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cinéma<br />
Édouard Baer :<br />
Ouvert la nuit<br />
Beaucoup connaissent Edouard<br />
Baer en tant que comédien<br />
et apprécient sa jubilation des<br />
mots. Il passe aussi épisodiquement<br />
derrière la caméra.<br />
Son dernier film « Ouvert la<br />
nuit », qui sera sur les écrans<br />
le 11 janvier 2017 relate les tribulations<br />
de Luigi, un directeur<br />
de théâtre parisien qui a une<br />
nuit pour sauver son établissement,<br />
trouver un singe capable<br />
de monter en scène, récupérer<br />
l'estime de son metteur<br />
en scène japonais, regagner<br />
la confiance de son équipe et<br />
le respect de sa meilleure amie,<br />
une nuit pour démontrer à une<br />
jeune stagiaire de Sciences Po<br />
pétrie de certitudes qu'il existe<br />
d'autres façons dans la vie<br />
d'appréhender les obstacles en<br />
transformant vite ces pérégrinations<br />
dans le Paris nocturne<br />
en parcours initiatique.<br />
Tu fais de la radio, tu es comédien et<br />
aussi réalisateur. Peux-tu nous parler<br />
d’« Ouvert la nuit » ton dernier film qui<br />
se déroule dans un milieu que tu connais<br />
bien, le théâtre?<br />
Ouvert la nuit, c’est une « Traversée de<br />
Paris », une visite du Paris nocturne,<br />
ni branché-ni passé. C’est un film qui<br />
dépeint un personnage, un style de vie<br />
singulier, une aventure, et l’aventure<br />
commence, on le sait bien, au coin de la<br />
rue… On part avec Luigi qui est directeur<br />
de théâtre, on va dans SON Paris,<br />
à SON rythme. Il vit la nuit comme on<br />
vit le jour car pour lui, tout s’y passe :<br />
la séduction, le travail, le théâtre. Luigi<br />
aime cette abolition des codes sociaux<br />
habituels qui s’opère une fois que les<br />
gens ordinaires sont rentrés se coucher.<br />
C’est un drogué des rencontres qui<br />
va vers les gens auprès de qui il sait<br />
d’instinct qu’il va se sentir bien, un<br />
adepte de « la vie de hasard », toujours<br />
dans une sorte de fuite pour échapper à<br />
des angoisses sûrement plus profondes.<br />
C’est quelqu’un qui aime être dérangé,<br />
ça l’arrange et le rassure.<br />
Quelle importance donnes-tu au texte, à<br />
la parole dans ce film ?<br />
Le film est un peu bavard, à l’image de<br />
Luigi. Le verbe est son arme, sa façon<br />
d’enchanter le réel mais aussi d’envoûter,<br />
d’habiter le vide. C’est sans doute<br />
lié à mon goût pour les personnages<br />
hauts en couleur et au verbe haut : une<br />
certaine idée de la France, entre Sacha<br />
Guitry, Jamel Debouze et les mythos de<br />
comptoir.<br />
C’est aussi une histoire qui se déroule<br />
dans le monde particulier du spectacle<br />
vivant où les mots jouent un rôle important,<br />
un milieu particulier…<br />
Ce qui est amusant, ce sont les rapports<br />
sociaux et économiques des gens<br />
pendant la création artistique. C’est un<br />
rapport hiérarchisé, comme dans les<br />
autres milieux professionnels. Devoir<br />
traiter des gens au travail est plus étonnant<br />
dans les métiers du spectacle parce<br />
que ça va plus vite. L’enjeu est plus fort<br />
parce que c’est du court terme et il y a<br />
peu d’autres endroits où le temps est<br />
aussi court entre l’idée puis le résultat<br />
artistique et commercial. On y croise<br />
alors celui qui a peur de perdre son<br />
emploi, celui qui vole, celui qui passait<br />
par là et qu’on embauche, celui qui est<br />
magnifique sur scène mais qui est prêt<br />
à faire un scandale en répétition, ou<br />
celui qui, comme Luigi, craint de ne pas<br />
vendre son spectacle. Ce qui est beau,<br />
c’est le mélange de mesquineries, de<br />
craintes et d’accomplissements insensés…<br />
En fait, le vrai métier de Luigi,<br />
c’est l’admiration. Il fait partie de ceux<br />
qui permettent que les choses s’accomplissent,<br />
quelqu’un qui met son énergie<br />
au service du talent des autres.<br />
En homme de spectacle, Luigi n’est-il<br />
pas dans la sur-représentation ?<br />
Luigi est un homme qui balade un<br />
univers avec lui. Il est à l’aise dans tous<br />
les milieux, comme les princes ou les<br />
gitans, convaincu que sa verve et le<br />
contact d’homme à homme peut tout<br />
résoudre. Il décrète qu’on doit s’amuser<br />
à n’importe quel prix et que tout doit<br />
être léger. Prendre le parti de cette vie<br />
de plaisir, en mouvement permanent,<br />
avec un culte du superficiel dans les<br />
rapports humains, c’est violent pour<br />
ceux qui vous aiment ou qui voudraient<br />
vous aimer. Luigi crée un rapport avec<br />
les autres qui est aussi de l’ordre de la<br />
courtisanerie, un truc de hiérarchie<br />
déguisée. Ce n’est pas que de la fraternité,<br />
il est le chef et ne se gêne pas pour<br />
le rappeler !<br />
Et cela affecte sa vie personnelle ?<br />
Pour Luigi, rejoindre sa famille c’est<br />
aller au théâtre et c’est un peu par<br />
hasard, comme ça, qu’il passe au<br />
petit matin voir ses vrais enfants. Il<br />
les abandonne par égoïsme mais les<br />
aime en même temps. Il y a beaucoup<br />
de gens qui ne se l’avouent pas, mais<br />
pour lesquels les choses de la vie sont<br />
ainsi inversées, non seulement par le<br />
temps réel passé au travail, mais aussi<br />
par le temps virtuel de ce travail qui<br />
les occupe mentalement, surtout dans<br />
des métiers qui sont liés à la passion<br />
comme c’est le cas ici.<br />
Luigi est un héritier des dandys, par<br />
l’élégance, avec son smoking et sa chemise<br />
rouge…<br />
Ce que je trouve formidable dans le<br />
smoking, c’est que c’est à la fois une<br />
tenue mondaine et une tenue de garçon<br />
de café. C’est aussi un petit clin d’œil<br />
au Paris vu par les anglo-saxons dans<br />
leurs comédies des 30 glorieuses et qui<br />
se passent dans des milieux fantaisistes<br />
et chics. Luigi est un homme dont les<br />
codes, la façon de vivre dans les cafés,<br />
de tout régler en face à face est héritée<br />
de cette époque. C’est aussi un personnage<br />
théâtral et ce côté overdressed<br />
appuie encore cet aspect.<br />
À leur instar, il doit avoir un certain<br />
détachement face à l’argent, n’est-ce<br />
pas contradictoire avec la gestion d’un<br />
théâtre ?<br />
Evidemment, Luigi est un gestionnaire,<br />
par obligation. Mais il fait comme si<br />
l’argent n’était pas un problème. Il aime<br />
le mouvement, le coté fluctuant du fric,<br />
le cash, c’est un type généreux, mais qui<br />
a aussi une fierté immense, une sorte<br />
d’orgueil aristo !<br />
_ Edouard Baer © Pascal Chantier<br />
texte<br />
Alexis Jama-Bieri