La Libération : les Canadiens en Europe - Chef - Personnel militaire
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Les soldats trouv<strong>en</strong>t toujours le moy<strong>en</strong> de s’adapter<br />
aux milieux <strong>les</strong> plus terrib<strong>les</strong>. Le commandant<br />
d’une compagnie du North Shore r<strong>en</strong>dant visite<br />
aux positions de ses pelotons constate que tout<br />
est <strong>en</strong> règle :<br />
Tout à coup, je remarque deux gars du 10 e Peloton<br />
ét<strong>en</strong>dus près du sommet de la digue comme<br />
si c’était un pas de tir. Ils sont séparés par deux<br />
morceaux de brique posés sur une pile de francs<br />
et de florins. Je m’arrête pour voir ce qui se passe<br />
et je découvre qu’ils tir<strong>en</strong>t tous <strong>les</strong> deux à tour<br />
de rôle. Lorsqu’un Boche se montre, l’un des deux<br />
gars lui tire dessus. S’il le manque, il doit payer<br />
l’autre. Par ailleurs, s’il a touché l’adversaire, c’est<br />
l’autre qui le paie. Je revi<strong>en</strong>s satisfait. Avec un<br />
moral comme celui-là, il faudrait un <strong>en</strong>nemi<br />
puissant pour nous inquiéter. 67<br />
Pour raffermir la détermination de leurs propres<br />
soldats, <strong>les</strong> Allemands leur impos<strong>en</strong>t une discipline<br />
sévère. L’un des subordonnés d’Eberding précise<br />
clairem<strong>en</strong>t qu’il fera « sommairem<strong>en</strong>t exécuter le<br />
commandant d’un c<strong>en</strong>tre de résistance pour lâcheté<br />
devant l’<strong>en</strong>nemi si celui-ci se replie le premier sans<br />
<strong>en</strong> avoir reçu l’ordre, sous le prétexte médiocre<br />
qu’il veut r<strong>en</strong>dre compte de la situation ». 68 Dans ces<br />
conditions, il ne faut guère s’étonner si certains<br />
des Allemands inexorablem<strong>en</strong>t refoulés vers la mer<br />
se montr<strong>en</strong>t fatalistes quant à l’issue de la bataille.<br />
Un jeune conscrit confie l’évolution de ses p<strong>en</strong>sées<br />
à son journal :<br />
Mercredi le 4 octobre. Je suis très malade. On m’a<br />
laissé dans un trou de tirailleur, à une c<strong>en</strong>taine de<br />
mètres de ma chambre. Je fais de la température,<br />
mais je ne veux pas aller à l’hôpital, pas pour tout<br />
l’or du monde. Maint<strong>en</strong>ant, chaque homme<br />
compte. C’est pourquoi moi, un conscrit, je dois<br />
retourner me battre.<br />
Dimanche le 15 octobre. Tout doucem<strong>en</strong>t, le<br />
combat tire à sa fin. C’est une bonne chose, car<br />
tous ces g<strong>en</strong>s, Néerlandais et Allemands réunis<br />
dans un espace restreint, travers<strong>en</strong>t des épreuves<br />
inhumaines, et <strong>les</strong> pertes sont sévères. Ce serait<br />
agir <strong>en</strong> traître que de <strong>les</strong> exposer plus longtemps à<br />
la force des armes. Pour nous autres, soldats,<br />
il n’y aura qu’une solution : la mort ou la prison.<br />
Ce n’est pas tout à fait comme ça que j’avais<br />
imaginé la fin de la guerre, mais je dois me résigner<br />
à l’inévitable. Les <strong>Canadi<strong>en</strong>s</strong> et <strong>les</strong> Anglais<br />
pass<strong>en</strong>t à gauche et à droite. Seuls <strong>les</strong> paras<br />
sembl<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>ir bon... Des obus tomb<strong>en</strong>t dans<br />
<strong>les</strong> <strong>en</strong>virons; le chant du front résonne de<br />
toutes parts. 69<br />
On dispose de certains témoignages, toutefois<br />
incomplets, sur <strong>les</strong> manières dont <strong>les</strong> opérations de<br />
l’Escaut ont mis à l’épreuve <strong>les</strong> limites de l’<strong>en</strong>durance<br />
humaine, mais on ne connaîtra jamais toutes <strong>les</strong><br />
souffrances dont el<strong>les</strong> ont été la cause. Les victimes<br />
