire attention à ce Forcheville.<br />
" Ah ! vous arrivez tard, dit Mme Verdurin à un fidèle qu'elle n'avait invité qu'en " cure-<strong>de</strong>nts ", nous avons eu "<br />
un " Brichot incomparable, d'une éloquence ! Mais il est parti. N'est-ce pas, monsieur <strong>Swann</strong> ? je crois que c'est la<br />
première fois que vous vous rencontriez avec lui, dit-elle pour lui faire remarquer que c'était à elle qu'il <strong>de</strong>vait <strong>de</strong> le<br />
connaître. N'est-ce pas, il a été délicieux, notre Brichot ? "<br />
<strong>Swann</strong> s'inclina poliment,<br />
" Non ? il ne vous a pas intéressé ? lui <strong>de</strong>manda sèchement Mme Verdurin.<br />
- Mais si, madame, beaucoup, j'ai été ravi. Il est peut-être un peu péremptoire et un peu jovial pour mort goût. Je<br />
lui voudrais parfois un peu d'hésitations et <strong>de</strong> douceur, mais on sent qu'il sait tant <strong>de</strong> choses et il a l'air d'un bien brave<br />
homme. "<br />
Tout le mon<strong>de</strong> se retira fort tard. Les premiers mots <strong>de</strong> Cottard à sa femme furent :<br />
" J'ai rarement vu Mme Verdurin aussi en verve que ce soir.<br />
- Qu'est-ce que c'est exactement que cette Mme Verdurin ? <strong>Un</strong> <strong>de</strong>mi-castor ? " dit Forcheville au peintre à qui il<br />
proposa <strong>de</strong> revenir avec lui.<br />
O<strong>de</strong>tte le vit s'éloigner avec regret, elle n'osa pas ne pas revenir avec <strong>Swann</strong>, mais fut <strong>de</strong> mauvaise humeur en<br />
voiture, et quand il lui <strong>de</strong>manda s'il <strong>de</strong>vait entrer chez elle, elle lui dit : " Bien entendu ", en haussant les épaules avec<br />
impatience. Quand tous les invités furent partis, Mme Verdurin dit à son mari :<br />
" As-tu remarqué comme <strong>Swann</strong> a ri d'un rire niais quand nous avons parlé <strong>de</strong> Mme La Trémoïlle ? "<br />
Elle avait remarqué que <strong>de</strong>vant ce nom <strong>Swann</strong> et Forcheville avaient plusieurs fois supprimé la particule. Ne<br />
doutant pas que ce fût pour montrer qu'ils n'étaient pas intimidés par les titres, elle souhaitait d'imiter leur fierté, mais<br />
n'avait pas bien saisi par quelle forme grammaticale elle se traduisait. Aussi sa vicieuse façon <strong>de</strong> parler l'emportant<br />
sur son intransigeance républicaine, elle disait encore les <strong>de</strong> La Trémoïlle ou plutôt par une abréviation en usage dans<br />
les paroles <strong>de</strong>s chansons <strong>de</strong> café-concert et les légen<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s caricaturistes et qui dissimulait le <strong>de</strong>, les d'La Trémoïlle,<br />
Marcel <strong>PROUST</strong> “<strong>Un</strong> <strong>amour</strong> <strong>de</strong> <strong>Swann</strong>”<br />
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