La Libération : les Canadiens en Europe - Chef - Personnel militaire
La Libération : les Canadiens en Europe - Chef - Personnel militaire
La Libération : les Canadiens en Europe - Chef - Personnel militaire
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Le lundi 4 septembre, jour de la r<strong>en</strong>trée, le<br />
directeur de l’école nous a soudain r<strong>en</strong>voyés chez<br />
nous. Il nous a prév<strong>en</strong>us que <strong>les</strong> Allemands<br />
volai<strong>en</strong>t des vélos partout. En route vers la maison,<br />
nous avons <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du dire que <strong>les</strong> Anglais avai<strong>en</strong>t<br />
libéré Anvers. Le l<strong>en</strong>demain, qu’on appellera le<br />
« mardi fou », <strong>les</strong> g<strong>en</strong>s croyai<strong>en</strong>t que <strong>les</strong> Pays-Bas<br />
étai<strong>en</strong>t au seuil de la liberté. Personne n’est allé<br />
travailler, car <strong>les</strong> forces alliées pouvai<strong>en</strong>t arriver<br />
d’un mom<strong>en</strong>t à l’autre. Les Allemands battai<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> retraite partout. Ils faisai<strong>en</strong>t sauter leurs<br />
voitures et leurs camions à coups de gr<strong>en</strong>ades<br />
et laissai<strong>en</strong>t derrière eux leur fournim<strong>en</strong>t, des<br />
conserves, des bouteil<strong>les</strong> de vin français et des postes<br />
de radio. Au bout de quelques jours, la situation<br />
a changé. Ils ont installé des pièces antiaéri<strong>en</strong>nes<br />
dans le village et autour de celui-ci, et <strong>les</strong> unités,<br />
<strong>en</strong> route vers le port de Bresk<strong>en</strong>s, ont recomm<strong>en</strong>cé<br />
à défiler avec une discipline parfaite sous le<br />
commandem<strong>en</strong>t d’officiers et de sous-officiers.<br />
Durant plusieurs jours d’affilée, <strong>les</strong> soldats de<br />
la 15 e Armée allemande ont traversé <strong>les</strong> rues du<br />
village. Jeunes et vieux, nous <strong>les</strong> regardions<br />
passer. Ils semblai<strong>en</strong>t très fatigués, ayant marché<br />
des c<strong>en</strong>taines de kilomètres, <strong>en</strong> France et <strong>en</strong><br />
Belgique, depuis le Pas-de-Calais, sous <strong>les</strong> attaques<br />
constantes des chasseurs-bombardiers. En<br />
colonne par un, rasant <strong>les</strong> maisons, toujours<br />
à l’affût de l’<strong>en</strong>nemi dans le ciel, ils se sont<br />
r<strong>en</strong>dus jusqu’à l’Escaut. De l’autre côté du fleuve<br />
<strong>les</strong> att<strong>en</strong>dait la principale route de repli vers la<br />
« Heimat ». Avant la fin de 1944, de nombreux<br />
soldats de la 15 e Armée allemande allai<strong>en</strong>t tuer<br />
ou se faire tuer ailleurs. 21<br />
Bi<strong>en</strong> que Pieter de Houck ne puisse le<br />
savoir à l’époque, il est témoin d’un autre virage,<br />
extrêmem<strong>en</strong>t remarquable, de la campagne.<br />
En appar<strong>en</strong>ce honteusem<strong>en</strong>t vaincus, <strong>les</strong> Allemands<br />
se ressaisiss<strong>en</strong>t. Au lieu de pr<strong>en</strong>dre fin rapidem<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> 1944, la guerre se poursuivra <strong>en</strong>core huit mois,<br />
fauchant des vies sans nombre. Comme la plupart<br />
des grands événem<strong>en</strong>ts qui mêl<strong>en</strong>t le drame à la<br />
comédie, cette histoire d’occasion perdue continuera<br />
<strong>en</strong>core longtemps d’occuper <strong>les</strong> biographes et <strong>les</strong><br />
histori<strong>en</strong>s. Bi<strong>en</strong> que la controverse ait garni, à ce<br />
jour, assez de rayons pour remplir une bibliothèque<br />
de bonne taille, un bref résumé permettra de mieux<br />
saisir le contexte où se déroul<strong>en</strong>t <strong>les</strong> opérations des<br />
<strong>Canadi<strong>en</strong>s</strong>.<br />
<strong>La</strong> percée spectaculaire hors de la Normandie<br />
a révélé des possibilités opérationnel<strong>les</strong> alliées<br />
comparab<strong>les</strong> au Blitzkrieg allemand qui a balayé<br />
la France dans l’autre direction <strong>en</strong> 1940. Les<br />