physiques peuv<strong>en</strong>t être dénombrées. À la fin d’octobre,<br />
<strong>les</strong> 1 200 lits du 12 e Hôpital général canadi<strong>en</strong> (HGC),<br />
établi dans une anci<strong>en</strong>ne installation allemande, <strong>en</strong><br />
banlieue de Bruges, sont tous occupés. Le 12 e et<br />
le 16 e HGC, situés à Saint-Omer durant le siège de<br />
Boulogne et de Calais, recevai<strong>en</strong>t tous deux des<br />
pati<strong>en</strong>ts au rythme de 1 000 par semaine, et <strong>les</strong><br />
chirurgi<strong>en</strong>s du 12 e , avec l’aide d’une équipe<br />
d’infirmières, ont effectué 1 860 opérations. Ri<strong>en</strong><br />
que dans la 3 e Division, le nombre de victimes<br />
s’élève à plus de 2 000 hommes, dont 341 sont morts,<br />
et 400 autres qui ont été hospitalisés pour cause<br />
de maladie. Les pertes de la 2 e Division se chiffr<strong>en</strong>t<br />
à 2 600 hommes, dont 465 morts; près de 900 ont<br />
été hospitalisés parce qu’ils étai<strong>en</strong>t malades. 70<br />
Les coûts émotionnels ne sont pas aussi faci<strong>les</strong><br />
à cataloguer. Dans la 3 e Division, 421 victimes<br />
d’épuisem<strong>en</strong>t au combat ont été <strong>en</strong>voyées dans <strong>les</strong><br />
c<strong>en</strong>tres de soins médicaux; dans la 2 e Division,<br />
il y <strong>en</strong> a eu au moins 200. De nombreuses autres<br />
ont été traitées au sein de leur unité. Il n’existe<br />
pas de cas typique, car <strong>les</strong> causes et <strong>les</strong> réactions<br />
vari<strong>en</strong>t considérablem<strong>en</strong>t, mais un officier du<br />
<strong>La</strong>ke Superior a décrit ainsi la situation :<br />
Dans cette unité de campagne, la fatigue physique<br />
et m<strong>en</strong>tale, que nous appelons l’épuisem<strong>en</strong>t au<br />
combat, a sans doute constitué un phénomène<br />
extrêmem<strong>en</strong>t important et un problème. Elle a<br />
surtout résulté de l’exposition constante aux tirs<br />
de mortier, de lance-bombes, d’artillerie et<br />
d’armes légères. En outre, il a fallu évacuer des<br />
hommes qui ont subi un choc m<strong>en</strong>tal <strong>en</strong> voyant<br />
leurs camarades taillés <strong>en</strong> pièces. Après et p<strong>en</strong>dant<br />
presque chaque combat, il a fallu <strong>en</strong>voyer un<br />
ou plusieurs hommes pr<strong>en</strong>dre du repos, jusqu’à<br />
<strong>les</strong> évacuer dans <strong>les</strong> cas <strong>les</strong> plus extrêmes.<br />
D’ordinaire, nous <strong>les</strong> r<strong>en</strong>voyions dans le secteur<br />
administratif de la division pour un repos<br />
d’une semaine. 71<br />
À ce stade de leur expéri<strong>en</strong>ce des combats,<br />
médecins et commandants distingu<strong>en</strong>t deux<br />
catégories d’épuisem<strong>en</strong>t au combat : d’une part,<br />
celle des soldats qui voi<strong>en</strong>t le feu pour la première<br />
fois et qui perd<strong>en</strong>t leur contrôle <strong>en</strong> affrontant la<br />
peur, le bruit, <strong>les</strong> odeurs et le chaos général de la<br />
bataille; de l’autre, celle des soldats expérim<strong>en</strong>tés<br />
dont <strong>les</strong> nerfs ont lâché pour avoir été exposés à<br />
une accumulation excessive de stress. Ils sav<strong>en</strong>t<br />
67 Bird, Will. North Shore Regim<strong>en</strong>t, p. 449.<br />
68 Collection personnelle, lettres de Pieter de Houck.<br />
69 Collection personnelle, lettres de Pieter de Houck.<br />
70 Feasby, W.R. Official History of the Canadian Medical<br />
Services, 1939-1945, Volume 1, Organizations and<br />
Campaigns, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1956,<br />
pp. 256-271.<br />
71 ANC, RG 24, vol. 10. « Battle Experi<strong>en</strong>ce Questionnaire »,<br />
p. 480.<br />
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