La Libération : les Canadiens en Europe - Chef - Personnel militaire
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Berlin. Il attire l’att<strong>en</strong>tion de son collègue sur le fait<br />
que, pour ravitailler leurs 40 divisions combinées sur<br />
la route du nord, il leur faudrait mettre fin à tout<br />
mouvem<strong>en</strong>t important sur l’axe sud.<br />
En l’abs<strong>en</strong>ce d’objections de Bradley, Montgomery<br />
présume qu’il est d’accord, et que le commandem<strong>en</strong>t<br />
général lui revi<strong>en</strong>dra. Il porte donc sa proposition<br />
d’attaque à Eis<strong>en</strong>hower, la semaine suivante. Peutêtre<br />
le biographe d’Eis<strong>en</strong>hower songera-t-il à cette<br />
r<strong>en</strong>contre lorsqu’il écrira que « Montgomery avait<br />
t<strong>en</strong>dance à <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre ce qu’il voulait bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre,<br />
et à lire ce qu’il voulait bi<strong>en</strong> lire; Eis<strong>en</strong>hower, pour sa<br />
part, s’efforçait de trouver <strong>les</strong> mots et <strong>les</strong> expressions<br />
qui apaiserai<strong>en</strong>t. Il y avait donc un mal<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du<br />
constant <strong>en</strong>tre ces deux hommes ». 24 On ne pourra<br />
jamais reconstituer leur discussion dans ses moindres<br />
nuances, mais cel<strong>les</strong>-ci sembl<strong>en</strong>t suffisamm<strong>en</strong>t<br />
ambiguës pour masquer de sérieuses diverg<strong>en</strong>ces<br />
<strong>en</strong>tre Montgomery et Eis<strong>en</strong>hower qui, combinées à<br />
leurs personnalités et leurs sty<strong>les</strong> de commandem<strong>en</strong>t<br />
différ<strong>en</strong>ts, débouch<strong>en</strong>t sur une monum<strong>en</strong>tale<br />
méprise. Alors que Montgomery croit avoir au moins<br />
l’approbation tacite d’avancer sur son front étroit,<br />
Eis<strong>en</strong>hower présume que son commandant britannique<br />
respectera le plan de campagne sur un front large<br />
qui a été accepté plus tôt.<br />
Étant donné que l’objectif immédiat d’Eis<strong>en</strong>hower<br />
consiste à ouvrir le port d’Anvers, il donne au<br />
21 e Groupe d’armées un accès prioritaire, mais non<br />
exclusif, à la quantité limitée d’approvisionnem<strong>en</strong>ts<br />
disponib<strong>les</strong>. Il répond égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> partie aux autres<br />
demandes de Montgomery, mais, refusant d’abdiquer<br />
intégralem<strong>en</strong>t ses responsabilités, lui fait clairem<strong>en</strong>t<br />
compr<strong>en</strong>dre qu’il pr<strong>en</strong>dra le commandem<strong>en</strong>t direct<br />
de la campagne le 1 er septembre, comme prévu. On<br />
peut observer qu’il s’agit du jour même où Montgomery<br />
sera promu au grade de maréchal. Refusant de<br />
subordonner intégralem<strong>en</strong>t au maréchal le 12 e Groupe<br />
d’armées du général Bradley, Eis<strong>en</strong>hower permet<br />
à Montgomery de coordonner <strong>les</strong> mouvem<strong>en</strong>ts<br />
opérationnels <strong>en</strong>tre son propre groupe d’armées et<br />
la 1 re Armée du général Hodges, mais il autorise<br />
aussi Bradley à continuer de faire avancer la 3 e Armée<br />
de Patton vers la Sarre. <strong>La</strong> décision d’Eis<strong>en</strong>hower<br />
de s’<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir à son plan de campagne est motivée<br />
par plusieurs facteurs, dont l’avis unanime de son<br />
état-major anglo-américain. En effet, selon le major<br />
général K<strong>en</strong>neth Strong, chef du r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t<br />
du SHAEF :<br />
[l’état-major supérieur] s’oppose vivem<strong>en</strong>t [au<br />
front étroit]. <strong>La</strong> dernière réunion sur ce sujet a<br />
lieu dans la roulotte de Bedell Smith [le chef<br />
d’état-major d’Eis<strong>en</strong>hower]. Les officiers supérieurs<br />
d’état-major américains et britanniques du<br />
QG suprême sont prés<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> nombres presque<br />
