156L’on l’a, l’on l’est, l’on a l’air <strong>de</strong>…Freud, Lacan et le mind/body problemFulvio MaroneDans l’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers papiers signés <strong>de</strong> la main <strong>de</strong> Freud, il y a une couple <strong>de</strong> notes qui onttoujours retenu mon attention. La première est sur le fantasme <strong>de</strong> l’avoir et <strong>de</strong> l’être: «Avoir et êtrechez l’enfant. L’enfant exprime volontiers la relation d’objet par l’i<strong>de</strong>ntification: je suis l’objet…Plus tard seulement: je l’ai, c.-à-d. je ne le suis pas» 1 . La <strong>de</strong>uxième paraît une subversiontopologique <strong>de</strong>s rapports traditionnelles entre res cogitans et res extensa: «La spatialité pourraitbien être la projection <strong>de</strong> l’extension <strong>de</strong> l’appareil psychique… La psyché est étendue, n’en saitrien» 2 . Tout le parcours théorique <strong>de</strong> Lacan, peut-on dire, a été un immense travail autour <strong>de</strong> ces<strong>de</strong>ux notes. Je ne vais pas les commenter, mais je me limite à en extraire <strong>de</strong>ux couples, pourchercher <strong>de</strong> centrer mon thème: avoir et être, psyché et extension: c’est-à-dire, le mind/bodyproblem.S’il y a une idée qui a changé radicalement la question <strong>de</strong>s rapports du corps et <strong>de</strong> la psyché,ça a été, dans notre Occi<strong>de</strong>nt, l’invention <strong>de</strong> l’inconscient. Jusqu’à Freud, valait la définitioncartésienne <strong>de</strong> la pensée comme ea omnia, quatenus in nobis sunt, et in nobis fiunt, et in nobiseorum conscientia est: être conscient semblait ne pas constituer une propriété contingente <strong>de</strong>sphénomènes psychiques, mais plutôt nécessaire. Mais la sphère psychique, dans les années oùFreud inventait l’inconscient, n’était pas pensée comme désincarnée: elle était posée encorrespondance biunivoque avec un état d’activité cérébrale localisé dans le cortex; aux autreslocalités du système nerveux n’étaient pas attribués <strong>de</strong>s événements conscient, et <strong>de</strong>vaient êtreinterprétés non en termes pychologiques, mais physiologiques.Freud, dans ses premiers écrits sur l’hypnose 3 , où il crée son inconscient, met en discussionl'opposition entre phénomènes psychiques et phénomènes physiologiques à travers un raisonnementpurement neurologique: nous ne possédons pas un critère pour séparer exactement un acte ducortex cérébral d'un acte <strong>de</strong> la masse sous-corticale – puisque il est improbable qu'une altérationfonctionnelle dans le cortex cérébral ne soit pas accompagnée d' altérations dans l'excitabilitéd'autres parties du cerveau – et donc nous ne pouvons pas séparer un processus psychique d'unprocessus physiologique. Freud refuse d'un point <strong>de</strong> vue opératif une nette et exclusive alternativeentre phénomènes psychiques et phénomènes physiologiques: en morcelant les centres atomiquescérébraux dans une série <strong>de</strong> relations entre zones sous-corticales et cortex cérébral, il permet au«physiologique» <strong>de</strong> son maître Charcot <strong>de</strong> gagner un accès constant cortical (et donc psychique);mais en même temps le «psychique» <strong>de</strong> son autre maître Bernheim est retraduit dans le langagecharcotien, retrouve une base organique dans le cortex cérébral, perd la relation biunivoque avec laconscience, et acquiert, en vertu <strong>de</strong> ces multiples connexions, un défilé d'activités physiologiques,qui peuvent être vues comme le côté non conscient <strong>de</strong> l'activité psychique, qui finit par apparaîtreune propriété diffuse du système nerveux. C’est le corps pensant <strong>de</strong> Freud, où la substance dusystème nerveux jouit – toute – <strong>de</strong> l’activité psychique, et irrigue – à travers les Bahnungen <strong>de</strong>sfibres périphériques – l’organisme <strong>de</strong> l’être humain: un inconscient urverdrängt, qui prend corpspour fixer la jouissance du symptôme. L’inconscient freudien naît comme le corps qu’on n’a pas –1 Freud S., «Résultats, idées, problèmes» (1938), Œuvres complètes, PUF, Paris 2010, XX, p. 319 [GW XVII 151; SEXXIII 299].2 Ibi<strong>de</strong>m, p. 320 [GW XVII 152; SE XXIII 300].3 Freud S., «Préface à De la suggestion et <strong>de</strong> ses applications à la thérapeutique <strong>de</strong> Hippolyte Bernheim» (1888-89) [SEI 75-87]; «Compte rendu <strong>de</strong> Der Hypnotismus <strong>de</strong> August Forel» (1889) [SE I 91-102]; «Traitement psychique(traitement d’âme)» (1890), Résultats, idées, problèmes I 1890-1920, PUF, Paris 1984, pp. 1-23 [GW V 289-315; SEVII 283-302]; «Hypnose» (1891) [SE I 105-114]; «Un cas <strong>de</strong> guérison hypnotique avec <strong>de</strong>s remarques sur l’apparition<strong>de</strong> symptômes hystériques par la ‘contre-volonté’» (1892), Résultats, idées, problèmes I 1890-1920, cit., pp. 31-43 [GWI 3-17; SE I 117-128].
