11.11.2016 Views

Guide des Communes 2016

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Portrait<br />

Best of LG 188 – Juin <strong>2016</strong><br />

Un bon avocat doit connaître «la grande réalité<br />

humaine», ce qui nécessite d’être instruit<br />

en littérature, en histoire et en philosophie,<br />

«le droit, c’est l’affaire <strong>des</strong> juristes». S’il a<br />

certes, publié sept livres de droit en décembre<br />

dernier, il n’y en a néanmoins pas un seul<br />

parmi les 30.000 livres qui composent sa<br />

bibliothèque. Les textes juridiques ne lui procurent<br />

aucun plaisir.<br />

Il plaide le dernier procès pour avortement<br />

en 1975, avant la dépénalisation et même s’il<br />

obtient un non-lieu, il ne peut s’empêcher de<br />

penser à toutes celles qui ont été emprisonnées.<br />

Si le droit doit évoluer avec son époque,<br />

la répugnance qu’il lui procure vient de<br />

l’exagération qu’en font ceux qui le pratique.<br />

Chroniqueur <strong>des</strong> maux de la société<br />

Il décide très tôt de ne pas faire de politique.<br />

Le regard critique de l’observateur en marge<br />

se dote d’une totale liberté intellectuelle et<br />

d’une indépendance absolue.<br />

L’homme qui se sent proche <strong>des</strong> Lumières du<br />

XVIIIème vit très mal l’ère post-littéraire<br />

qu’est la nôtre. À savoir qui serait l’Infâme<br />

d’aujourd’hui (en référence à Voltaire qui<br />

signait toutes ses lettres de «Ecr. L’Inf.» pour<br />

«Ecrasons l’Infâme» en référence au <strong>des</strong>potisme<br />

religieux), il répond sans hésitation,<br />

l’hypocrisie et les consciences pures. Pour lui,<br />

ce sont les nouveaux obscurantismes<br />

contemporains.<br />

Il regrette les personnages charismatiques,<br />

les Laclos, Condorcet ou Montesquieu qui<br />

prenaient la défense <strong>des</strong> femmes, <strong>des</strong> esclaves,<br />

<strong>des</strong> opprimés non par attendrissement<br />

moraliste, mais par leurs nuances de raison.<br />

«Ce sont les Lumières qui ont forgé le<br />

monde moderne et nous le défaisons».<br />

Sa plume acerbe jubile à attaquer les maux<br />

de la société et au fil de ses lettres ouvertes,<br />

le lecteur entrevoit un certain amour pour ce<br />

pays. Il lui reconnait d’ailleurs <strong>des</strong> qualités et<br />

notamment d’avoir réussi à se libérer de<br />

l’emprise religieuse. Le catholicisme ne joue<br />

plus le même rôle que lorsqu’il était jeune<br />

avocat dans les années soixante. Le CSV de<br />

l’époque, essentiellement clérical, n’est plus<br />

le même, «je m’en réjouis même si d’un<br />

autre côté j’aurais préféré qu’il reste ce qu’il<br />

était pour mieux l’attaquer», dit l’homme de<br />

gauche, un sourire en coin.<br />

Homme de Culture<br />

Au lycée classique, il ne comprenait pas<br />

pourquoi la culture enseignée s’arrêtait toujours<br />

à l’Acropole. Curieux de cet au-delà, il<br />

se rend une trentaine de fois en Inde mais<br />

aussi en Chine et au Japon et se passionne<br />

pour l’art asiatique, (il nous fait admirer sa<br />

nouvelle acquisition, un paravent japonais du<br />

XVIIème siècle, puis une pièce de jade).<br />

Mise à part la Philharmonie dont il trouve le<br />

programme de très bonne qualité, il dénonce<br />

le vide culturel et artistique du Luxembourg<br />

et notamment le Mudam qui est pour lui, un<br />

emblème désespérant. À ceux qui avancent<br />

les artistes locaux comme un contre-argument,<br />

il faut rappeler qu’il s’agit ici de la<br />

Culture (avec une majuscule), celle que<br />

défendait Malraux, à savoir les œuvres<br />

majeures de l’humanité. Gaston Vogel se fait<br />

en effet une haute idée de l’art. Vouloir<br />

devenir artiste ou se considérer comme tel ne<br />

suffit pas, «il faut être un prophète et <strong>des</strong>cendre<br />

dans les couches les plus profon<strong>des</strong><br />

où le circuit sanguin de l’homme est trop<br />

froid pour arriver». Il reprend la formule de<br />

Rimbaud et qualifie l’artiste de «Voleur de<br />

feux», ces êtres qui de par leurs œuvres<br />

enflamment les âmes.<br />

Il ne comprend pas pourquoi le Luxembourg,<br />

avec ses moyens financiers, n’a jamais manifesté<br />

d’intérêt pour la culture, n’a jamais<br />

investi dans une œuvre majeure et n’accueille<br />

jamais de grande exposition.<br />

Il considère comme une erreur d’avoir retiré<br />

le latin de certaines branches intellectuelles.<br />

«C’est un pont essentiel entre notre civilisation<br />

contemporaine et l’Antiquité, là où tout<br />

avait été pensé». Il continue de lire Tacite<br />

pour ne pas perdre son latin et ne peut imaginer<br />

un confrère qui ne le maîtriserait pas.<br />

C’est parce que les mots portent en eux une<br />

archéologie, qu’il se plonge dans de gran<strong>des</strong><br />

«excursions étymologiques». Tout intellectuel<br />

dont les idées se véhiculent de par le<br />

mot, se doit d’en cerner le sens.<br />

Il jette un regard critique sur nos sociétés, de<br />

la démission de la raison à la déculturation en<br />

passant par l’apothéose du fric. Il y voit les<br />

symptômes d’une société malade. «Il suffit<br />

d’écouter ce qui se passe à la Chambre <strong>des</strong><br />

Députés: aucun ne sait parler et tous ajoutent<br />

du creux au vide. Le mot porteur a disparu».<br />

Nous nous séparons sur une pensée<br />

philosophique<br />

«Je considère que l’homme est un singe qui<br />

s’appelle Homo sapiens et de tous les singes,<br />

il est le plus méchant. Il se permet deux guerres<br />

mondiales, un holocauste et une multitude<br />

de guerres néocoloniales en seulement<br />

un siècle. Il y a chez l’homme, une molécule<br />

néfaste qui ne guérira jamais. Beaucoup de<br />

juges se trompent, l’homme est au-delà du<br />

bien et du mal, il est comme le disait<br />

Dostoïevski, un monstre de rêve».<br />

Sa passion pour la pierre est révélatrice; il est<br />

de ces hommes sur qui les mo<strong>des</strong> du temps<br />

n’ont pas d’emprise. Contrairement à ce qu’il<br />

laisse entendre, ce n’est pas un homme du<br />

XVIIIème coincé dans une époque qui ne<br />

serait pas la sienne. Il est juste un homme de<br />

l’écrit à l’heure du digital et un homme de<br />

raison dans une société de sentiments. Il est<br />

àl’image de sa météorite vieille de 50.000<br />

ans, tombée dans le désert de l’Arizona ou<br />

de sa pièce de jade, il est un bloc construit de<br />

références culturelles, littéraires et philosophiques<br />

inaliénables dans lesquelles la<br />

modernité aurait bon de s’abreuver. JuB<br />

168<br />

LG - Best of & <strong>Guide</strong> <strong>2016</strong>

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!