22Le malentendu <strong>de</strong> la jouissanceversion lacanienne <strong>de</strong> la pulsion <strong>de</strong> mort freudienneJean Jacques Gorog«C'est le corps parlant en tant qu'il ne peut réussir à se reproduire que grâce à unmalentendu <strong>de</strong> sa jouissance. C'est dire qu'il ne se reproduit que grâce à un ratage <strong>de</strong> ce qu'il veutdire, car ce qu'il veut dire - à savoir, comme le dit bien le français, son sens - c'est sa jouissanceeffective. Et c'est à la rater qu'il se reproduit - c'est-à-dire à baiser.» 1C’est <strong>de</strong> la relation à Freud et à sa pulsion <strong>de</strong> mort que je voudrais vous entretenir à propos<strong>de</strong> ce mystère du corps parlant. Il n’y a pas lieu d’être surpris que l’auteur du retour à Freud sefon<strong>de</strong> dans son développement, encore et toujours, sur l’énigme d’un texte dont il dit à l’époqued’Encore d’où est tiré le titre <strong>de</strong> nos journées: «bien sûr ce n'est qu'un bafouillage, mais nous nepouvons pas faire mieux». 2La référence est explicite à l’«Au-<strong>de</strong>là du principe <strong>de</strong> plaisir» 3 . J’écoutais Paul-LaurentAssoun qui expliquait qu’il ne fallait pas mettre dans cette expression, «au-<strong>de</strong>là», ce que le Jenseitsallemand y mettait, et qu’il fallait traduire plutôt par à côté plutôt que par au-<strong>de</strong>là. Il voulait je croiséviter la dimension métaphysique que la traduction française sollicite davantage. Mais Lacans’autorise quelque liberté et il est manifeste qu’il se servira ici <strong>de</strong>s possibilités que «la lalangue dontil use» lui offre dans ce registre grâce à cette traduction.Le malentendu concerne d’abord ce d’où s’origine le développement <strong>de</strong> la jouissancecomme concept à savoir une reprise <strong>de</strong> la pulsion <strong>de</strong> mort freudienne dès lors que Lacan ne peutplus se contenter <strong>de</strong> la mortification par le signifiant pour en rendre compte. Il faut évoquer cetautre versant <strong>de</strong> la pulsion <strong>de</strong> mort en réalité présent d’emblée avec ce qu’il appelle le tranchantmortel et qui s’accentue progressivement dans sa recherche au fur et à mesure qu’il en extrait <strong>de</strong> lagangue imaginaire le réel dont son objet a sera le support.Le parcours est fléché, je veux dire qu’à le lire avec le recul <strong>de</strong>s années, on saisit à quelpoint Lacan suit sa ligne, une ligne apparemment brisée selon les contingences mais qui ne sedétourne guère <strong>de</strong> sa visée.Dans ce parcours l’un <strong>de</strong>s appuis conceptuels essentiel va lui être fourni par la notion <strong>de</strong>l’entre-<strong>de</strong>ux morts avec la mise en perspective <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> mort. Disons que c’est cette secon<strong>de</strong>mort qui nécessite qu’on ne puisse plus se contenter <strong>de</strong> la dialectique du désir et qu’il y faut ajouterle concept <strong>de</strong> jouissance. Que ce ne soit pas à proprement parler un concept freudien ne veut pasdire qu’il est absent chez Freud mais seulement qu’il n’est pas déployé par lui comme concept. Jerappelle seulement que selon ce qu’indique la clinique, nous dit Lacan, la secon<strong>de</strong> mort précè<strong>de</strong> lapremière et, pour nous le faire savoir, l’exemple paradigmatique dont il se sert est celui <strong>de</strong> Créondans Antigone.L’erreur <strong>de</strong> Créon lorsqu’il se déci<strong>de</strong> enfin à revenir sur son refus d’enterrer le cadavre dutraitre à la Cité et <strong>de</strong> le laisser ainsi à sa secon<strong>de</strong> mort, faire disparaître jusqu’à sa trace, consiste àcommencer par recouvrir les restes <strong>de</strong> Polynice au lieu <strong>de</strong> sortir Antigone encore vivante <strong>de</strong> sontombeau, dont la mort -c’est la première mort, celle du corps- était peut-être évitable. Ainsi seconstitue une formulation <strong>de</strong> ce malentendu <strong>de</strong> la jouissance évoqué par Lacan à condition <strong>de</strong>l’expliquer un peu ce à quoi je vais me risquer.Quelle est la cause <strong>de</strong> l’erreur? L’ ὕβρις, l’orgueil démesuré parce que Créon est <strong>de</strong>venuroi? C’est sûrement insuffisant pour l’expliquer. On pourrait dire avec Freud que c’est son vœu <strong>de</strong>mort qui l’entraine, son «désir <strong>de</strong> mort» inscrit dans la névrose obsessionnelle qui l’oblige à semettre en accord en priorité avec la secon<strong>de</strong> mort là où était la faute symbolique, recouvrir les1 Lacan J. (1975), Livre XX , Encore, [1972-1973], Paris, Seuil, p.109.2 Ibi<strong>de</strong>m, p.1103 Essais <strong>de</strong> psychanalyse, PBP, 1981
