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MAGAZINE PEEL #10

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témoignage littéraire<br />

LE SPECTACLE<br />

« il faut beaucoup aimer les hommes »<br />

&<br />

marie darrieussecq<br />

Le spectacle « il faut beaucoup aimer les hommes », joué du 6 au 14 décembre à la Comédie de<br />

Reims est une adaptation du roman éponyme de Marie Darrieussecq. Elle décrit ici son rapport<br />

à la pièce qui en est tirée par le collectif Das Plateau<br />

UN TEXTE<br />

DE Marie Darrieussecq,<br />

POUR LE<br />

<strong>MAGAZINE</strong> <strong>PEEL</strong>.<br />

Je ne veux pas interférer avec le travail d’autres artistes donc j’ai laissé les Das Plateau travailler à leur<br />

guise, c’est toujours ce que je fais en cas d’adaptation. Mais nous avons été en contact. Par exemple je leur<br />

ai donné des pistes pour leur voyage au Cameroun, là où ils ont fait les images de la forêt. Ils sont allés<br />

exactement sur les lieux de mon propre voyage en 2012, et ce sont des lieux assez difficiles d’accès, dans<br />

la forêt primaire. Je les ai trouvés courageux. Pour eux c’était leur tout premier voyage sur le continent<br />

africain - comme Solange.<br />

Solange est une femme qui découvre qu’elle est blanche. Elle n’y avait jamais pensé avant. Pour elle, être<br />

blanche était une sorte d’état de nature, quelque chose de « normal ». C’était le reste du monde qui était<br />

un peu bizarre… Elle voyait les Africains comme des " autres " et son amour pour Kouhouesso va lui<br />

apprendre que l'autre, c'est aussi elle.<br />

Mon roman est certes engagé, politique, mais j’espère qu’il pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses.<br />

Pour moi la littérature c'est proposer des questions, toujours un peu les mêmes sans doute : amour,<br />

vie et mort, guerre et paix, mais posées de façon différentes, contemporaines, renouvelées. Inviter le lecteur<br />

ou la lectrice à cheminer dans la forêt des signes. Les romans ne sont pas des leçons ou des pamphlets.<br />

Dans ce roman-ci c'est une question de peau, de sensualité, mais pas forcément comme on s'y attendrait,<br />

peut-être. Je crois que le Collectif Das Plateau sait faire avec ça, et prolonge mon geste, le déplace, le réactive.<br />

Leur quête artistique, je m’y retrouve.<br />

Dans leur pièce, je reconnais mon roman d’une façon très troublante, c’est comme les images qui étaient<br />

dans ma tête. C’est un peu de l'« inquiétante familiarité » pour moi. Ils rebondissent sur mes mots – par<br />

exemple le thème de la poudre, de la pulvérisation, dont je n’avais pas conscience en écrivant. Moi seule<br />

sait la part d’imaginaire et d’autobiographie qu’il y a dans ce roman, or sur scène il se produit comme un<br />

retour du passé, du réel, qui est très fort pour moi. Mais c’est sans doute une impression toute personnelle.<br />

En tous cas la façon dont les Das Plateau inventent les dialogues est juste, à mon avis. Ils développent ce<br />

qui est dans l’esprit des personnages, avec un certain sens du comique qui me plaît. Solange est en effet un<br />

personnage comique, par moments. La passion rend idiot. Elle empêche de vivre, alors même qu’elle vous<br />

fait vivre quelque chose de très intense – mais qui vous coupe le souffle, qui vous coupe la vie. C’est un<br />

accident, la passion, au sens catastrophique du terme.

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