commandants sont sûrs de pouvoir mettre fin<br />
rapidem<strong>en</strong>t à la guerre; comm<strong>en</strong>t pourrait-il <strong>en</strong><br />
être autrem<strong>en</strong>t? Le 3 septembre, après une traversée<br />
fulgurante de la France, la 11 e Division blindée<br />
britannique atteint Bruxel<strong>les</strong>, où elle est saluée par<br />
une population <strong>en</strong> liesse, et, dès le l<strong>en</strong>demain, elle<br />
est accueillie à Anvers par une population tout aussi<br />
extatique. Près de Mons, le 7 e Corps d’armée américain<br />
du major général J. <strong>La</strong>wton Collins, ayant attaqué<br />
par surprise une multitude d’Allemands <strong>en</strong> fuite, fait<br />
plus de 25 000 prisonniers. Une semaine après, ses<br />
divisions de tête atteign<strong>en</strong>t la frontière allemande non<br />
loin d’Aix-la-Chapelle. Au sud des Ard<strong>en</strong>nes, la<br />
3 e Armée du général Patton franchit la Meuse et opère<br />
sa jonction avec la 7 e Armée américaine près de<br />
Nancy. En quelques jours, <strong>les</strong> armées alliées ont t<strong>en</strong>du<br />
autour de l’<strong>Europe</strong> occid<strong>en</strong>tale une ligne semblable à<br />
un arc bi<strong>en</strong> t<strong>en</strong>du : au nord le long du littoral de la<br />
Manche, du Havre à Ost<strong>en</strong>de; à l’est, de Bruges à<br />
Aix-la-Chapelle; au sud, <strong>en</strong>fin, le long de la ligne<br />
Siegfried, à travers <strong>les</strong> Ard<strong>en</strong>nes et la Sarre, jusqu’à<br />
la frontière suisse. Il semble qu’il ne reste plus qu’à<br />
ajuster à cet arc une ou plusieurs flèches pour mettre<br />
fin à la guerre <strong>en</strong> quelques semaines.<br />
Fait tragique, toutefois, à ce point crucial de la<br />
campagne, <strong>les</strong> commandants supérieurs alliés<br />
n’arriv<strong>en</strong>t pas à s’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre sur l’<strong>en</strong>droit où décocher le<br />
trait fatal. Le succès même de la rapide progression<br />
à travers la France durant la première semaine de<br />
septembre vi<strong>en</strong>t d’ébranler <strong>les</strong> hypothèses qui<br />
ont présidé à la planification de la campagne des<br />
Alliés. Bi<strong>en</strong> avant l’invasion de la Normandie, <strong>les</strong><br />
planificateurs du quartier général suprême des forces<br />
expéditionnaires alliées (le SHAEF) ont choisi pour<br />
principaux objectifs la Ruhr et la Sarre, c<strong>en</strong>tre industriel<br />
de l’Allemagne, suivies de Berlin. Ils ont divisé<br />
l’expédition vers l’Allemagne <strong>en</strong> plusieurs phases<br />
distinctes : <strong>les</strong> débarquem<strong>en</strong>ts d’assaut, la bataille<br />
de la tête de pont, un regroupem<strong>en</strong>t précédant la<br />
sortie, une avance sur un front large jusqu’à la<br />
frontière allemande vers J+360, un autre regroupem<strong>en</strong>t<br />
destiné à réduire un volumineux app<strong>en</strong>dice<br />
logistique, puis la bataille finale <strong>en</strong> Allemagne à une<br />
date indéterminée. Craignant que <strong>les</strong> Allemands<br />
ne soi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> mesure de faire obstacle à une poussée<br />
restreinte isolée vers la Ruhr, <strong>les</strong> planificateurs ont<br />
proposé une avance empruntant deux axes sur un<br />
front large, de part et d’autre des Ard<strong>en</strong>nes. <strong>La</strong><br />
mer protégerait le flanc gauche, et la 7 e Armée, <strong>en</strong><br />
remontant le Rhône jusqu’<strong>en</strong> Alsace, protégerait<br />
le droit.<br />
Après la guerre, le planificateur <strong>en</strong> chef britannique<br />
du SHAEF, le major général K<strong>en</strong>neth McLean, fera<br />
le récit suivant à Forrest Pogue, qui étudie l’histoire<br />
du commandem<strong>en</strong>t du général Eis<strong>en</strong>hower <strong>en</strong><br />
<strong>Europe</strong> :<br />
En avril, nous avions élaboré un docum<strong>en</strong>t<br />
sur la pénétration <strong>en</strong> Allemagne. Nous l’avons<br />
communiqué à Ike <strong>en</strong> avril ou <strong>en</strong> mai, et je<br />
21 Collection personnelle, lettres de Pieter de Houck.<br />
25