Guide des Communes 2016
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Portrait<br />
Best of LG 188 – Juin <strong>2016</strong><br />
Portrait d’un hédoniste<br />
Il y a <strong>des</strong> portraits qu’un rédacteur aborde avec angoisse. Surtout lorsqu’il fait le choix<br />
du sniper national, Maître Gaston Vogel. Dans ses lettres ouvertes, il se veut flingueur<br />
<strong>des</strong> abrutis et dézingueur <strong>des</strong> ignominies avec comme seule arme, son style soutenu,<br />
acerbe et réjouissant. «Si vous saviez comme il est bon d’être détesté», rencontre avec<br />
un hédoniste, homme de culture au sens de l’humour incisif qui fêtera prochainement<br />
ses 55 ans de carrière… Pardon Maître, «d’amertumes judicaires».<br />
L’âge “tendre“<br />
Les villages luxembourgeois <strong>des</strong> années cinquante<br />
s’orchestraient encore au rythme <strong>des</strong><br />
saisons et comptaient <strong>des</strong> commerces qui<br />
permettaient de vivre en autarcie. Le soir, les<br />
familles prenaient place sur le seuil de leur<br />
porte; symbole transitoire de l’intimité du<br />
cocon familial à la communauté. C’est à<br />
cette époque que la grande distribution a fini<br />
«d’arracher les cœurs <strong>des</strong> villages» qui se<br />
transformeront bientôt en dortoirs. Constat<br />
bourdieusien que partage Gaston Vogel.<br />
Il ne garde pas de bons souvenirs de son<br />
enfance. Ses dimanches passés à Helmsange<br />
(petit hameau de Walferdange) étaient<br />
dédiés aux grammaires grecque et latine<br />
sous l’autorité d’un père détesté. Expertcomptable<br />
de formation, le paternel avait<br />
gardé le goût <strong>des</strong> lettres du lycée classique, il<br />
écoutait le concerto de violon de Max Bruch,<br />
relisait Goethe et appartenait à cette droite<br />
conservatrice du début du XXème siècle,<br />
toujours anti-communiste et parfois encore<br />
antisémite.<br />
Le fils, quant à lui, préfèrele piano de Scriabine,<br />
il se berce de Dostoïevski, Strindberg et de<br />
littérature lyrique allemande. Il s’émerveille<br />
<strong>des</strong> pensés nietzschéennes et <strong>des</strong> idées<br />
contraires qu’il aime appeler «un feu d’artifice<br />
permanent». Et il y a Proust bien sûr, à<br />
qui il consacre un ouvrage, “L’essence<br />
Précieuse dans l’œuvre de Proust”.<br />
Vogel déteste ce qui est monolithique et<br />
aime les écarts, les nuances parce que «la vie<br />
est composée d’idées contraires».<br />
Il considère ces auteurs comme ses «ancêtres»,<br />
comme un héritage choisi aux archaïsmes antisémites<br />
de son père et auxquels il rend hommage,<br />
en les relisant inlassablement. Chez les<br />
Vogel régnait l’identité luxembourgeoise hautement<br />
culturelle, «qui était à la limite du supportable».<br />
«J’étais un enfant unique, écrasé<br />
par l’amour <strong>des</strong> miens. Un amour que je détestais<br />
et que je déteste encore», affirme le faux<br />
misanthrope. Au lycée classique, il opte pour la<br />
filière philosophie et lettres.<br />
Un soir, sur les coups de minuit, Gaston<br />
Vogel reçoit un appel téléphonique de son<br />
père, «comme un long sanglot, tout chargé<br />
d’adieux» qui lui demande de venir lui réciter<br />
<strong>des</strong> passages <strong>des</strong> Fleurs du Mal. À son<br />
arrivée, il était trop tard. Il n’aura jamais eu<br />
l’occasion de véritablement le connaître.<br />
Profession<br />
Pourquoi avoir opté pour le droit? L’art, la littérature<br />
et la philosophie étant ses véritables<br />
passions... Peut-être à cause du “Nosce te<br />
ipsum“, (Connais-toi toi-même) que Socrate<br />
assigne aux devoirs de l’homme. Vogel a<br />
peur de lui-même dans le sens où il ne se<br />
connait pas: «La littérature nous met dans<br />
une nébuleuse de sentiments et de sensations<br />
alors que dans le droit, nous sommes<br />
encrés dans la réalité».<br />
“<br />
Ce sont les Lumières qui<br />
ont forgé le mode moderne<br />
et nous le défaisons<br />
”