157en tant qu’il n’y a pas <strong>de</strong> sujet conscient qui puisse s’en approprier – mais qui est: non seulementcomme sujet <strong>de</strong> l’inconscient, mais aussi comme jouissance diffuse <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> l’activitépsychique dans le corps. Dans l’Introduction à l’édition alleman<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Écrits (1973), Lacanrésumera ainsi «la découverte <strong>de</strong> Freud»: l’inconscient travaille sans y penser, ni calculer, juger nonplus, et pourtant le fruit est là: un savoir qu’il ne s’agit que <strong>de</strong> déchiffrer puisqu’il consiste dans unchiffrage 4 . Mais, dans les mêmes jours, dans le résumé du séminaire Ou pire…, il y met son grain <strong>de</strong>sagesse: Ce qui pense, calcule et juge, c’est la jouissance 5 .La question <strong>de</strong> l’inconscient est, dès le début, la question du rapport entre la pensée et lecorps, parce que – dira Lacan en 1966 aux étudiants <strong>de</strong> philosophie 6 , en polémique avec beaucoup<strong>de</strong> leur maîtres – ce n’est pas à sa conscience que le sujet est condamné, c’est à son corps. Lacan aconsacré au rapport épistémo-somatique sa première réponse dans Télévision. L'inconscient, dit-il,c’est l'ex-sistence d'un autre sujet à l'âme, qui est la supposition <strong>de</strong> la somme <strong>de</strong> ses fonctions aucorps; et le sujet <strong>de</strong> l'inconscient ne touche à l'âme que par le corps 7 . C’est le même parcours,centrifuge et puis centripète qui fait l’inconscient freudien <strong>de</strong>s origines, et que Freud développeradans sa métapsychologie.Corps e pensée inconsciente font corps. Dans un <strong>de</strong> ses premiers textes explicitementconsacrés à la question res cogitans/res extensa, Propos sur la causalité psychique, Lacan opposaità Henry Ey qu’il faut entendre le dualisme cartésien comme un dualisme entre pensée et extension,et non entre organique et psychique 8 . Le corps n’est pas caractérisé par la dimension <strong>de</strong> l’étendue –il dira après, dans son Discours aux mé<strong>de</strong>cins 9 – un corps est quelque chose qui est fait pour jouir,jouir <strong>de</strong> soi-même. Mais cela – il ajoutera dans Encore – ne se jouit que <strong>de</strong> le corporiser <strong>de</strong> façonsignifiante 10 .Le corps n’est pas limité à un seul registre. Lacan dira dans L’insu…: il y a un corps <strong>de</strong>l'Imaginaire; un corps du Symbolique, et un corps du Réel 11 . Du corps <strong>de</strong> l’imaginaire, là, il ne ditrien, mais nous le connaissons bien: c’est le supporte qui nous offre le corps comme imagespéculaire, en tant que matrice où le je se précipite en une forme primordiale. Du corps dusymbolique il nous dit: c'est lalangue – un autre corps, où les mots font corps en tant que substancejouissante. C’est le corps morcelé <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> représentation du sujet dans un essaim <strong>de</strong> traceslaissées par l’Autre, cet Autre que dans le séminaire XI il appelait «la nature», ce qui fournit lessignifiants, qui ensuite organisent et structurent les rapports humains 12 . Du corps du Réel, Lacan ditlà que «on ne sait pas comment il sort». L’année avant, il avait dit: c’est ce rapport, si imperfectchez tous les êtres humains, avec ce qui se passe dans son corps, mais dont l’ignorance – ilajoute, en contradiction avec le premier Freud – n’a rien à faire avec l’inconscient, qui est unsavoir qui procè<strong>de</strong> du signifiant 13 . Le corps du réel c’est la tentative <strong>de</strong> donner corps à lajouissance <strong>de</strong> l’autre absente – ce qui marque bien, à mon avis, la différence entre le réel <strong>de</strong> lapsychanalyse et le réel <strong>de</strong> la science. Le corps du réel n’est pas la matière, parce que le réel estplutôt l’obscure «autoperception du royaume extérieur au moi, le ça» dont nous parlait Freud,encore dans ses notes finales 14 .Dans les <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> son enseignement, Lacan a souvent dit: l’homme a un corps.4 Lacan J. (2001), Introduction à l’édition alleman<strong>de</strong> d’un premier volume <strong>de</strong>s Écrits, Autres Écrits, Seuil, Paris, p. 556.5 Lacan J., …Ou pire., Compte rendu du Séminaire 1971-1972 , Autres écrits, cit., p. 551.6 Lacan J. (1975), Réponses a <strong>de</strong>s étudiants en philosophie sur l’objet <strong>de</strong> la psychanalyse, Cahiers pour l’analyse, 3,Seuil, Paris.7 Lacan J. (1973), Télévision, Autres écrits, cit., pp. 511-512.8 Lacan J. (1966), Propose sur la causalité psychique, Écrits, Seuil, Paris, p. 157.9 Lacan J. (1966), Conférence et débat du Collège <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine à La Salpetrière, Cahiers du Collège <strong>de</strong> Mé<strong>de</strong>cine, pp.761-774.10 Lacan J. (1975) , Le Séminaire livre XX. Encore (1972-1973), Seuil, Paris , p. 26.11 Lacan J., Le Séminaire livre XXIV. L’insu que sait d’l’une bévue s’aile à mourre (1976-1977), inédit, leçon16/11/1976.12 Lacan J. (1973), Le Séminaire livre XI. Les quatre concepts fondamentaux <strong>de</strong> la psychanalyse (1964), Seuil, Paris p.26.13 Lacan J. (2005), Le Séminaire livre XXIII. Le sinthome (1975-1976), Seuil, Paris, p. 149.14 Freud S., «Résultats, idées, problèmes» (1938), Œuvres complètes, XX, cit., p. 320 [GW XVII 152; SE XXIII 300].
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