23cendres <strong>de</strong> Polynice, au lieu <strong>de</strong> sortir Antigone <strong>de</strong> sa tombe. Je ne sais si on a bien perçu que là oùon pourrait croire que c’est l’axe symbolique-réel qui doit comman<strong>de</strong>r, ici c’est au contraire celuiimaginaire-réel, celui du corps vivant qui aurait du être prioritaire. Et pourquoi? Prenons-le au pluscaricatural pour faire saisir ce dont il s’agit. C’est qu’Antigone est promise à son fils à lui Créon etplaçons à cet endroit la dimension sexuelle comme argument <strong>de</strong> l’erreur.Et qu’en est-il <strong>de</strong> la question du vivant? Pourquoi ce déplacement du désir vers lajouissance? Je crois qu’il faut tenir compte du poids que le désir a pris comme visée idéalisée dansla communauté analytique malgré la rectification tentée par Lacan à le situer dans l’ordre signifiant,au titre du nom du père, soit du symbolique. Insatisfait ou impossible, interdit par définition, ce quiimplique qu’il n’y ait pas <strong>de</strong> transgression? Lacan insiste suffisamment sur le fait que c’est l’interditqui fait exister le désir? et inatteignable <strong>de</strong> ce fait, il reste que ce qui peut être atteint, et ce qui estatteint, le reste <strong>de</strong> la jouissance auquel le corps parlant a accès, peut s’ordonner selon au moins <strong>de</strong>uxmo<strong>de</strong>s 4 , correspondant d’un côté au désir, la jouissance <strong>de</strong> l’Autre et <strong>de</strong> l’autre côté la jouissancephallique.Corpse-body 5 , ce débat-là est crucial et je n’avais pas suffisamment saisi la portée <strong>de</strong> cetécart et du gain que la jouissance permet d’effectuer par rapport à la doctrine freudienne. Antigonedans son tombeau est encore «body» alors que Polynice est <strong>de</strong>venu «corpse» avant même que lapièce ne commence. Il faudrait trouver un troisième mot pour dire le corpse, le cadavre lorsque lerite lui a rendu la paix et qu’il ne viendra plus perturber les vivants, peut-être <strong>de</strong>viendrait-il nobody!Remarquez d’ailleurs l’extraordinaire progression dans notre mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la crémation et <strong>de</strong> ladispersion <strong>de</strong>s cendres… faire disparaître jusqu’à la trace du corps, <strong>de</strong>s fois qu’il continue <strong>de</strong> parler.C’est bien la formule qu’utilise la police si bien outillée pour faire parler les corpses.On peut percevoir l’importance <strong>de</strong> cet exemple dans la clinique. Il y a peu, à sa femme enlarmes un homme, un Créon donc, dit «ce n’est pas parce que tu pleures que tu as raison». La belleaffaire! Question reproduction ça fonctionne pourtant puisqu’elle est enceinte et pour la quatrièmefois. Mais comment construire le rapport entre le sexe et la mort?Sur ce point Lacan donne raison à Freud avec cette affirmation que la mort surgit avec lasexuation. Peu importe que la biologie cent ans après démontre que cette idée est fausse? lesunicellulaires meurent?, ce n’est pas au nom <strong>de</strong> la science que Lacan soutient Freud dans sonintuition mais au nom d’un postulat, le nom du père et la signification phallique, qui impliquel’inscription <strong>de</strong> la reproduction. C’est la reproduction «sexuée» qui suppose la mort du sujet et unesuccession possiblement sans fin. Il suffit qu’on la sache possiblement sans fin. En réalité il fautajouter à mort et sexe, mais on s’en doutait un peu, le langage, pour pare-faire le parlêtre et qu’ilpuisse supposer une <strong>de</strong>scendance sans fin. Le texte freudien étudie les protistes et puis passe àl’homme sans que la transition par les animaux, sexués pour la plupart, soit évoquée. Ceci suffiraitau passage à indiquer que la référence biologique ne vaudrait que pour faire entendre ce dont ils’agit, le rapport du sexe à la mort par l’entremise <strong>de</strong> la reproduction. On pourrait ajouter qu’auregard <strong>de</strong> ce que propose Freud entre mort et sexe la référence à l’animal qui n’est pas unicellulairefait défaut, défaut que Lacan s’efforcera <strong>de</strong> combler. C’est un manque puisque l’animal est certesmortel d’être sexué, mais sans le langage comment se saurait-il mortel?«Nous ne savons pas comment les autres animaux jouissent, mais nous savons que pournous la jouissance est la castration» 6 . Et il mettra l’accent d’abord sur l’articulation mort-langageavant <strong>de</strong> développer amplement comme dans cette citation celle entre sexe et langage. Il nes’intéresse d’ailleurs pas seulement aux animaux puisque par exemple il pose la question <strong>de</strong> l’arbre<strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> sa jouissance propre, dans cette leçon du séminaire «Les Non-dupes errent» où il4 Trois mo<strong>de</strong>s l’année suivante avec le nœud borroméen et le schéma <strong>de</strong> La Troisième et <strong>de</strong> RSI.5 «Alors s'il est difficile <strong>de</strong> ne pas faire <strong>de</strong> la vie la caractéristique du corps, parce que c'est à peu près tout ce que nouspouvons en dire, en tant que corps, il est là et il a bien l'air <strong>de</strong> se défendre, <strong>de</strong> se défendre contre quoi? contre ce quelquechose auquel il est difficile <strong>de</strong> ne pas l'i<strong>de</strong>ntifier, c'est-à-dire ce qu'il en reste, <strong>de</strong> ce corps, quand il n'a plus la vie. C'est àcause <strong>de</strong> ça qu'en anglais on appelle le cadavre corpse; autrement, quand il vit, on l'appelle body». Lacan J . (1974)«Les Non-dupes errent» Séminaire inédit, leçon du 11 juin 19746 Intervention <strong>de</strong> J. Lacan à Bruxelles en 1977, publiée dans Quarto (Supplément belge à La lettre mensuelle <strong>de</strong> l’École<strong>de</strong> la cause freudienne), 1981, n° 2.
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