égaux; nous sommes peut-être 10 <strong>en</strong> tout. Bedell<br />
Smith interroge minutieusem<strong>en</strong>t chacun d’<strong>en</strong>tre<br />
28<br />
nous afin de pouvoir prés<strong>en</strong>ter au général<br />
Eis<strong>en</strong>hower l’opinion réfléchie de son état-major. 25<br />
Le ravitaillem<strong>en</strong>t constitue le principal problème.<br />
Le plan de campagne repose peut-être sur « la tyrannie<br />
de la logistique », mais c’est là un point de vue<br />
compréh<strong>en</strong>sible. Il faut <strong>en</strong> effet nourrir et vêtir plus<br />
de deux millions de soldats, leur fournir des<br />
munitions pour leurs armes et du carburant pour<br />
leurs véhicu<strong>les</strong>, leur construire des aérodromes<br />
et <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir leurs avions. <strong>La</strong> logistique impose<br />
aux phases tactiques et à la programmation des<br />
mouvem<strong>en</strong>ts une corrélation inexorable, lorsqu’elle<br />
ne <strong>les</strong> régit pas purem<strong>en</strong>t et simplem<strong>en</strong>t. L’un des<br />
principaux facteurs qui ont présidé au débarquem<strong>en</strong>t<br />
des Alliés <strong>en</strong> Normandie plutôt que dans le Pasde-Calais,<br />
c’est qu’ils n’ont pas eu besoin de s’emparer<br />
immédiatem<strong>en</strong>t d’un port <strong>en</strong> état de fonctionnem<strong>en</strong>t<br />
parce qu’ils apportai<strong>en</strong>t leurs propres ports flottants<br />
préfabriqués. Néanmoins, des ports capab<strong>les</strong> de<br />
recevoir le flot considérable d’approvisionnem<strong>en</strong>ts<br />
et de r<strong>en</strong>forts expédiés <strong>en</strong> France devront bi<strong>en</strong><br />
un jour apporter leur appoint aux Mulberry et au<br />
déchargem<strong>en</strong>t sur <strong>les</strong> plages. Cherbourg et Marseille,<br />
de même que <strong>les</strong> petits ports de la Manche — Le<br />
Havre, Dieppe, Boulogne et Calais — peuv<strong>en</strong>t<br />
répondre à certains besoins, mais le meilleur, et de<br />
loin, est Anvers. En plus de ses 50 kilomètres de quais<br />
où accost<strong>en</strong>t chaque année plus de 1 000 navires,<br />
il est doté de c<strong>en</strong>taines de grues, d’<strong>en</strong>trepôts, de<br />
citernes de carburant et d’installations ferroviaires<br />
qui peuv<strong>en</strong>t servir au stockage et à la distribution du<br />
matériel dont <strong>les</strong> Alliés auront besoin pour s’<strong>en</strong>foncer<br />
au cœur de l’Allemagne.<br />
Dans l’esprit des planificateurs du SHAEF, Anvers<br />
conserve une importance prépondérante, et le plan<br />
de Montgomery consistant à se diriger droit vers le<br />
Rhin et l’Allemagne <strong>les</strong> inquiète. Il semble aujourd’hui,<br />
selon des études réc<strong>en</strong>tes, que Montgomery aurait<br />
pu faire franchir le Rhin à ses 40 divisions si l’on avait<br />
immobilisé toutes <strong>les</strong> autres et utilisé leurs réseaux<br />
d’approvisionnem<strong>en</strong>t à son avantage... mais d’extrême<br />
justesse. C’était compter sans <strong>les</strong> difficultés imprévues<br />
que <strong>les</strong> Allemands excellai<strong>en</strong>t à créer.<br />
Une autre réalité incontournable, c’est<br />
qu’Eis<strong>en</strong>hower est à la tête d’une coalition aux<br />
élém<strong>en</strong>ts inégaux. En 1944, bi<strong>en</strong> que le<br />
Commonwealth britannique supporte la guerre<br />
depuis plus longtemps que <strong>les</strong> Américains,<br />
l’id<strong>en</strong>tité du part<strong>en</strong>aire dominant ne fait aucun<br />
doute. Le rapport <strong>en</strong>tre <strong>les</strong> troupes américaines<br />
et <strong>les</strong> troupes britanniques et canadi<strong>en</strong>nes est de<br />
trois à un et ne cesse d’augm<strong>en</strong>ter. Dans de tel<strong>les</strong><br />
24 Ambrose, Steph<strong>en</strong>. « Eis<strong>en</strong>hower’s G<strong>en</strong>eralship »,<br />
Parameters, juin 1990.<br />
25 Strong, K. Intellig<strong>en</strong>ce at the Top, Londres, Cassel, 1968,<br />
pp. 146-147.